Tout au bout du bord de l’extrême, derrière les dernières montagnes du Monde, s’élève le Château des 100 000 pièces Les murailles, et les tours et les étages de ce palais s’élèvent, à ce qu’il vous paraît, bien au-delà des nuages, au-dessus des cimes.
LE LABYRINTHE DES MARIONNETTES MALÉFIQUES
LE LABYRINTHE DES MARIONNETTES MALÉFIQUES

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LE LABYRINTHE DES MARIONNETTES MALÉFIQUES

Ailes d’Ange (Aile 2) as Ailes d’Ange (Aile 2)

Une bibliothèque ? Ceux qui avaient marqué ça n’allaient pas très bien dans leur tête. La pièce ressemble plus à un atelier de menuiserie qu’à une bibliothèque. Elle est plongée dans la pénombre et se découpent en ombres chinoises des tables et des formes suspendues. Je m’en approche. Peu à peu, mes yeux s’accoutument au peu de lumière, me permettant de distinguer des dizaines, voire des centaines de mannequins en bois, des marionnettes aux traits figés, accrochées aux poutres de bois. Je sens que l’Ombre est aussi intéressée que moi par ces objets d’art. La précision des traits me fascinent.
Ensemble, nous avançons dans les allées. Cette pièce est vraiment immense. Je n’en vois pas le fond, qui se perd dans l’obscurité. La beauté et l’étrangeté des lieux me font peu à peu oublier l’horreur de la statue mouvante et des sacs remplis de …. Je préfère ne plus y penser. Je secoue la tête pour chasser ces souvenirs beaucoup trop frais à mon goût. Ici, tout à l’air calme, paisible, endormi. Et je me surprends à espérer que l’on va enfin pouvoir souffler un peu.
Je secoue mes vêtements, sommairement, du plat de la main, soulevant un nuage de poussière qui me fait tousser. Je suis en train de tousser des cendres humai… Stop ! J’avais dit que j’y pensais plus ! Pour oublier, je sors l’unique objet que j’ai dans ma poche : la pièce de monnaie d’Emmanuel. Sans vraiment réfléchir, je la lance en l’air, et la rattrape au vol.
« Dis… je ressemble à quoi ? »
Cette question m’est venue toute seule. Maintenant que je ne suis plus en état de stress intense, je me rappelle que justement je ne me rappelle rien. Et je ne sais pas à quoi je ressemble. L’Ombre continue de marcher au même rythme que le mien, tout en levant la tête vers moi. Elle me regarde un moment avant de commencer à me répondre :
« Alors… tu dois être plutôt jeune. Je te donnerais environ vingt ans et… »
Elle s’interrompt, la bouche ouverte. Je m’arrête, elle fait de même. On ne fait plus aucun bruit. Et j’entends ce qui l’a perturbée. La pièce était silencieuse, mais là, des voix murmurent. Ce sont des chuchotis à peine audible, qui semblent venir de derrière nous, mais je n’en suis pas sûr. On dirait une multitude de voix qui se rapprochent. On échange un regard, puis on se met à courir. Je commence à en avoir marre de courir. Et c’est loupé pour le repos.
Je cours de toutes mes forces, mon cœur bat à tout rompre dans ma poitrine. L’Ombre glisse silencieusement sur les établis et les marionnettes, juste un petit chuintement. Les voix sont de plus en plus proches.
Soudain, on s’arrête d’un coup. On ne peut plus avancer, on est dans un cul de sac. On ne peut que faire demi-tour. Alors que l’on pivote sur nous-mêmes, un mouvement attire mon regard sur le côté.
Je me fige.
L’une des marionnettes bouge lentement ses bras, ses jambes, sa tête, avant de se décrocher du plafond, laissant ses ficelles pendre aux poutres. Elle tombe sur le plancher dans un bruit sourd, se retrouvant du même coup au milieu de l’allée par laquelle nous sommes venus. Nous sommes bloquées.
A pas lents, elle se rapproche de nous. Sans m’en rendre compte, je recule, jusqu’à butter contre le mur de briques. Une pensée traverse ma tête : après la statue animée, pourquoi pas la marionnette ? Je retiens un rire nerveux. Une autre question fuse : étais-je folle, avant de perdre la mémoire ?
Un tremblement juste devant moi me tire de ces pensées. Maintenant, la marionnette est juste devant nous. J’avale difficilement ma salive. Bien qu’elle soit moins grande que ce que je pensais, elle n’en reste pas moins très impressionnante, et légèrement hostile à notre égard.
Nous n’esquissons pas un geste, tandis qu’elle tend ses mains vers nous. L’Ombre me murmure dans la tête :
« Maintenant ! »
A son signal, je me baisse, et je glisse, pieds nus, sur le parquet, entre les jambes écartées de la marionnette. Je ne dois pas être bien grande, j’y passe sans peine. Je me relève d’un bond et nous reprenons notre course.
