Tout au bout du bord de l’extrême, derrière les dernières montagnes du Monde, s’élève le Château des 100 000 pièces Les murailles, et les tours et les étages de ce palais s’élèvent, à ce qu’il vous paraît, bien au-delà des nuages, au-dessus des cimes.
LA PIÈCE UN PEU TROP PEUPLÉE À MON GOÛT
LA PIÈCE UN PEU TROP PEUPLÉE À MON GOÛT

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LA PIÈCE UN PEU TROP PEUPLÉE À MON GOÛT

Calliope as Calliope

Un vide gris, cotonneux et oppressant m’accueillit à mon entrée. Un silence tout aussi désagréable m’agressa également… Ainsi qu’une totale absence d’odeur, plus flippante que n’importe quel parfum du genre sang (ou tout autre senteur terrifiante mais naturellement et aisément trouvable dans ce Château de fous) qui me prit à la gorge.
Je ne tombais pas en voulant avancer, cependant j’avais l’impression plutôt pénible de ne marcher sur… Rien. Mes pieds ne frôlaient aucun sol. Je… Lévitais.
Ce qui, pour un esprit cartésien comme le mien, était difficilement concevable.
Un esprit cartésien ? Ah, ah. Bonne blague, Calliope.
Je m’arrêtais brusquement dans mon « flottement » et maugréai, renfrognée et vexée :

– C’était pas une blague.

Non, sérieux ?! Cartésienne… Dixit la gamine…

– Jeune femme ! Rectifiai-je sèchement.

Gamine ! On aura tout entendu ! Moi, du haut de mes deux mille printemps, me faire traiter de « gamine » par cette vulgaire silhouette de brume ! Je m’enfermais dans un silence de bon aloi. Dont mon invisible compagnon ne parut pas s’offenser, pour mon plus grand mécontentement.
La gamine qui explore le Château des Cent-Mille Pièces, ce qui en soi est déjà loin d’être normal et logique, et qui y a vécu des dizaines d’aventures toutes plus rocambolesques et abracadabrantes les unes que… Eh ! Tu as entendu ça ?!
Je ne répondis pas. Evidemment que j’avais entendu. Je tendis juste l’oreille. Et à mon grand dam, le son se réitéra.
Un long son continu, un frappement sur un plancher inconsistant, comme des dizaines de sabots d’équidés frappant la terre en soulevant des nuages de poussières. Des pas.
Derrière moi. Tout près. Trop près.
Hum… Je crois qu’on est en infériorité numérique.

– Oh, tais-toi, je t’en supplie !

Très heureux de t’avoir connu.

– Espèce d’alarmiste !

Trêve de plaisanteries, si j’étais toi je me retournerais quand même…
La respiration rendue sifflante par l’appréhension (oui, oui, je sais, toujours aussi couarde. Et je ne crois pas que cela soit près de s’arranger), je me retournais lentement. Ce que je vis me stupéfia.
J’aurais aussi pu dire me glaça. Ç’eut été fort juste, timorée comme je suis (oui, je me répète, certes). Mais il y avait quelque chose de plus intrigant, de plus surprenant que de terrifiant dans le spectacle qui s’étalait devant mes yeux.
Cette pièce était peuplée.
La cinquantaine d’êtres grotesques qui se tenait devant moi, presque au garde-à-vous, était pourvue d‘un visage osseux et angulaire, sur lequel la peau était si tirée qu’on eut dit qu’on avait tenté d’en utiliser le moins possible pour concevoir ces… Bestioles. Ils se tenaient debout comme vous ou moi (à moi que vous ne soyez point humain, et dans ce cas précis je m’excuse, car vous offensez n’était pas mon objectif premier –ni mon second d’ailleurs –ni… Euhm, passons), mais s’apparentaient plus à des carnassiers du genre hyène ou lion. D’ailleurs, quatre tranchantes rangées de dents étincelantes (étrangement toutes des canines) étaient solidement plantées dans leurs bouches béantes à la mâchoire inférieure si outrageusement tombante qu’elle en semblait déboîtée. Leurs yeux, petits et enfoncés dans leurs orbites, brillaient d’un éclat qui à première vue pouvait paraître madré, mais qui était en fait plus cruel qu’autre chose. Et je ne parle pas de leurs doigts… Longs, crochus, griffus, ornés d’ongles recourbés et enduis d’une matière grisâtre qui devait s’apparenter à de la poussière. Leurs peaux étaient quant à elles entièrement glabres, et leurs crânes dépourvus de tout ce qui pouvait se rapporter à une chevelure digne de ce nom.
Charmant.

– Bien résumé, soufflai-je.

La foule de créatures se fendit soudain en son milieu. Un autre être étrange, peut-être un peu plus grand que les autres et étrangement attifé, s’avança d’un pas qui se voulait martial.
Etrangement attifé… Euphémisme ! Ses habits disparates semblaient avoir été volé à plusieurs personnes, issus d’époques et de lieux différents. Une chemise de dandy, une cravate très patron moderne, un chapeau typiquement années folles (et féminin de surcroît)… Il voulait sans doute paraître distingué, mais le pauvre, c’était complètement raté.
Il semblait être leur chef. D’ailleurs, il confirma :

– Bonjour, gente demoiselle. Excusez la frayeur qu’ont pu vous causer mes subordonnés. Ils sont, je crains…

Il se rapprocha de moi. Je tentais de reculer, dégoûtée. Il ne sembla pas le remarquer.

– Moins civilisés que je ne le suis.

Remballe immédiatement tes remarques sur son attitude « civilisée », tu risques encore de faire une gaffe… Et de te tuer en conséquence.

– Merci de ton réconfort, sifflai-je entre mes dents.
– Vous dites ?

Je lui jetai un regard effaré et avalai violemment ma salive.
Faudrait peut-être que tu lui répondes, nan ?
Je soupirai et levai ma main dans un signe pacifique.

– Salut ! Dis-je avec un grand sourire forcé.

Ils me jetèrent un drôle de regard. Apparemment, ce n’était pas la réponse attendue.

– Quel est donc ce langage alambiqué ?

Elle a juste dit « salut », crétin.
J’agitai les doigts en signe d’apaisement. Je murmurai dans un souffle :

– Laisse tomber.

Je me demandais un instant si je parlais à invisible compagnon ou à l’étrange chef des créatures. Un instant seulement.
Avant que le leader des hominidés ne leur ordonne de m’attaquer.
Je dois avouer que sur le moment, je n’ai pas trop compris le pourquoi du comment. J’avais sûrement enfreint une de leurs règles sacro-saintes et incompréhensibles. En fait, je ne m’en suis pas trop souciée, je crois.
J’ai foncé dans la masse.
Je me demande, après coup, si le pouvoir de force que m’a procuré la silhouette ne m’a pas rendue belliqueuse. En tout cas, à ce moment précis, j’étais ravie qu’il y ait enfin un peu d’action.
Je me jetai dans la mêlée. Bien sûr, cinquante contre une, c’était un peu inégal. Mais tellement de monde se battait qu’on n’y voyait rien, et les créatures ont dû se prendre plus de coups que moi-même. Et question coups, je n’étais pas en reste. Je les renvoyais un peu au hasard, certes, mais tellement puissamment qu’ils blessaient toujours. Ils faisaient mouche à chaque fois.
J’aurais pu continuer comme ça longtemps. Si un coup traîtreusement porté par derrière n’avait pas immédiatement fait cesser ma participation immanente aux choses de ce monde.

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