Tout au bout du bord de l’extrême, derrière les dernières montagnes du Monde, s’élève le Château des 100 000 pièces Les murailles, et les tours et les étages de ce palais s’élèvent, à ce qu’il vous paraît, bien au-delà des nuages, au-dessus des cimes.
RETOUR AU CROISEMENT/LA PIÈCE DE LA GRAAAAANDE BATAILLE
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RETOUR AU CROISEMENT/LA PIÈCE DE LA GRAAAAANDE BATAILLE

le petit grand nain as Le petit grand nain (JBlogueur/Château)

Le premier, Denerebor posa le pied sur le sol. Quelques robots arrivèrent aussi. Il n’y avait plus de signe de vie ici. C’était une vaste salle avec plusieurs portes, dont l’une menait à un escalier. Quelques pièces de monnaie se trouvaient à proximité d’une autre. Je reconnus avec émotion la première des pièces que j’avais explorée, cette pièce qui aujourd’hui me paraissait ridiculement simple à traverser en comparaison de ce que j’avais pu affronter depuis. Et pourtant… Je repensais à ce début d’exploration. Naïfs que nous étions… Nous étions au moins cinq ou six à être entrés ensemble, en même temps, et arrivés au Cathedrall… Et chacun était parti dans sa propre direction. Moi qui pensait être un aventurier peut-être moins courageux que les autres en préférant suivre Emilie… Ce n’était pas du courage, c’était du suicide. Sur les premiers explorateurs, que j’avais découvert lors d’une conversation avec le GDIR n°1, nous étions sept à avoir survécu. Un gars, bien entendu, ainsi que moi. Louvelo et Leila que nous avions rencontré lors de l’affrontement contre le Château. Mais les trois autres… Une certaine Impératrice Chapeautée, personnage qui fut énormément influent sur des royaumes entiers avant de découvrir le Château à l’heure de sa décadence. Personne ne savait où elle était en ce moment, mais on pensait qu’elle avait réussit à s’échapper. Des deux sœurs, entrées dans le Château au même moment, Julie et Émilie, il ne restait que la première. Émilie reposait dans un grand caveau, pâle comme la morte qu’elle était, tandis que sa sœur croupissait dans une geôle du Château, comme l’avait fait Vic. La toute première à être entrée, surnommée « Je m’en fous », était morte très rapidement. Et le dernier survivant était une certaine Okhenia, qui était complètement folle à l’heure actuelle, après une centaine d’expériences sur son esprit effectuées par mon frère pour la plupart.

Ce n’était pas d’eux que viendrait l’espoir.

Neonity emmena quelques robots sécuriser toute la zone. Notre troupe entière s’installa et tout le monde prépara tout ce qu’il avait à sa disposition pour se battre. Nous étions rassurés que le Château n’ait pas eu de moyen assez rapide de traverser les pièces, et sûrs de pouvoir profiter de cet avantage. Les cris fusaient de partout, et nous ne tardâmes pas à être suffisamment organisés pour lutter contre l’armée qui allait arriver. Chacune des entrées était bloquée, les soldats étaient tous armés et prêts à en découdre.

Le rire du Château retentit. Il était tel que je l’avais entendu quelques dizaines de jours plus tôt, macabre et promesse de malheur. Le Château arrivait, j’en étais persuadé.
Sur ce point, de fait, j’avais raison. Mais rien ne se déroula comme nous l’avions prévu. Ce fut Un gars qui, le premier, remarqua quelque chose.
– Vous n’entendez pas ? dit-il. Il y a un bruit de fond…
Nous tendîmes tous l’oreille. Je ne perçus tout d’abord rien, puis un léger bruit commença à monter et…
Une explosion d’une violence rare retentit et résonna longtemps à travers chaque pièce reliée à l’endroit. Elle venait du Cathedrall, qui n’avait jamais été aussi près de nous depuis notre arrivée, puisqu’il était juste en bas de l’escalier qu’avait autrefois remonté Un gars. Nous envoyâmes quelques robots en reconnaissance, avec le Maître des Glaces. La tension montait. Le bruit avait cessé, et nous nous demandions tous ce qui allait arriver du bas.
Le Maître des Glaces et les robots remontèrent deux minutes après. Il n’y avait rien, pas même de traces d’explosion.
– Mais d’où cela venait-il, alors ? demanda Vic.
– Nous n’allons pas tarder à être fixés, répondit Jad. Je suppose que maintenant que tout effet de surprise a disparu, ils n’ont plus le choix.

