Ou la pièce qui contenait des coffres, des souvenirs et de la poussière
Au moment où nous franchîmes la porte, nous retrouvâmes nos corps respectifs et notre liberté de mouvement.
Nous étions dans une pièce de taille modeste, d’après ce que je pouvais en juger à travers l’amoncellement d’objets hétéroclites. Des petits soupiraux, à une hauteur de Troll Bleu des Désert, laissaient entrer une lumière assez faible.
Edel se promena dans la pièce et finit par se percher sur une sorte d’armoire métallique, juste sous un soupirail. Il souriait et ses boucles bleutées se soulevaient, comme portées par un vent invisible. Les tâches de couleur causées par l’autre imbécile de Frekadel au laboratoire s’estompaient. La lumière le soigne en plus de le nourrir, je compris. Mais alors pourquoi les éclairs qui avaient surgi du sac d’abondance n’avaient pas eu d’effet guérisseur ? C’était un mystère supplémentaire à résoudre.
Je distinguai une porte de l’autre côté de la pièce. Un monticule de coffres, d’armoires, de chaises et autres objets in-identifiables m’en séparait que j’entrepris de déplacer pour y accéder.
Alors que je tirai un gros coffre en bois, un tintement se fit entendre. Curieuse, je soulevai le couvercle. Des bouteilles de verres s’y entassaient à un tel point que certaines roulèrent sur le sol. C’étaient des bouteilles de toutes sortes, des bouteilles de vin vertes au goulot épaulé au petit flacon de parfum délicat et ouvragé en passant par les bouteilles d’alcool à brûler. Je ramassai une des bouteilles qui avaient rejoint le sol. Il s’agissait d’une sorte de fiole d’un demi-litre au verre trouble et inégal. A l’intérieur se trouvait une feuille de papier jauni par le temps. Je fis sauter le bouchon et découvris, après avoir tiré précautionneusement le papier, qu’il s’agissait d’un SOS écrit d’une main mal assurée. Après lui avoir rendu son message, je replaçai la fiole dans le coffre.
J’attrapai la bouteille suivante, une bonne bouteille de vin au verre épais et je remarquai la présence d’une feuille à l’intérieur. Coïncidence ou autre chose ? Je la sortis pour lire de nouveau un SOS sur le papier – plus blanc que le précédent. Une fois la bouteille replacée dans le coffre avec sa feuille, j’entrepris de replacer toutes les bouteilles dans le coffre.
Quand j’eus terminé, je levai les yeux vers Edel qui avait fini par descendre de son perchoir, intrigué.
– A priori, quelqu’un a fait la collection des bouteilles de SOS…
Je ne sais pas si parler avec quelqu’un qui ne peut pas vous répondre est un signe que votre santé mentale a prit des vacances mais de toute façon, la mienne est en congé indéterminé depuis longtemps et, à vrai dire, ça me fait plus marrer qu’autre chose, l’idée que je puisse être bizarre.
Je fermai le coffre et recommençai à le déplacer, Edel assis négligemment sur le couvercle. Il s’amusait à tracer des formes dans la poussière. Je plissai les yeux en le voyant faire.
– Attends, Edel… on dirait des inscriptions.
D’un geste de la main, je nettoyai le bois pour découvrir une ligne d’inscription en caractères fins et dorés.
– Recueil des bouteilles à la mer, lus-je. C’est… poétique.
Et puis autre chose me frappa :
– Edel… tu traçais dans la poussière, non ?
Le petit bonhomme de lumière hocha la tête, attendant la suite.
Il me semblait pourtant que tu ne pouvais pas avoir d’interactions avec le monde matériel ?
Il haussa les épaules en signe d’incompréhension alors qu’un grand sourire illuminait son visage et que je souris :
– On n’a pas fini d’avoir des surprises. Et pour une fois, c’en est une bonne ! Par contre, je ne sais pas si, progressivement, tu vas pouvoir faire de plus en plus de choses ou si c’était inné et qu’on le découvre que maintenant.
Edel pencha sa tête sur le côté en signe d’incompréhension pendant que je partais en petit monologue.
– Je veux dire, je ne sais pas si c’est quelque chose que tu savais faire depuis le début mais que tu ne découvres que maintenant, ce qui pourrait dire qu’il y d’autres trucs que tu peux faire sans le savoir, ou si tu acquiers des facultés progressivement, comme un apprentissage, ce qui fait que tu aurais une marge de progression et qu’un jour, tu pourrais faire des choses qui te sont maintenant impossible.
Edel sourit à tout va et se reposa sur le coffre. Je finis donc de le pousser pour m’attaquer à l’obstacle suivant – une collection de malles en cuir.