Avant un temps de retard, elle se retourne et s’élance à notre poursuite. Je cours de toutes mes forces, guidée par l’Ombre. Je note dans un coin de ma tête de penser à la remercier. Elle passe son temps à me sauver, et je crois que je me serais déjà fait rattraper sans elle. En effet, elle me fait tourner aux derniers moments dans des allées étroites, prendre des angles en épingles, nous permettant de reprendre un peu d’avance à chaque fois. Mais notre maigre avantage n’en finit pas de diminuer. Et fatalement, vient le moment où nous sommes obligées de nous arrêter pour faire face.
Je manque de m’étrangler. Notre poursuivant soulève maintenant dans sa main droite une longue dague. Mais où est-ce qu’il a bien pu la trouver ? Je me sens soudainement encore moins prête à l’affronter.
« Ça risque d’être chaud… »
Merci, l’Ombre, de me rassurer… Mais on ne peut plus fuir. Je me campe sur mes jambes, un filet de sueur entre les omoplates. Ni lui nous ne bougeons.
C’est lui qui se décide en premier. En même temps, j’allais pas me jeter à mains nues sur lui… sans émettre un son, il se précipite sur nous. D’un mouvement de bassin, j’évite sa lame, qui s’enfonce dans le vide. Il recommence immédiatement, m’obligeant à me baisser. Je ne sais pas trop ce que je fais ensuite, je ne pense plus vraiment. Je réponds à des reflexes qui me viennent naturellement. Des vestiges de mon passé ?
Je n’ai pas le temps de m’attarder dessus. Pour échapper à son coup suivant, je me rapproche de lui, technique que je trouve suicidaire, mais que j’exécute tout de même. L’arme passe dans mon dos, et je me retrouve plaquée contre le torse de la marionnette.
Le contact me perturbe. On ne dirait pas du bois. Sous le tissu, on dirait… de la peau, de la chair. Je lève la tête vers la sienne. Ses yeux noisette me regardent sans expression aucune. La pupille est fixe. Quand je croise son regard, une impression diffuse de malaise me perturbe. Je sais que je n’ai pas le temps, mais je ne peux m’empêcher de détailler le mannequin de bois. Il représente un homme, à en juger par la sculpture des traits et les cheveux courts, noirs. Je suis suffisamment près pour bien le distinguer maintenant, malgré la pénombre.
Mes yeux se portent au dessus de ma tête, et je reviens immédiatement à la réalité, tandis que j’entends enfin l’Ombre qui me crie dans les oreilles. Je ne réagis pas assez vite pour éviter la lame qui descend rapidement vers ma tête. Je me jette en arrière, appuyant de mes deux mains sur le torse de la marionnette. La lame m’entaille la joue en une coupure verticale qui me brûle aussitôt. Je sens un peu de sang couler.
Je tombe sur les fesses, m’écorchant les mains au passage. L’Ombre me pousse aussitôt à me relever, et à courir. On gagne un temps d’avance, la marionnette est déstabilisée par son coup –à moitié- manqué. Elle ne se lance pas tout de suite à notre poursuite.
De nouveaux dédales, embranchements sans fin, allées identiques. Je soupçonne même le fait que l’on revienne régulièrement sur nos pas. À nouveau, l’Ombre nous guide sans hésiter un seul instant. Je me contente de suivre ses indications, perdue dans mes pensées. J’ai la tenace impression qu’un détail m’a échappé. Un détail crucial. La douleur qui pulse de ma coupure m’empêche de réfléchir. Je sens la plaie chaude et suintante.
Sans me prévenir, l’Ombre me pousse soudainement sous une table, juste après un virage serré. Je m’étale de tout mon long, me gardant bien de crier, même si j’en meus d’envie. Je replie mes pieds et arrête presque de respirer. Au pas de course, notre poursuivant passe sans regarder devant notre cachette et disparait au virage suivant.
Nous ne bougeons toujours pas. On peut entendre la marionnette s’éloigner à travers l’immense labyrinthe qu’est cette pièce. Enfin, lorsque le silence revient, nous nous autorisons à souffler un peu. Plutôt que de revenir dans l’allée, nous nous enfonçons un peu plus sous la table. Je bascule en arrière, et me crispe, persuadée d’avoir fait beaucoup de bruit.
« C’est bon, on ne risque rien, regarde où on est. »
Ces mots rassurants de l’Ombre glissés à mon oreille me font relever la tête. Et je la comprends quand elle dit qu’on est en sécurité. Enfin, tout est relatif. Nous nous trouvons à l’emplacement d’un ancien établi, complètement effondré, entouré d’armoires métalliques et d’autres tables. L’espace dont l’on dispose est assez réduit, je peux à peine y étendre les jambes, mais suffisant. Je me surprends à espérer que l’on ne trouvera pas.
« Je suis désolée. Je…
-Tu n’as pas à l’être, même si j’aurais préféré que tu n’oublies pas que tu pouvais potentiellement te faire tuer. »
Je baisse la tête, confuse. Je n’arrive plus trop à réfléchir.
« Ça à l’air de quoi ? »
Du bout des doigts, je montre ma joue. L’Ombre se penche vers moi, et grimace.