C’est le moment que choisit le premier gobelin pour ouvrir la porte. Denerebor réagit tout de suite en ouvrant le feu trois fois sur la créature.
– Arrête ! criai-je. Il n’est pas armé !
Le gobelin bascula en arrière, une balle dans la tête. Des dizaines d’autres entrèrent, les mains en l’air pour la plupart, et semblant complètement affolés. Au milieu du groupe se trouvaient quelques humains, et un magicien. Celui-ci tenait encore un morceau de ce qui avait été un bâton de mage, que Vic lui détruisit. La vague de soldats ne s’arrêtait pas. Certains avaient encore des armes, mais ils ne s’en servaient pas. Une cinquantaine, puis une centaine de fantassins de toute sorte entrèrent dans la salle, entourés de toute notre troupe, qui essayait de conserver le contrôle de la situation sans relâcher la surveillance des autres entrées. Rapidement, des personnages à l’aspect plus impressionnants prirent la tête et tentèrent de réunir leurs troupes, mais sans succès. Alors, quelqu’un se matérialisa en tête de l’armée.
– ARRÊTEZ ! hurla le grand petit nain, avant de se tourner vers nous d’un air rageur. Nous avons peut-être perdu cette manche, mais votre ami ne nous vaincra pas éternellement ! Nous mourrons peut-être aujourd’hui, mais pas sans combattre ! Avant qu’il n’arrive vous aider, nous aurons tué la moitié de vos hommes et…
– Tais-toi, lui intima une voix surgissant du sol. J’ai besoin de réfléchir.
– Nous n’attaquons pas, maître ? demanda-t-il.
– Non, répondit le Château en émergeant complètement du plancher de la salle. Cet échec n’était pas leur fait. Je pense que leur allié et son armée ont attaqué sans leur accord.
– Quelle armée ? intervint le Maître des Robots.
– Celle qui vient de nous attaquer, répondit le Château. Vous n’êtes donc pas au courant ?
– Vous parlez de notre allié… Le personnage aux lames ? risquai-je.
– Il était là, répondit le Château. Il dirigeait l’armée. Je connais la prophétie depuis peu, je sais qu’il est votre allié.
– C’est faux ! protesta Un gars.
– Qu’est-ce que tu fais ? demandai-je à Nabowalker, le dirigeant Atlante, qui avait saisi son arme à feu.
Il tira un coup dans l’œil de Denerebor, qui chuta en hurlant. Il appuya sur un bouton situé en haut de son arme, et un grincement mécanique retentit. L’arme se garnit d’un canon de plus, et une bande de cartouches en sortit. Nabowalker tira une salve vers le trio d’aventuriers. L’Ombre, que les balles n’affectaient pas, se précipita vers le meurtrier, tandis que Analayann tombait en avant, l’épaule en sang. Jad, prit au dépourvu, avait prit deux balles dans la gorge. Il tituba un instant, puis tomba.
Quatre autres Atlantes avaient dévoilés leur jeu. Le premier se chargea des autres habitants des profondeurs, tandis que les trois autres tiraient soit vers nos alliés, soit vers l’armée du Château. Les gobelins et les soldats tombèrent comme des mouches. L’un d’entre eux visa Un gars, qui réussit à se baisser à temps. Les Dupondt n’avaient pas l’air de craindre les balles.
Robin des Bois réagit immédiatement en collant une flèche dans le torse d’un des tireurs, avant de se faire toucher à la jambe. Vic sauta vers eux…
Je ressentis la douleur avant de tomber la tête la première. La balle m’avait atteint à un point vital, je le savais. Sans doute un poumon… J’ouvris les yeux péniblement, juste à temps pour voir Vic qui abattait l’un des Atlantes sur son équipier avec une violence incroyable. Puis les escaliers prirent feu et le personnage arriva. Il perça d’une de ses lames Dupond, puis la souffrance se fit trop grande et je m’écroulai.

