Tout au bout du bord de l’extrême, derrière les dernières montagnes du Monde, s’élève le Château des 100 000 pièces Les murailles, et les tours et les étages de ce palais s’élèvent, à ce qu’il vous paraît, bien au-delà des nuages, au-dessus des cimes.
LES TOITS DU DESSOUS
LES TOITS DU DESSOUS

LES TOITS DU DESSOUS

Carnet de Devhinn
Pièce perdue n°10 (soit la 54ème pièce)

– Depuis la pièce d’Émérence et de la Créature… Wow, je ne sais même pas combien de temps a passé. Je crois que même si je me rappelais de tout je n’y arriverais pas.
– Impossible de savoir en effet.
– Bon. Je suppose que c’est rassurant.

Avant de continuer, j’aide Analayann à contourner l’une des imposantes cheminées qui ornent les toits que nous traversons. Quand on sait que l’on vient de descendre au moins une trentaine d’étages, difficile de croire au plafond obscur et constellé d’étoiles qui nous environne. Un vent sournois nous fait tanguer tantôt à gauche, tantôt à droite. Je reprends.

– J’ai eu tout le temps de repenser à tout ce que j’ai vécu. Quelle que soit la vie étudiée, j’arrive à la conclusion que je ne sais plus grand-chose. J’ai marché de long en large dans des pièces qui ne faisaient que me rappeler que tout est faux ici, personnes ou situations. Ce qui ne m’arrange pas la tâche pour comprendre ce dont je me rappelle. Et puis tu… Hop là attention !

Les tuiles sur lesquelles nous marchons sont vieilles, et certaines menacent de se déloger sous nos pieds. J’enserre un peu plus le bras de mon alliée, de peur que la prochaine tuile branlante la fasse chuter quelques étages en trop. Le vent n’aide pas et d’ici, on ne voit pas le fond. Pas plus qu’on ne distingue le dernier toit. En revanche je crois apercevoir une de ces portes en haut des immeubles qui permettent de redescendre dans les étages.

– On peut faire une pause si tu veux, je propose. Sinon je crois qu’il y a une sortie là-bas. Enfin, à quelques dizaines de mètres.
– Non, non, s’il-te-plaît non, continuons. Continue ce que tu disais.
– Eh bien… J’allais dire que je t’ai vue, qu’au milieu de toute cette errance tu es apparue. Mais dans cette pièce là… Je ne sais pas, tout ne semble pas concorder. Il s’y est passé beaucoup de choses.
– Qu’est-ce que tu entends par là ?
– D’abord je t’ai entendue. Ça j’en suis sûr. Et puis je crois m’être figé. T’avoir vue, l’espace d’un instant… Attention on change de toit. Et puis il y a eu le Château. Je peine à comprendre cette partie là.
– Tu veux dire qu’il était là ? Complètement rétabli ? Après tout ce qui s’est passé avec Émérence ?
– Je… Je crois. Je ne sais plus très bien. Il me semble pourtant qu’à un moment, je le tenais en joue avec une flèche. Et puis il a disparu.

Analayann est visiblement perplexe. Je profite du silence pour rassembler mes souvenirs.

– Mais… Quelque chose m’échappe. Pourquoi est-il venu te voir ?
– Je me rappelle de feu, de cendres, de rouge… Il m’a fait une proposition que j’ai certainement refusée. Oh attends.
– Il va forcément y avoir des répercussions. Le Château n’est pas du genre à accepter qu’on lui réponde par la négative.

Tandis que nous approchons de la porte, je fouille mes poches de jean. J’avais complètement oublié qu’elle y traînait encore. La voilà de nouveau dans ma main, cette étrange pièce écarlate.

– Qu’est-ce que tu fais ?
– … J’ai cette drôle de pièce que j’avais trouvée là-bas. Rouge, presque rouge sang. Je ne sais plus comment je suis tombé dessus.
– Je peux la prendre ?
– Oui bien sûr.

Je prend sa main et vient y déposer la pièce. Ce qui, l’espace d’une seconde ou deux, fait que nous la touchons tous les deux. Et durant ces mêmes secondes, tout s’assombrit. Les fausses étoiles semblent s’éteindre, et avec elles toute lumière.
Mais je n’ai même pas le temps de m’effrayer, car en abandonnant la pièce rouge dans la main d’Analayann, tout revient à la normale. Je fais un pas en arrière, abasourdi, et la découvre figée, puis se mettant à crier.

– Comment… Comment tu as fais ?
– Je… De quoi tu parles ?
– L’espace d’un instant… Je voyais. Je t’ai vu. Je voyais tout. Comment…
– Et moi je ne voyais plus rien. Absolument plus rien.

Analayann pose sa deuxième main sur la pièce, et la manipule en tout sens, l’air absente. Puis elle relève la tête vers moi.

– Tu… Tu voudrais bien le refaire ?

Évidemment que nous avons compris ce qu’il s’est passé. Je reste silencieux, tandis qu’elle avance lentement sa main vers moi. Le vent autour de nous rend cette scène incroyablement dramatique, avec nos vêtements et cheveux virevoltants. Je pense qu’il va falloir vite s’abriter car les vents aléatoires tendent à se muer en tempête. Mais je tends ma main, et la dépose sur la sienne.

Me voilà de nouveau subitement dans le noir. C’est certes effrayant, mais je tente de rester calme. Les secondes passent, et à de rares instants je crois discerner certains contours de mon acolyte. Sans savoir s’ils existent ou si je les imagine tout simplement. Puis c’est Analayann qui brise le lien, et je l’observe yeux grands ouverts, comme apaisée, même si elle est retournée dans le noir. Je pose ma main sur le haut de son bras.

– Ce n’est que le début. On peut trouver le moyen. On prendra le temps qu’il faut pour essayer de répondre à tous nos problèmes.

La tempête s’endurcit et nous vacillons tous les deux. J’incite rapidement Analayann à se diriger vers la porte. Elle referme son poing sur la pièce, tandis que nous quittons les toits.

 Auteur : Un gars… sous le pseudo « un gars… »

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