Aqua as Aqua
Après avoir traversé le Garage géant (voir le dernier com’ de ma chère coéquipière la Princesse), Titelilou et moi parvînmes dans une nouvelle salle – quoique, ce mot ne convient sans doute pas pour la décrire.
L’odeur. C’est la première chose qui retint mon attention. Une odeur de pourriture, de moisissure, de chairs en décomposition. Une odeur qui vous prenait à la gorge et faisait remonter la bile.
Une odeur de mort.
Et puis… il y avait une petite touche d’autre chose, un discret parfum. Des senteurs végétales. De la mousse, de l’humus. Et de la rose.
La porte que nous venions de pousser était celle d’un tombeau. Comme si nous revenions d’un sombre caveau et nous retrouvions enfin à l’air libre… au beau milieu d’un cimetière.
Des stèles s’étalaient à perte de vue. Des dalles fissurées, d’autres recouvertes de lierre ou de bouquets de fleurs fraîches. Des noms gravés dans le marbre, la pierre, le bois. Des noms oubliés… des noms d’aventuriers qui n’avaient pas survécu au château.
Il n’y avait pas un bruit, pas un murmure. C’était comme un tableau figé à tout jamais.
Émouvant ? Non. Sinistre.
Sinistre et terrifiant.
Imperceptiblement, la Princesse se rapprocha de moi.
-Ce lieu ne me dit rien qui vaille, chuchota-t-elle. Il me met mal à l’aise.
Elle déglutit.
-Allons-nous en, je t’en prie.
Je frissonnai et hochai vivement la tête. Notre courage venait de prendre un coup, soufflé comme une bougie par un léger vent.
Soufflé par des esprits.
Cherchant du regard une ouverture quelconque pour quitter ce lieu maudit en vitesse, nous commençâmes à avancer parmi les lugubres sépultures. Nos poils se dressaient sur nos bras.
Une épitaphe attira mon regard. Je sursautai en voyant le nom qui y était inscrit. C’était celui d’une Jbnaute.
I
ci repose Papergirl
30 septembre 1999 – 10 février 2014
Mais son âme hante encore le Château.
Je poussai un cri et portai une main à ma bouche. Papergirl ! Je la connaissais ! Non, non, non… Mes yeux s’emplirent de larmes.
J’accrochai un pan de la robe de la Princesse et lui désignai la tombe. Elle secoua tristement la tête. Puis nous nous figeâmes quelques instants, scrutant l’inscription comme si elle était fausse, comme si elle allait s’évanouir, comme si elle n’était qu’un affreux cauchemar.
Mais rien ne bougeait.
« Son âme hante encore le château »… Qu’est-ce que cela pouvait bien signifier ?
Soudain, une pluie fine se mit à tomber. Intriguée, je levai les yeux au plafond – ou du moins, à ce que j’imaginais être un plafond. Un brouillard épais m’empêcha de vérifier cette hypothèse.
Titelilou me désigna les alentours, pointant son index droit devant elle jusqu’à avoir décrit un tour complet.
-La brume. Partout.
En effet, un nuage compact s’avançait vers nous de tous côtés. Ses volutes blanchâtres s’enroulaient autour des sépultures, des diverses croix, recouvrait l’herbe sèche comme de long filaments. Et tout disparaissait, tout était avalé par le ventre du brouillard. Dans quelques secondes, nous serons à notre tour englouties.
Je saisis promptement la main de la Princesse.
-Il ne manquerait plus qu’on se perde, murmurai-je.
Mes mots se noyèrent dans la brume. Des gouttelettes d’eau se déposèrent sur ma nuque, mes vêtements, mes cheveux. Je ne voyais rien, rien qu’un gris perle infini, humide, où que je tournasse la tête. Le sol, auparavant meuble et granuleux, semblait s’être dérobé sous nos pieds. Nous n’osions plus faire un geste.
Nous flottions au beau milieu de nulle part.
Tout d’un coup, une silhouette floue se dessina, au loin. Une silhouette humaine, à en juger par sa démarche. Un petit point rouge semblait s’agiter au niveau de son cou. Un nœud papillon ? Elle se rapprochait lentement de nous. Je m’accroupis sur le sol, Titelilou m’imita. La silhouette passa à quelques mètres de nous sans nous voir. On aurait dit un majordome, il portait un long manteau en queue-de-pie. Et dans ses bras, un… un corps ? Un petit corps, sans doute celui d’un enfant. Mort ?
La peur nous tétanisait. Le majordome disparut dans la brume. Nous étions plus seules que jamais.
Plus tard – une minute, une semaine ou une éternité, qu’en savais-je ? – la brume se dissipa lentement, dévoilant un tout autre décor.