Bom…

Bom…

« Soldats ! Feu ! »

Bom…

« Je ne le laisserais pas vous tuer ! »

Bom…

« Aaaarh… »

Bom…

« Qu’est-ce… »

« Je suis vivant ? »

« Le personnage de la prophétie… Il était là… »

« J’ai encaissé une balle. J’en suis certain. Plusieurs, peut-être. »

« Pourquoi suis-je vivant, alors ? »

– Qu’est-ce qui te fait croire que tu es vivant ?
– Pardon ?
– Tu viens de demander pourquoi tu étais vivant. Tu es sûr de l’être ?
– …
– Exactement.
– Mais… Qui êtes-vous ?
– Mon nom ne te dira rien, et tu ne le retiendra pas. Mais tu as peut-être entendu parler de moi. Je m’appelle Awitchakaën.
– Effectivement, ça ne me dit rien.
– C’est tout à fait normal. Mais tu connais mon surnom de Démon des Rêves, je pense ?
– Co… Comment ?
– Tu as très bien entendu. Le Démon des Rêves. Un assez joli pseudonyme, non ? Mes victimes étaient imaginatives.
– Vous… Vous êtes le Démon des Rêves. Vous avez pris possession de mon corps depuis quand ?
– Oh, mais depuis moins de dix minutes ! Lors du combat qu’a vécu mon précédent hôte. Enfin, combat… Il ne m’a pas semblé qu’il était particulièrement actif, mais il était tendu au possible, et ses pensées étaient plutôt orientées vers du sang et de la peur.
– Il était cruel ?
– Non, évidemment que non ! C’était son sang et sa peur. De fait, elle a subi une telle douleur…
– Elle ?
– Oui. La blessure n’était pas mortelle, mais en tout cas elle semblait plutôt mal en point, et puis… Je suis un démon, je sais quand mes congénères arrivent. Celui-là était… Pour le moins impressionnant.
– Un… Démon ? Quel genre ?
– Un guerrier, et des plus puissants. Je ne les aime pas, ils n’ont aucune délicatesse. Moi, c’est plus subtil.
– Comment… procédez-vous ?
– Un effacement de mémoire. En général, nous prenons notre temps, tout en occupant de plus en plus de place dans la mémoire et l’esprit de notre hôte.
– Analayann… Elle perdait la mémoire, elle aussi…
– Oui, c’est ça ! Un nom pareil, on n’a pas idée…
– Awitchakaën ?
– Sauf que je suis un démon. J’ai tous les droits.
– Attendez… Mais Un gars avait les mêmes symptômes ! Vous n’étiez pas chez lui ?
– Non… Ce devait être un autre.
– Un autre Démon des Rêves ? Il y en a d’autres ?
– De ce que je sais, nous sommes sept dans ce Château. J’ai partagé un hôte avec l’un d’entre eux, une fois.
– Sept… Répartis sur cent mille pièces…
– Mais oui, il m’a semblé sentir un autre démon il y a peu de temps. Un esprit mineur. Je pense qu’il aurait achevé son hôte en au moins trois mois, s’il en avait eu le temps. Enfin bon… Il trouvera quelqu’un d’autre.
– Pardon ? Un gars est mort ?
– Oh, pas nécessairement… Mais vous perdez, c’est certain, et tel que je connais les démons guerriers…
– Il ne l’épargnera pas.
– Voilà.
– Et… Je ne peux rien faire ?
– Écoute, tu es mort.
– …
– Enfin, presque.
– Comment ça ?