« Je vais pas te mentir, c’est pas joli-joli. Je dirais que ça commence à s’infecter. Il y a un liquide un peu vert qui coule, mais plus de sang. Par contre, c’est bizarre, ya comme des marbrures noires qui partent de ta coupure, et qui s’étalent sur la joue. Ça me dit rien qui vaille… »
Je la remercie d’un hochement de tête. C’est douloureux, et j’ai comme l’impression d’avoir la moitié gauche du visage insensibilisée, je ne sens plus rien. J’appuie doucement du doigt à côté, mais je n’ai pas la moindre sensation. C’est étrange, ça me rappelle quelque chose. Quelque chose d’avant. Quelque chose de vraiment important… comme pour la marionnette.
« Tu n’as rien remarqué de bizarre avec la marionnette ? Ou avec son ombre ?
-Franchement, je n’y ai pas trop fait attention, elle bougeait avec la marionnette je crois.
-Humhum… d’accord, merci…
-Pourquoi ?
-Je sais pas, j’avais trouvé un truc louche à la mario… »
Un bruit m’arrête. On tourne en même temps la tête vers le côté, juste à temps pour voir disparaitre une sorte de rat mécanique. Je ne réagis pas tout de suite, contrairement à l’Ombre, qui me bouscule pour que je me relève.
« Dépêche-toi ! il va ramener la marionnette, et on a pas intérêt à être encore là quand elle débarquera ! »
Je hoche la tête, et obéis. Tout se répète encore, il faut courir, fuir. Mes jambes avancent toutes seules, ma tête n’est plus en état de réfléchir. Une aiguille de douleur me transperce les tempes à chaque fois qu’un de mes pieds touche le sol. J’ai envie de vomir, de m’arrêter, de m’étaler par terre et de ne plus bouger. Heureusement que l’Ombre est là. J’ai oublié de la remercier. Faut que je le fasse. J’entrouvre la bouche pour lui dire tout ce que je lui dois, mais aucun son ne sort.
En travers du passage, la marionnette avance lentement, mais sûrement. Ah, dommage, elle nous a trouvé. J’en ai marre de courir, je n’ai plus envie d’avancer, mais l’Ombre ne l’entend pas de cette oreille, et me pousse à faire demi-tour. Mon pied ripe, et je m’étale de tout mon long. Je me retourne sur le dos juste à temps pour bloquer la charge de la marionnette. Du plat des deux mains, je stoppe la lame à quelques centimètres de mon visage. Un voile de sueur coule dans mes yeux, mais je ne lâche pas, la mâchoire crispée à m’en faire grincer les dents.
Je ne sais combien de temps je tiens comme ça, quand l’Ombre me parle dans les pensées d’une voix rapide et hachée.
« Son ombre est vivante, elle me parle. Ce n’est pas une ombre de marionnette, mais d’être humain. … dit … humain …trôlé par… nuque… »
Je n’entends plus rien, le sang bat à mes temps, et je cède. La lame s’enfonce dans le parquet à côté de ma tête. Les derniers mots tournent en boucle dans mon esprit. Emportée par son élan, la (pseudo ?) marionnette bascule en avant. Sa tête passe à côté de la mienne, et mes yeux se retrouvent à hauteur de sa nuque. Là, je vois un minuscule carré gris, une puce qui s’enfonce dans la peau – car c’est bien de la peau, et pas du bois – de mon adversaire.
Mes doigts tremblent lorsque je m’en saisis. Je la pince entre le pouce et l’index et tire dessus de toutes mes forces. Elle sort avec un bruit de succion. Dès que je l’arrache, l’homme se cabre en hurlant. Je crois que je crie en même temps que lui, mais je n’en suis pas sûre. J’ai la sensation qu’une toile de brume s’enlève de mon esprit. Ses yeux croisent un instant les miens, et je remarque, en plus de la noisette de tout à l’heure, une pointe d’argentée, qui n’y était pas. Cette différence se fait un chemin dans mon esprit embrumé, cherchant à réveiller quelque chose.
Enfin, il arrête de crier. Il est assis, devant moi. Je me relève, pour lui faire face. Je n’ai pratiquement plus aucune force et mon visage me brûle, noyant mes pensées. C’est l’Ombre qui s’adresse à l’inconnu.
« Comment tu t’appelles ? qui es-tu ? »
Il a l’air désorienté, quoi que assez maître de ses pensées. Il semble assez surpris qu’une ombre lui parle, mais il ne capte pas totalement l’étrangeté de la situation, sauf s’il est habitué…
« Jad. Jad de Salicande. Je suis un magicien et le château a pris le contrôle de mon corps… »
Je n’entends pas la suite. Les quelques derniers mots ont percés les ténèbres qui envahissent mon cerveau. D’une voix pâteuse, les yeux fermés, je murmure :
« Magicien. La couleur argentée dans les yeux. C’est le signe d’un magicien… »
Je vois l’Ombre et Jad me regarder bizarrement avant de basculer en arrière et de perdre connaissance, dévorée par les ténèbres et la douleur.

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