Tout au bout du bord de l’extrême, derrière les dernières montagnes du Monde, s’élève le Château des 100 000 pièces Les murailles, et les tours et les étages de ce palais s’élèvent, à ce qu’il vous paraît, bien au-delà des nuages, au-dessus des cimes.
LE JARDIN MÉCANIQUE
LE JARDIN MÉCANIQUE

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LE JARDIN MÉCANIQUE

Arrietty as Arrietty

C’était le monde. Autour de moi, dans toute ces pièces. C’était le monde dont j’avais rêvé durant mon enfance, en dévorant ces livres d’histoires étranges que j’essayais de mes mains minuscules, de soulever. C’était le monde qui se tenait dans chacune de ces salles, un univers étrange, merveilleux, comme dans ces contes d’Orient où tout peux arriver. Ce monde, là, à portée de main.
Lentement, j’avançais dans le couloir de bois brut, m’arrêtant devant chaque porte, imaginant chaque pièce, sans y entrer. Je voulais encore marcher, un peu plus loin, monter un étage et voir les environs par une fenêtre. Moi qui étais rentré en ces lieux par hasard, je voulais les connaître avant de les explorer.
Après quelques minutes de marche, les yeux écarquillés pour mieux voir le palais bizarre dans lequel je me trouvais, je finis par arriver devant une grande fenêtre et, voletant un peu plus haut, à apercevoir les alentours, une immense plaine désolée, une montagne au loin, un forêt. J’avais l’impression que j’étais à des milles et des milles de toutes terres habitées. Et j’avais sans doute raison. Un sourire timide se dessina sur mon visage. J’étais perdue, loin de chez moi. J’étais morte. J’étais condamné à rester sur cette Terre. J’étais immensément heureuse.

Lentement, je repris ma déambulation, me baladant entre les hautes tourelles, les chemins de rondes, les couloirs infinis de ce château immense. Il me semblait avoir monté quatre ou cinq étages sur des escaliers tous différents, avoir observé plus de portes que je ne pourrais jamais en compter lorsque soudain, ma main caressant le mur effleura une fine grille de fer forgé, d’une minutie et d’une beauté extraordinaire, en plein milieu du possible sixième étage, dans la continuité de la pierre sombre du mur. Constitué de centaines de petites brindilles de fer, toutes entremêlées dans un immense tout, formant des longues branches qui semblaient ne jamais finir, la grille était très belle. Et, encastrées dans les lianes comme des étoiles dans le ciel, des minuscules roues dentelées émergeaient ça et là, tournant lentement dans un rythme imprévisible et minutieux, produisant un infime déclic à chaque rotation. La grille entourait délicatement, comme un écrin sombre, un beau jardin, semblant étinceler au soleil qui filtrait à travers une fenêtre un peu plus loin. Levant lentement la main, je poussais la grille et, sans un grincement, elle s’entrouvrit, me laissant pénétrer dans la cour.
C’était sublime.
Les mots me manquait devant pareille beauté. Devant pareille étrangeté. Chaque arbre épuré aux formes délicates, chaque feuille aux contours doux et tranchants à la fois, chaque brin d’herbe chaud d’une bizarre couleur argenté… tout… tout dans ce jardin était constitué de… de métal. Une cour inimaginable sculptée pendant sans doutes des dizaines d’années. Magnifique.

Les yeux fixés sur un arbre, perdue dans ses lignes sans fin, j’entendis soudain un son, mélodieux, mécanique, un peu plus haut. Un oiseau. Dessiné comme une lame, de la même couleur qu’un poignard. Sans rognures, éraflures, angles durs. Perché sur une branche, il sifflait, quoi que le mot soit bien faible pour décrire l’étrangeté de son chant. Comme de la pluie fine tombant lentement sur une forêt de tuyaux de métal. C’était… lumineux. Mécanique. Comme l’oiseau en fait. Car, alors qu’il s’envolait pour se poser un peu plus loin, le joyeux cliquetis que produisaient le battement de ses ailes ne laissait aucun doute. Il n’était pas vivant.
Je m’assis le plus doucement possible contre un arbre au tronc chaud, éclairé par la lumière du soleil. Les yeux fermés, le chant de l’oiseau résonnant contre les autres créatures du jardin, j’essayais de sentir sous mon corps les brins d’herbes métalliques. Hélas, rien, à part la sensation d’avoir un souffle d’air autour de moi. Comme d’habitude à vrai dire.

Mais pour une foi, rien ne me paraissais grave. Parce que j’avais décidé que j’allais y arriver. A partir. J’allais quitter tout ça. J’allais cessé de déambuler partout, d’errer sans but. J’allais y arriver.
J’allais mourir, vraiment.

Et c’est sur cette décision que j’ai quitté le jardin mécanique, l’oiseau de métal sur l’arbre épuré, me fixant d’un air chagrin.

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