– J’ai intercédé auprès de mon maître, qui a un certain pouvoir de vie et de mort.
– Le maître d’un démon ?
– Lucifer. Il a rencontré deux explorateurs il y a quelques jours, d’ailleurs. Il les a raté de peu, alors il est un peu énervé. J’ai eu du mal à le convaincre, surtout après ce que tu as fait contre le Château. Il a fini par accepter, parce que mes deux derniers hôtes sont morts prématurément, et que celle que j’avais juste avant, Anala je ne sais plus quoi…
– Analayann.
– C’est ça. Elle avait un potentiel incroyable pour un démon en raison de son passé très fourni, et cela tombait bien car le Château voulait effacer sa mémoire. Il m’a demandé de le faire, car j’étais le plus performant sur de courtes durées. J’ai effacé le plus compromettant de sa mémoire, me nourrissant beaucoup par la même occasion, avant de relâcher un peu une fois que la majorité de ses souvenirs étaient partis.
– Vous vous nourrissez des souvenirs des gens ?
– Oui. Nous sommes de moins en moins nombreux, parce que beaucoup des moins prévoyants d’entre nous se sont fait prendre au dépourvu par la mort de leur hôte, que plusieurs avaient finis par croire immortel, tant ils avaient de souvenirs et tant cela faisait longtemps qu’ils les hébergeaient. Ce qu’ils avaient oublié, c’est que quelqu’un qui perd la mémoire est bien moins puissant et résistant. Nous ne sommes aujourd’hui pas plus de cinquante dans le monde.
– C’est déjà pas mal…
– En tout cas, j’ai intercédé en ta faveur et Lucifer a consenti à te faire revenir. Heureusement que je m’y suis pris assez tôt… J’ai fait ma demande dans l’intervalle entre le départ de la balle tirée par l’esprit faible et son arrivée dans ton torse. Lucifer a délibéré pendant le moment où tu voyais le magicien qui tuaient deux esprits faibles, et il a accepté quand tu as perdu conscience. Les trois minutes qui te restaient à vivre lui ont suffit pour te soigner, en quelque sorte.
– Je suppose que je dois être reconnaissant.
– Ce n’est pas sûr, puisque je vais te dévorer la mémoire.
– Vous parlez d’« esprit faible »… Comment ça ?
– Le démon a pris le contrôle de leur esprit, pas suffisamment développé. Par contre, le premier était particulièrement intelligent, il agissait de son plein gré.
– Nabowalker… Je n’aurais pas imaginé. Mais… Où sommes-nous, donc ?
– Dans ton propre esprit. Ta situation est un peu particulière par rapport à celle des autres, puisque j’ai été contraint de tout te raconter, sans cela ton esprit n’aurait pas accepté de revenir. Par conséquent, nous allons pouvoir converser librement à tout moment.
– Formidable. Nous retournons dans la réalité ?
– De toute façons, je compte sur toi pour inverser les choses. Tu es censé être prodige, de ce que j’ai compris.
– Il paraît, oui… Mais ça ne tient qu’à une seule phrase. Enfin bon. Allons-y alors ?
– C’est parti.

