Explorateur : Saralé
Après avoir enlevé nos masques et les avoir rendu à Marie-Dominique, je vérifie l’état de mon arc –et comme elle l’avait prédit, il est comme neuf. Pas une trace d’eau orne son bois. Rassurée, je jette un coup d’œil autour de moi… Et me retrouve face à mon pire cauchemar.
Une salle de classe.
Marie-Dominique nous a emmené dans une salle de classe. Une porte, un peu sur notre gauche, est entrouverte sur les voix lointaines d’élèves qui entrent dans la salle et reprennent leur place après la pause de l’intercours. Certains d’entre eux croisent nos regards, puis se détournent, indifférents à notre présence. Des pages d’un texte apparaissent mot à mot, comme par magie, et défilent sur un tableau numérique. À côté, un tableau noir est recouvert de traces de craies. Les passages d’une brosse se reflètent dans le mouvement imprécis, souvent brusque, des zigzags blanchâtres qui le parsèment.
J’entends Miri ricaner à côté de moi, mais elle ne se sent pas beaucoup mieux. Enfin… Qui a envie de retourner en cours, honnêtement, après avoir vécu des années dans le château ? Les cours, c’est chi*nt, barbant, ennuyant et tous les synonymes que vous pouvez imaginez. Au mieux. Et en effet, cinq minutes après que le professeur soit entré dans la salle, les élèves sont déjà en train de s’endormir. Ils s’ennuient, tapent des pieds, s’allongent dans leur chaise, jouent avec leur mains… Leurs regards se vident, s’égarent d’un bout à l’autre de la pièce, sans jamais se fixer sur un point.
Le tic-tac de l’horloge et le tap-tap des doigts sur les ordinateurs résonnent dans la pièce, un bruit de fond qui rythme l’heure. L’aiguille des minutes fini son tour de ronde et tout recommence : le froufrou du papiers, le blabla des feuilles…
Des gribouillis sur le cahier d’un élève, couverture rose à spirale, lignes épaisses et bleues pales, forment mille dessins, un ensemble unique né du cheminement de son stylo. Les traits épais s’entremêlent, se superposent, s’assemblent sans cesse… Le dessin prend vie à mesure que l’heure s’éternise.
Un miroir couleur saumon, parsemés d’étoiles dorées et de mosaïques blanches côtoie une boule de baume à lèvres, des surligneurs jaunes et verts, un rapporteur brisé et une gomme robe pie dans la trousse d’une élève désillusionnée.
Les garçons jouent, tapent et tapent, cliquent clac bouge la souris sur le clavier rectangulaire.
Le professeur, tout seul derrière son pupitre, continue de parler. Personne ne lui prête attention. Il dialogue avec lui-même, des mots jetés en l’air et des idées prises en vrac. Un brouhaha envahit peu à peu la salle : des voix viennent de devant et de derrière, de droite comme de gauche. Parfois, une voix sort de l’ordinaire. Quelqu’un se réveille, prend confiance, parle : le cercle infernal du monologue du professeur se brise, pour se refermer à peine quelques secondes plus tard.
C’est drôle, d’une certaine manière, de voir ce fouillis d’élèves tous plus différents les uns que l’autres, forcés de rester assis à leur table en attendant que l’heure passe. Unis dans leur désespoir et leur ennui. Leur profonde désinvolture et indifférence au monde. C’est drôle, et c’est un peu triste, aussi.
Ça parle, ça jacasse, ça chuchote, ça baille… Les doigts fatiguent, les yeux s’endorment, les volets des paupières se replient, les fenêtres sont fermées… Et soudain, une sorte de frénésie parcourt la classe. Les élèves jettent des regards de plus en plus fréquents à l’horloge, commencent doucement à ranger leur affaires… Et on l’entend presque, leur cri désespéré, cette prière qui résonne dans l’âme de chacun de ses étudiants : «Sonne, cloche, sonne l’heure de notre liberté ! »
Mais nous ne restons pas assez longtemps pour assister à la fin de l’heure. Marie-Dominique nous tire vers la porte d’où sont entrés les élèves, et honnêtement, je suis plus que ravie de la suivre. Enfin… Une salle de classe ? Qui voudrait rester là-dedans ?
Autrice : Enfant des mers sous le pseudo « Enfant des mers »