L’arcade que je viens de franchir ouvre sur un long hangar aux murs en lattes de bois sombre, une grange en quelque sorte. Je me tiens sur une allée centrale grossièrement pavée, tandis qu’à ma gauche comme à ma droite se dressent des sortes de boxes. Serais-je dans une écurie ? Je pousse le battant d’un box et constate la présence d’un abreuvoir et d’un bac empli de foin. Aux murs, des brosses et des fers sont suspendus, semblant confirmer mon hypothèse. Toutefois, pas la moindre trace de cheval dans la stalle – ni de mes moutons, par ailleurs.
Je pousse une à une les portes battantes des boxes, sans trop savoir ce que j’y cherche. Quelque chose m’intrigue ici, mais impossible de mettre la main dessus. La main ou plutôt… le nez ! Mais oui, voilà ce qui me perturbe depuis mon entrée dans le bâtiment : à la différence de la cour dont je viens qui empestait le fumier, ces écuries dégagent un parfum étrangement agréable. Snif snif… Je renifle de manière peu distinguée, mais personne n’est là pour me juger. Un mélange de lavande, de rose et de soupe au pistou embaume l’air, et plus je m’avance dans le hangar, plus l’odeur se fait forte. Perdu dans mes fantaisies olfactives, je ne paie plus guère attention aux battants que je pousse, toutes les stalles se ressemblant les unes aux autres. Quelle n’est donc pas ma surprise lors qu’un tonitruant « Hé ! Faites comme chez vous ! » retentit alors que j’entrouvre la porte du dernier box. Je me retrouve face à une majestueuse licorne argentée qui me fusille du regard. Je comprends alors que c’est cette créature qui dégage ce délicat parfum. L’esprit quelque peu embrouillé par l’entêtante fragrance et le nuage d’étoiles qui entoure le cheval cornu, je bafouille :
« Ahem oui pardon je… Veuillez m’excuser, c’est que… enfin…
– Alors tu la craches ta valda ? »
Le ton bourru et le vocabulaire peu châtié de l’animal détonnent fichtrement avec son apparence gracieuse. Je me frotte les yeux pour me ressaisir. Bon sang Bah Bernard, tu ne vas pas commencer à perdre contenance pour si peu ! Un raclement de gorge plus tard, je reprends :
« Excusez-moi mon brave, je ne voulais pas vous déranger, je croyais que l’endroit était abandonné.
– Et bien non mon vieux, y a moi ! Les autres je les ai mangés… Mais non je plaisante ! s’esclaffe la licorne face à l’éclair de panique qui traverse mon regard. Nan ils sont partis se balader dans les couloirs les potos, mais j’avais la flemme alors je suis resté là à faire un petit somme tu vois… Enfin ça, c’était jusqu’à ce que monsieur vienne me réveiller tsss, renâcle la licorne, avant d’éclater de rire. T’inquiète mon gars je plaisante, je plaisante ! On est cool ici. Bon qu’est-ce que tu cherches comme ça ?
– Euh, et bien, je bredouille, toujours quelque peu dérouté par le chaud-froid que m’inflige l’animal, à vrai dire je cherche mes moutons, vous ne les auriez pas vu passer ? »
Il secoue la tête de gauche à droite, agitant les paillettes dans l’air.
« Désolé vieux, ça me dit rien ton histoire ! Après comme je disais, je pionce pas mal, donc je les ai peut-être ratés… En tout cas s’ils sont passés dans le coin, ils n’ont pu que continuer par-là ! dit-il en pointant une large porte en bois grande ouverte à quelques mètres du box.
– Et bien, merci alors… Je ne vous dérange pas plus monsieur… Monsieur la licorne ?
– Tranquille mon frère, tu peux m’appeler Bobby, et sans rancune pour tout à l’heure ! Bonne chance pour les retrouver tes bestioles, repasse me voir quand tu repars, ça me fera plaisir ! Par contre là tu m’excuses mais… » Il baille largement. « …mais faut que je retourne me pieuter ! Allez ciao, à la revoyure ! »
La licorne me donne une tape amicale sur l’épaule d’un coup de sabot, ce qui ne manque pas de me faire vaciller, avant de se retourner et de fermer les yeux. Toujours sous le choc de cet échange déroutant, je cligne des yeux à plusieurs reprises dans une tentative de reprendre contact avec la réalité, avant de me diriger vers la sortie des écuries. Quelque chose me dit que je ne suis pas au bout de mes surprises dans ce Château…
Auteur : Aur’Jan sous le pseudo « Aur’Jan (Bah Bernard) »