J’ouvris les yeux en hoquetant. Je levai la tête. Un gobelin hurla, à côté de mes oreilles, et son corps tomba à côté de moi. Je me redressai, saisit une des haches que j’avais encore sur moi, et contemplai le désastre.
J’étais au même endroit que tout à l’heure, mais je n’avais aucun moyen de le savoir. Le sol était jonché de tellement de cadavres que je ne voyais même plus celui de Jad, pourtant censé être tombé quelques mètres à côté de moi.

En revanche, debout à quelques mètres de moi, je voyais plutôt bien le démon guerrier.

Quelques-uns de ses soldats l’entouraient, mais il semblait ne pas en avoir besoin. Ses lames étaient couvertes de sang, de composants mécaniques et d’autres choses que je ne distinguais pas. Il observait le champ de bataille comme s’il avait déjà gagné, ce qui était presque le cas, puisque derrière lui, attachés et surveillés…
Les trois Maîtres, Vic, le nain, Jad (qui d’ailleurs avait l’air bien vivant pour quelqu’un qui avait prit deux balles dans la gorge). Les adversaires les plus puissants du Château, tous hors d’état de nuire. Mais pas trace du Château lui-même…
« Sa puissance rayonne incroyablement », dit Awitchakaën dans ma tête.
Le démon m’avait tout de suite vu.
– Te voilà, dit-il en souriant. Je t’attendais.
– Vous m’attendiez ? dis-je en fronçant les sourcils.
– La prophétie va se réaliser maintenant, répondit-il. Il est évident que ta présence est requise.

Il fit signe à quelques trolls qui semblaient à son service. Les trolls me déposèrent à côté de mes amis, avec un manque de délicatesse impressionnant.
– Vous parlez pas, grogna l’un d’entre eux en voyant que je regardais vers mes amis.
– Bon, continua le démon. Je vais vous résumer la situation.
Je tendis l’oreille.
– Vous êtes incroyablement stupides.
Je haussai un sourcil. Les autres, autour de moi, étaient visiblement aussi étonnés.
– Personne n’a imaginé que la prophétie pouvait avoir un autre sens, poursuivit-il. Vous avez envisagé que c’était peut-être le Château lui-même qui reprendrait espoir, ce qui est assez idiot puisque le Château n’a de véritables problèmes que sur un secteur d’environ cinq mille de ses pièces, lui qui en possède vingt fois plus. Le plus logique aurait été que ça vous concerne, effectivement. Ce n’est pas le cas. »
– Mais… commença Vic.
– Silence.
« Quand s’uniront le nain prodige, l’aventurier qui a oublié et le magicien innommable, l’espoir renaîtra au plus profond du Château. L’ensorceleur est guerrier, et l’aventurier magicien. Le nain entre les deux sera le lien. », récita le démon. Or… Jamais je ne m’unirais réellement avec vous si ce n’est pas dans mon intérêt. Mais pourquoi serait-ce dans mon intérêt de redonner de l’espoir au plus profond du Château ? Je vais vous le dire. Cette expression est à prendre au sens propre. La pièce la plus éloignée du Cathedrall se trouve être aussi celle enterrée le plus loin sous terre. Elle est actuellement à sept cent cinquante kilomètres de nous, et douze sous nos pieds. Et vous savez ce qu’il y a dans cette pièce ? Non, vous ne le savez pas. »
Il sembla savourer son savoir.
– Il y a… Oh, et puis, pourquoi le dire ? Ce serait très stupide de ma part, même si vous allez mourir dans peu de temps.
Je commençai à réaliser ce qu’il voulait peut-être dire. Mais alors… « Le nain entre les deux sera le lien » ?

