C’était une pièce terriblement triste. Non pas que son aspect, en lui-même, respire la tristesse. C’était même plutôt le contraire. Tout y était rose. Le sol de marbre, rose pâle, veiné comme s’il avait un cœur, reflétait les dorures du plafond tout en volutes. De larges fenêtres voilées de rideaux, roses eux-aussi, roses comme un soleil qui meure dans des nuages, baignaient la pièce d’une douce lumière. Les murs, eux, se couvraient d’un papier, peint en rose, et qui laissait apercevoir du plâtre derrière les accrocs du temps. Tout y était figé. Même la poussière qui flottait dans les rayons de lumières traversant une lucarne du plafond. Même les araignées dans les coins. La pièce s’était arrêté, le monde ne tournait plus, le temps ne passait plus. L’espace d’un instant, d’une éternité, on pouvait s’y retirer de tout. Mais il régnait une tristesse absolue, de ces larmes que l’on noie dans des méandres de rêves, de ces pleurs que l’on tait. On entendait, enfin, dans cette pièce, ces silences qui pèsent, qui s’imposent, et, pour la première fois, ce qui n’avait pas été dit était. Cette pièce était un mensonge, une apparence, un masque rose sur la laideur, le vulgaire, sur la médiocrité de la vie. Cette pièce était le dévoilement des vices, et elle était insoutenable, tant elle éclairait ce qui devait être caché, tant elle parlait au nom des menteries, tant elle était vraie, et tant cette vérité se montrait dans l’illusion.
Bien sûr, tout cela, Nour ne le vit pas en entrant. C’est bien plus tard, bien après, quand elle put enfin se poser, s’arrêter dans sa fuite éperdue, faire un pas de côté, et regarder le temps qui passe, qu’elle se rendit compte que tout avait déjà été dit dans cette pièce. Mais ce matin-là, elle ne pensait pas encore au futur, elle craignait bien trop le passé. Elle croyait encore que son présent pouvait être lumineux.
En entrant, donc, elle fit quelques pas sur la pointe des pieds. Silencieuse. Elle pressentait déjà qu’on ne devait pas troubler cette tristesse, sans le savoir vraiment. Elle regarda autour d’elle. Elle ne vit rien que ce rose, ce rose qu’elle trouvait alors accueillant, elle qui s’était effrayée d’entrer dans ce château maudit. Elle crut avoir, enfin, trouvé un endroit où elle était bienvenue. Rien de plus faux, n’est-ce pas ? Qu’importe. Elle fut rassurée. Elle s’assit, et s’asseoir était déjà la plus grande de ses joies. Ce repos, elle l’avait tant désiré ! Elle sortit son collier, son orbe translucide et rayonnant, qu’elle cachait depuis si longtemps. Elle le trouva agrémenté d’une clarté nouvelle, toute en adéquation avec cette pièce inconnue, et elle vit là un bon présage. Tout irait bien, pensa-t-elle. Tout, et pour la première fois de sa vie, elle se sentit bien, et heureuse, et chez elle. Elle n’était plus l’étrangère, la voleuse, l’orpheline. Elle était elle. Elle était Nour.
Soudain, elle sut que quelque chose allait arriver. La pièce semblait plus sombre : tout aussi rose, et lumineuse, mais moins chaleureuse. Les ombres paraissaient grandir. Le silence lui devenait étouffant. Elle prit peur. Elle se rappelait les nuits d’avant, quand elle tremblait au moindre bruit, quand elle pleurait en silence pour que personne ne l’entende. Elle se rappelait sa vie d’avant, quand elle n’était personne, et qu’elle avait peur. Et elle savait une chose, une seule, mais c’était là la plus importante : elle ne voulait plus de cette vie-là, et elle devait se battre, être forte, et courageuse, maintenant. Alors, au lieu de se recroqueviller sur elle-même, de fermer les yeux, elle se redressa encore, et ses yeux brillaient.
« Qu’est qu’un mort, s’il ne se tait pas ? »
Une voix, une seule, et sa résolution faiblit. Il y avait donc quelqu’un ! Et ses craintes d’enfant revenaient, et elle était prête à faiblir, à se rendre, à se laisser terrasser.
« Ne crains pas, Nour »
Elle n’avait plus de force, plus de voix dans sa bouche, elle tremblait, son corps se dérobait. Et, dans un dernier sursaut, elle dit d’une voix faible, qu’elle eut même du mal à entendre :
« Qui est là ? »
Et elle ne reconnaissait pas cette voix, car elle s’était toujours tue, elle ne parlait que lorsque qu’elle ne craignait pas, elle niait ses peurs, et c’était la première fois qu’elle affrontait ce noir abyme en elle.
« Nour, Nour, tu demandes qui, mais tu te trompes. Je ne suis rien, et pourtant je ne peux me taire. Oh, s’il te plait, Nour, ne m’oublie pas, et, un jour, si tu peux, réponds à ma question »
C’était déjà trop, et en vain elle tenta d’esquisser un geste, en vain elle voulut parler encore. Plus rien ne lui restait de son courage. Elle resta longtemps, là, sans force, bercée par ses fantômes, hantée par une voix inconnue, et qui savait son nom, et qui, elle le savait, elle le sentait, la connaissait. Et cette voix la reconnaissait comme semblable, elle qui n’était rien, et elle lui donnait un nom, Nour, si doux, et elle lui confiait une mission. Nour sentit alors quelque fierté naître en elle, et elle regarda autour à la recherche de cette voix, mais elle ne vit rien : pendant qu’elle se tenait debout, sans conscience de ce qui se passait près d’elle, le jour était tombé, et c’était la nuit qui désormais régnait. Mais elle n’avait pas peur de ce noir-là, qui ne masque rien, qui ne dévore pas, de ce noir qui n’est pas monstrueux. Elle n’avait pas peur, car elle avait appris à tutoyer de plus sombres gouffres, ceux des cœurs, qui la terrifiaient bien plus. Elle regarda les étoiles à travers la lucarne, et il lui sembla voir deux yeux brillants lui faisant un clin d’œil, alors elle pensa fort, très fort, pour que la voix l’entende : « Je ne t’oublierai pas. »
Épuisée, elle s’adossa à un mur et s’effondra, comme une poupée de chiffon, dans le sommeil des infortunés qui restent riches de leurs espoirs.
Et moi, je la regardais dormir, et je craignais qu’elle ne se réveille trop tôt, que je ne puisse plus la contempler dans son abandon charmant. Et moi, je la veillais.
Autrice : Shvimwa sous le pseudo « Shvimwa »