Parfois, par curiosité, j’ouvrai un des coffres que je transportais. Et à chaque fois, je trouvais une petite inscription sur le couvercle, d’une écriture dorée, comme tracée à la main. Je découvris comme cela, parmi un certain nombre, le Cimetière de papier des mots romantiques pour une sirène, l’Annuaire des épées rompues ou le Souvenirs des aventuriers de la Chambre de l’Acide. J’avais déplacé plus de la moitié de la pièce quand je tombai sur un coffret noir qui m’attira l’œil. Il semblait plus soigné que les autres, presque neuf, presque sans poussière. Une inscription non pas dorée mais d’un blanc éclatant le nommait Regards dépassés. A l’intérieur, des petites sphères de la taille d’un œil, dans une sorte de verre irisé et presque lumineux, reposait sur un tissu noir et doux. J’attrapai la première. Elle était chaude entre mes doigts. Une sorte de fumée blanche naquit en son centre jusqu’à l’envahir totalement. La sphère commença alors à grossir pour prendre la taille d’une pomme pour finir de la taille d’un ballon de basket. Je distinguai dans l’espèce de fumée des visages qui s’effaçaient aussitôt apparus.
Je n’arrivai pas à détacher mon regard du brouillard mouvant blanc. Le sentiment qu’il s’agissait de quelque chose d’important s’était emparé de moi, sans que j’arrive à définir en quoi. J’étais restée immobile un temps indéfini, les yeux perdus dans les profondeurs de la sphère, quand Edel posa ses mains sur la sphère, en face de moi.
La sphère commença à chauffer un peu plus et les mouvements de la fumée, jusqu’alors plutôt lents, s’accélérèrent brusquement. Des couleurs commencèrent à apparaitre. Les visages prirent plus de consistance. Et puis, une scène prit vie sous mes yeux.
C’était une jeune femme. Elle tenait un enfant dans ses bras, qu’elle berçait avec tendresse. L’enfant semblait paisible et dormait contre son sein. Elle semblait chantonner d’une voix douce mais aucun son ne me parvenait. La scène était emprunte d’une douceur presque palpable. Quelques temps après, deux enfants âgés d’environ six et sept ans sont arrivés. La femme leur a sourit et a pris le plus jeune sur ses genoux. Celui-ci regardait son petit frère avec amour alors que l’ainé semblait bouder. Soudainement, le cadet se tourna vers sa mère et lui posa une question en muet. Celle-ci répondit en secouant doucement la tête et en serrant l’enfant contre elle. Ce dernier se dégagea et parla de nouveau à sa mère. Le regard de celle-ci se fit plus dur et elle répondit plus sèchement. Un air blessé apparut sur le visage de l’enfant sur ses genoux alors que l’ainé sembla empli de colère. Il se mit à parler, d’une façon qu’on devinait pleine de reproches contre sa mère. Son frère le regarda à son tour et des larmes perlèrent au coin de ses yeux. Sa mère le reprit dans ses bras et il enfouit son visage dans la poitrine de sa maman, tandis que celle-ci lançait un regard dur à son fils ainé. D’un mouvement rageur, celui-ci s’éloigna, la tête haute mais le regard embué dès que sa mère ne put plus le voir.
La sphère se réduit pour reprendre sa taille originelle, sans que je réagisse, encore plongée dans la scène précédente. Comme engourdie, je reposai la sphère à sa place et m’assis sur le sol. Edel flotta lentement jusqu’à se retrouver lui aussi avachi sur le sol. On resta comme ça un moment, le temps de se remettre émotionnellement.
Quand je me relevai, je tendis la main vers la boite et caressai du bout des doigts la deuxième sphère mais un regard vers Edel épuisé et bien pâlichon – car il me semblait que c’était lui qui avait déclenché le phénomène – me convainquit de fermer le couvercle avant de céder à la tentation.
Mais je ne pus m’empêcher le prendre le coffret et de le mettre dans ma sacoche.
Je finis par atteindre la deuxième porte après avoir déplacer la plupart de la pièce quelques heures plus tard. J’échangeai un regard avec Edel et je me couchai sur un vieux lit qui se trouvai près de la porte alors qu’Edel se posait sur l’armoire sous le soupirail. Le sommeil ne tarda pas à venir.
Quand je me réveillai, Edel voletai déjà dans la pièce. Il avait reprit des couleurs et les marques laissées par le laboratoire avaient pratiquement disparues.
Après un petit déjeuner, on sortit de cette espèce de débarras à mémoire, emportant avec nous le coffret des Regards dépassés.
Autrice : Ailes d’Ange (Aile 1) sous le pseudo « AngeLune »