– La serrure de la porte de cette fameuse pièce la plus profonde sera usée lentement, pendant des années, de manière absolument irréversible. Ainsi, ce sera ce qui séjourne dans cette pièce qui reprendra espoir. Puis la chose se libérera, dans une décennie environ. Je suis l’ensorceleur guerrier, évidemment, et vous êtes le nain prodige. L’humain, votre compagnon de voyage, est l’aventurier magicien. Ah, et autant vous l’apprendre… En lui se trouve un Démon des Rêves, le petit grand nain le sait. Vous autres l’ignoriez sans doute.
– Un Démon des Rêves… Ce n’est pas une légende ? demanda le nain, parlant pour la première fois.
– Non, répondit le guerrier. Il a dévoré la majorité de ses souvenirs, comme va le faire le démon qui a pris possession du corps de votre ami. »
Ils se tournèrent vers moi.
– C’est pour ça que la balle qui lui est rentré dans le corps n’a pas fait son œuvre. Notre maître commun savait pertinemment que le nain devait survivre, et c’est tant mieux que le démon ait voulu prendre possession de ce corps en particulier. Mon maître avait son prétexte pour le ressuciter. »
« Comment ? » fit Awitchakaën. « Son maître… Que fabrique Lucifer ? »
– La prophétie va se réaliser. Grâce au nain, je vais retrouver l’aventurier qui s’est enfuit et je pourrais les utiliser pour défaire la serrure.
– Les utiliser… Quoi ? demanda le Maître des Robots. On ne peut pas !
– Oh que si, répliqua-t-il. Mais avant, il me faut Un gars. Et pour ça, j’ai besoin de ce nain.
– Vous voulez m’utiliser pour retrouver Un gars ? demandai-je.
– Oui. C’est pour ça que vous « serez le lien ».
– Mais comment ?
– C’est simple, dit-il. Laissez-vous faire.
– Euh, je ne sais pas si… commençai-je.
Il n’attendit pas la fin de ma phrase. Ses deux lames frôlèrent mes tempes, et s’immobilisèrent. Je commençai à sentir comme une pression sur mon front…
Il écarta brutalement les lames. Je sentis comme une déchirure, et tombai en arrière. Quand je relevai la tête, le spectacle qui s’offrait à moi m’horrifia. Au bout des deux lames, une forme à l’aspect étrange pendait.
« IL M’A EU ! JE NE CROYAIS PAS CELA POSSIBLE ! »
Awitchakaën… Alors il l’avait sorti de ma tête. Mais en quoi cela allait-il l’aider ?
La sorte de masse gélatineuse entièrement bleue qu’était le Démon des Rêves commença à s’étirer à la volonté du guerrier.
« AAAAAAAH ! »
– Non… balbutiai-je, titubant.
La tension sur le corps gélatineux se fit plus forte. Je vis la forme s’affiner par endroits, menacer de lâcher…
Le personnage tourna son unique œil vers Awitchakaën, et il commença à briller. Le vert se fit plus intense, l’éclat prit de l’importance… Rapidement, le Démon des Rêves commença à se décolorer. Sa couleur passa elle aussi au vert émeraude.
Deux trolls s’approchèrent, avec de grandes épées dont la lame ressemblait beaucoup à celles du guerrier. Ils intervertirent avec leur maître, qui recula d’un pas tandis que les trolls maintenaient la masse verte en l’air. Puis le démon guerrier prit son élan et sauta sur Awitchakaën, lui plantant avec autant de force que possible ses deux lames dans les deux extrémités. L’œil du guerrier émit une brève lueur, qui s’éteignit aussitôt.
– Mais… Comment est-ce possible ? murmura-t-il.
Les trolls lâchèrent Awitchakaën, qui réintégra mon corps.
« Il s’est servi de l’empreinte que j’avais laissé dans ma précédente hôte pour la retrouver, expliqua-t-il, tentant péniblement de se remettre. C’est comme si je lui avait balisé le chemin. Et je suppose que cette… Analayann est avec le reste de tes amis, donc avec Un gars. Et si avec elle il y a tous les autres, c’est d’autant plus grave… »
Le guerrier releva la tête, souriant. Il se tourna vers ses troupes :
– Ils sont allés dans une des pièces voisines, annonça-t-il. Je ne sais pas précisément laquelle, mais j’ai pu voir quelque chose dedans. »
Il se tourna vers moi, son sourire s’accentuant encore.
– Un immense gouffre. Et en bas du gouffre, le sol semblait fait de verre.
Je tentai de ne rien laisser transparaître sur mon visage, mais il était évident qu’il savait. C’était la quatrième pièce que j’avais explorée. Cela m’apparaissait d’ailleurs à présent comme parfaitement logique… Mon exploration avait commencé à partir de cette pièce vers la salle où se trouvait le domicile de Robin des Bois. Celui-ci les avait sans doute conduit là-bas, où ils avaient, je l’espérais, retrouvé d’autres hommes de l’archer. Ils avaient ensuite continué plus avant, mais avaient été bloqués par le gouffre. En bas, la pièce des Mirages et son sol transparent. Ils étaient coincés, et le guerrier savait où.
– Explorez toutes les pièces ! cria notre adversaire. Ils sont forcément dans une des pièces autour ! Et le plus probable est que c’est un champ de bataille dans une autre pièce qui vous y conduira. Ce doit être la pièce précédente, si mes sources sont bonnes. Je ne doute pas qu’ils vont rapidement être tués. Je veux à tout prix l’humain banal vivant !
« Banal ? » pensai-je.
« Oh… fit soudain Awitchakaën. J’ai une idée. Cela va me coûter mais je pourrais les aider. »
« Quel genre ? » demandai-je.
« Je retourne dans le corps d’Analayann, pour un moment. Je lui explique rapidement qui je suis, et je la préviens que les soldats vont arriver. Cela leur évite d’être pris par surprise, et je sais des choses sur les hommes des démons qu’ils ignorent. Tous les démons ont des préférences quant à leurs serviteurs, je sais lesquelles. Et la tâche me sera facilitée si c’est un ancien champ de bataille. »
« Eh bien vas-y, si tu y tiens. Bonne chance ! »
Je n’eus pas de réponse. Il était déjà parti.

