Tout au bout du bord de l’extrême, derrière les dernières montagnes du Monde, s’élève le Château des 100 000 pièces Les murailles, et les tours et les étages de ce palais s’élèvent, à ce qu’il vous paraît, bien au-delà des nuages, au-dessus des cimes.
LE COULOIR DE NUIT
LE COULOIR DE NUIT

LE COULOIR DE NUIT

Il faisait encore nuit quand elle se réveilla, et pourtant elle sentit, au fond d’elle, qu’elle avait quitté dans cette nuit la grande, majestueuse et surtout triste pièce rose. Elle ne pouvait voir où elle se trouvait, et qui était pourtant un très mignon couloir.
Si ses yeux avaient pu percer l’obscurité où elle était, elle aurait pu observer une enfilade de petites colonnes, enjambant une multitude de portes, toutes plus merveilleuses les unes que les autres. Certaines annonçaient des délices immenses : Cuisine, pour combler les ventres creux, Grande Chambrée, pour accueillir pompeusement les âmes égarées, ou encore Divin Divan, qui appelle de son nom au prélassement et à l’aimable discussion.
Ces portes étaient entourés de décorations, toutes plus futiles et superflues, mais ces bagatelles rayonnaient comme autant d’appels à y entrer. Là, un angelot de pierre, ici, une immense cloche rutilante, plus loin, un nœud d’un doux tissu !
Les portes, en elles-mêmes, se trouvaient déjà belles et admirables : du bois le plus ancien, le plus brillant, cerclé d’or précieux, elles s’illustraient par leur simple distinction et leur noblesse.
Mais ce n’était pas tout. Ce couloir ne prenait pas seulement son charme en ce qui donnait envie de le quitter. Les colonnes étaient chargées de toutes sortes de friandises, en pierres colorées de toutes les couleurs que prend la lumière dans ses contrées, et de beaux flambeaux jetaient, quand ils étaient allumés, une lumière douce, chaude, envoûtante sur le petit couloir.
Les murs, entre les portes, étaient drapés des plus belles tapisseries que l’œil n’a jamais pu contemplées, et contant la tragique histoire d’un bon prince, le plus heureux, le plus aimé de ses sujets qu’il existât, et ses tourments après qu’une terrible sorcière vint tyranniser le royaume.
Les tapisseries semblaient moelleuses, confortables, dignes de s’en draper pour sommeiller, et de larges poufs multicolores semblaient eux aussi inviter au repos à leurs pieds. Ceux-ci étaient immenses, comme des océans de douceur et de chaleur où se noyer, où se perdre, et invitaient au voyage onirique.
Le sol, lui, chauffait le couloir, car de grands fourneaux étaient allumés et entretenus sous les pieds de celui qui s’attardait là. Il brillait, comme lustré par le temps, et en imposait par sa vieillesse vénérable, qui n’ôtait rien à son charme. Il accueillait, impassible, le visiteur, quel qu’il soit, de son bois plusieurs fois centenaire, l’invitait à flâner quelques temps dans ce petit couloir.
Et, enfin, dernier mais pas en grandeur, en beauté, le plafond. Quel joli entrelacs de voûtes, de verrières, de dorures, de fresques, de lustres, tout cela mêlé dans un joyeux désordre, qui semblait pourtant rangé à qui observait bien ! On pouvait en effet percevoir que toute cette décoration n’aurait pas pu être autrement, que tout était à sa place, et par cela même, que cette accumulation désordonnée obéissait à quelque logique inconnue au premier coup d’œil.
Mais cette beauté aurait pu être, comme souvent, de glace, inapprochable, contentant le regard mais repoussant l’affection. Il n’en était rien. Dans ce couloir, on était béat, mais on se sentait chez soi. Car il y avait ce je-ne-sais-quoi qui rendait cette noble apparence accessible, offrant au commun des mortels la joie, le privilège même, de contempler ce couloir, et d’y rester, sans que rien ne semble plus naturel.

Nour, bien entendu, ne pouvait rien voir de ce charmant spectacle. Comme il l’aurait confortée, alors ! La suite de ses aventures en aurait été irrémédiablement changée, et rien n’aurait été accompli comme il le fallait, comme je le voulais.
Quand elle s’éveilla, donc, il n’y avait rien autour d’elle que ce noir, mais non pas oppressant, terrifiant d’inconnu et de néant, mais rassurant, comme un ami veillant son sommeil. Elle sut toutefois, dès l’éveil, qu’elle devait reprendre la route, quitter cette pièce nouvelle à peine arrivée, car elle était poursuivie encore par ce regard, et son cœur était hanté de ses yeux luisants. Elle se leva et, les bras tendus pour voir dans la nuit, elle chercha une porte pour partir.

S’il y avait nombres de portes qui l’attendaient, frémissantes à l’idée d’apporter du confort à un voyageur esseulé, il y avait aussi des portes fluettes, batardes, suintant la haine, le ressentiment envers celui ou celle qui les plaça là. Ces portes étaient décrépies, noires, car les dangers qu’elles offraient à qui osait les franchir transpiraient dans leur apparence.

Des portes en retrait, aux relents forts et détestables qui rebutaient au premier regard, quelles étaient les chances que Nour en emprunte une ? Faibles, faibles. Mais elle était trop obnubilée par un souvenir d’un regard brûlant sous les étoiles, et mon ombre guidait son bras, peu, mais suffisamment pour que ce soit l’une de ces portes redoutables qu’elle prenne. Loin d’un festin gargantuesque, loin d’un repos bienvenu, loin d’un délicieux Divan, Nour prit, dans le noir, le chemin qui menait à la Pièce des Navrés.

  Autrice : Shvimwa sous le pseudo « shvimwa »

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