Tout au bout du bord de l’extrême, derrière les dernières montagnes du Monde, s’élève le Château des 100 000 pièces Les murailles, et les tours et les étages de ce palais s’élèvent, à ce qu’il vous paraît, bien au-delà des nuages, au-dessus des cimes.
LE COULOIR DE LA PIÈCE ROUGE
LE COULOIR DE LA PIÈCE ROUGE

LE COULOIR DE LA PIÈCE ROUGE

Le froid soudain de la neige devint glacial et me transperça les os, me coupant le souffle. Recroquevillée sur moi-même, ce fut un trait de clarté sous mes paupières qui me fit ouvrir les yeux. Lorsque l’information lumineuse percuta ma rétine et remonta jusqu’à mon cerveau, une bulle de joie éclata dans ma poitrine. Je voyais ! Je portai les mains à mon visage, avant de me rendre compte que quelque chose clochait.
La cordelette qui liait mes poignets avait disparu, de même que la douleur dans mon corps.
Tout cela était trop beau pour être vrai. Où se trouvait le piège ? Un mauvais pressentiment me serra le cœur. Tournant sur moi-même j’appelai :
—Ombre ?
Le silence me répondit. Seule, j’étais arrivée sans savoir comment dans un étroit couloir de pierre, où les ombres démesurées noircissaient l’espace irrégulier entre les torches. La sensation qui me collait sous la peau me rappelait quand j’avais rencontré Leeko. Cette même impression de flotter, de ne pas exister. Que faisais-je ici ?
Un bruit de pas résonna. Quelqu’un – quelque chose ? – approchait. Bientôt, une silhouette se détacha dans la lumière tremblotante. Adolescent brun, vêtu d’un jean et de noir, un arc sur l’épaule, il avançait d’un pas régulier. Plantée comme j’étais au milieu du passage, il ne pouvait pas ne pas me voir.
Et pourtant.
Son rythme ne faiblissait pas, ses yeux restaient dirigés vers le sol tandis qu’il passait épisodiquement sa main sur son bras droit. Alors qu’il n’était plus qu’à une dizaine de mètres de moi, il s’arrêta et ramassa quelque chose au sol. Il le leva à la lumière pour mieux le voir et j’aperçus entre ses doigts une petite pièce rouge, semblable à celle que j’avais dans ma poche. Une pièce d’Emmanuel ! Je l’interpellai alors qu’il reprenait sa marche, après avoir glissé la pièce dans les plis de ses vêtements. Il s’interrompit brièvement, releva la tête, fronça les sourcils, et reprit comme si de rien n’était. Mais j’étais figée. Son regard. Je l’avais reconnu. Ce type… c’était Un gars…
Impossible ! IMPOSSIBLE !
Ce n’était tout simplement pas possible. Je l’avais vu se faire emmener par les hommes d’Aden en compagnie du nain, les mains entravées, les habits déchirés par le combat que nous avions mené. Sa lèvre éclatée sous mes coups saignait. Pourquoi ne portait-elle aucune trace ? D’où sortait-il cet arc ? Pourquoi ne me voyait-il pas ?
L’incompréhension concurrençait la haine qui ressurgissait dans mes veines. Je contractai mes poings et ma mâchoire, jusqu’à ressentir un semblant de douleur dans l’anesthésie qui m’emprisonnait. Dans cinq pas, il serait face à moi. Il ne pourrait pas m’ignorer.
Quatre.
Trois.
Deux.
Un.
Et un autre.
Le sixième qu’il n’aurait pas dû pouvoir faire sans me percuter. Et pourtant. Il le fit. Il me rentra dedans. Littéralement. Je sentis son corps entrait dans le mien qui n’existait pas vraiment comme une vague glacée qui me submergea en me brûlant.
L’espace d’un instant, alors que nous étions parfaitement superposés, des flashs s’imposèrent en surimpression avec le décor. Un trou bordé de sang rouge et vert. Une étroite corniche. Un passage dérobé. Une pièce remplie d’objets – de souvenirs – hétéroclites. Une porte. Un couloir.
Et le noir.

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