Le démon guerrier se tourna vers nous.
– Je crois qu’il est temps de vous tuer. Je vais garder le nain, il m’est utile, surtout son dém… »
Il s’interrompit, et fronça les sourcils.
– Ton démon… Qu’en as-tu fait ? »
J’ouvris la bouche pour lui répondre. D’un coup, il sortit de mon champ de vision, percuté par une forme gigantesque. Je clignai des yeux, et regardai ce qui avait causé cela.
Le grand petit nain se releva, et sauta à côté de nous.
– Croyez bien que c’est la dernière fois que je fais ça, dit-il en tranchant nos liens métalliques. La nécessité m’y force, malheureusement. BATTEZ-VOUS ! »
Vic, le premier, faucha les jambes d’un troll. Il récupéra rapidement son arme, et égorgea son voisin. Le Maître des Robots visa la tête d’un troll, qui se brisa sous l’impact d’un sortilège. Le Prophète vola vers un groupe de snipers et commença à les décimer à une allure impressionnante. Le nain fit la même chose que moi, à savoir prendre une arme blanche et foncer dans la mêlée. Jad, qui respirait quand même avec difficulté, imita les Maîtres et tira un premier sort vers la masse des ennemis. Nous poursuivions désormais tous le même but : les empêcher d’explorer les pièces alentour. Le Maître des Glaces se leva lentement, et tendit les mains en avant.
Le démon guerrier se releva.
Les mains du Maître bleuirent.
Le démon guerrier hurla de rage.
Le Maître ferma les yeux, et l’air refroidit autour de lui.
Le démon guerrier leva la main et prépara son sort.
Un énorme bloc de glace se matérialisa dans l’air, maintenu par la volonté du Maître. Le démon leva la tête, vit ce qui l’attendait, voulut bouger. Quatre murs de glace s’élevèrent autour de lui, l’immobilisant environ dix secondes, le temps qu’ils fondent à l’usage de sa magie. Le Maître des Glaces relâcha son bloc.

Le démon guerrier poussa un terrible hurlement et s’immobilisa.
– Il est neutralisé pour un moment ! cria Vic. Félicitations ! Maintenant on court. Il faut à tous prix qu’on sécurise Un gars.
– Cela ne servirait à rien, répondis-je. S’il se réveille, on ne pourra pas l’empêcher de nous vaincre tous.
– Et il se réveillera, confirma le Maître des Glaces. On n’a pas tellement d’options… D’autant plus qu’on a beau lutter contre le sort, la prophétie se réalisera.
– J’espère bien, dit le grand petit nain en accourant vers nous. Le Château a eu une idée tout à l’heure et est parti la réaliser. S’il y arrive…
– Quel genre d’idée ? demanda le Maître des Robots.
– Je parie qu’il veut tirer profit des termes de la prophétie, aisément modifiables, réfléchit le Maître Prophète. Comment ?
– C’est ça, sourit mon frère. Il creuse.
– Pardon ? fit Vic.
– Évidemment, s’exclama le Prophète. « L’espoir renaîtra au plus profond du Château »… Ce qui dort dans l’actuelle pièce la plus profonde ne reprendra pas espoir sans raison, mais si la pièce la plus profonde n’est pas la même… Il peut y mettre n’importe qui, donc quelqu’un à qui il serait facile de faire croire quelque chose afin qu’il reprenne espoir. Dans ce cas, si la prophétie s’applique… Cela n’affectera pas l’ennemi du Château. 
– Ingénieux, admit le Maître des Robots.
– Vite, nous pressa le grand petit nain, nous devons ralentir l’armée ennemie ! Ils sont trop nombreux pour qu’on les batte, mais on peut au moins les empêcher d’atteindre Un gars jusqu’à ce que le Château ait réussi. »
– Allons-y, approuvai-je.

Jad se battait encore, ainsi que le nain. Les trolls n’avaient pas réagi assez rapidement pour éviter la mort, et tous les autres soldats étaient partis dans les autres pièces, sauf ceux que nous avions retenu.
Vic me jeta une arme à feu, et je repris ma hache. J’ouvris la première porte que je vis, et je commençai à tirer.

Je ressortis. Trois soldats s’approchèrent de moi en hurlant. Le Maître des Glaces les figea sur place et me rejoignit.
– On doit les rejoindre ! me cria-t-il. Ils ont trouvé où étaient tes amis, et ils se battent à leurs côtés ! Mais… Il en manque, je crois.
– Allons-y, alors, acquiesçai-je.
Le Maître me fit signe de me mettre à côté de lui. Il me saisit le bras, et sauta en l’air. Sous ses pieds, le sol devint glace. Il retomba avec moi, et tout le terrain devant nous se transforma en glace, traçant un chemin menant vers une porte assez proche de nous. Quelques rares soldats couraient encore, en petits groupes, mais tous se dirigeaient au même endroit, le même que nous. Tandis que nous glissions tant bien que mal, à une allure plus que respectable, vers notre objectif, le Maître jetait quelques sorts et je tirais quelques munitions sur les ennemis qui passaient à notre portée. Une fois au bout du chemin, toute la glace se décolla du sol et se mit à graviter autour du Maître. Celui-ci leva les mains, et la glace se stabilisa.
– La plupart des soldats sont déjà à l’intérieur, me prévint-il. Nous allons tenter de profiter de l’effet de surprise pour forcer le passage et rejoindre les autres.
– Il n’y a plus personne dehors ? interrogeai-je.
– Non, ils y sont allé tout de suite après que tu entres dans ta pièce… Tu étais vraiment le dernier.
– Ah…
Le Maître ouvrit la porte, et abattit ses deux mains. Les blocs de glace figés en l’air partirent à toute allure droit devant lui, et percutèrent dans le dos la moitié des ennemis entassés devant la porte, essayant de la défoncer. Tous ceux que les blocs n’affectaient pas ou qui n’avaient pas été touchés se retournèrent, et le Maître hésita. Ce fut presque la seule fois que je le vis hésiter, d’ailleurs. Il m’attrapa de nouveau le bras, et de son pied commença à sortir de la neige. Alors que les premiers adversaires commençaient à nous tirer dessus, une créature blanche sortit du sol et se plaça entre nous et nos ennemis. Elle nous souleva et força le passage, percutant trolls et Géantais, et affrontant les flammes d’un magicien du feu, que le Maître neutralisa d’un coup. La créature rentra dans la porte, mais celle-ci ne s’ouvrit pas.
– C’EST NOUS ! hurlai-je. OUVREZ !
Le Maître fit volte-face, tandis que le monstre de glace s’écrasait au sol, détruit. La porte s’ouvrit derrière nous, et les deux autres Maîtres, qui tenaient les deux battants, vinrent à notre secours. Nous entrâmes en catastrophe, et la porte se referma avec fracas derrière nous.

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