Calliope as Calliope (Καλλιόπη)
(Mal de crâne dû à un mauvais coup sur la tête encaissé par Calliope dans la pièce précédente, je précise…)
J’ouvris péniblement les paupières. Mes yeux me semblaient poisseux, mes membres flasques, ma gorge sèche, et mon crâne… Pris d’une telle migraine que j’en avais du mal à réfléchir correctement.
J’essayais de me redresser. La tentative se solda par un échec : je retombais lamentablement sur le sol, les oreilles bourdonnantes et la peau brûlante.
Je t’ai connue plus combative !
– Oh… Tais-toi… Parvins-je à mollement supplier. C’est… Pas le mo… Ment…
Allez, tu t’es juste pris un bon coup dans la nuque… N’empêche, ils t’ont filée une sacrée raclée !
– Ils étaient… Cinquante et… Moi… Seule…
Oh… Mademoiselle se trouve des excuses ! Non mais sérieusement ! Assume, un peu ! T’avais tout ce qu’il fallait pour les battre, Calliope. Sauf peut-être le courage ? La volonté ?
– Dès que… Je serai sur… Pieds, menaçais-je, je te flanquerais… Une… Sacrée raclée !
Je crois que tu vas avoir un peu de mal, ma belle. Je fais « partie intégrante de toi », comme dirait l’autre !
Je n’eus pas le temps de lui lancer une répartie cinglante. Un seau d’eau glaciale renversé sur mon visage me coupa la parole. Je réussis à me relever et criais presque, les yeux exorbités :
– Non mais ça ne va pas ?!
Je crois qu’ils ont trouvé le bon moyen de te réveiller. T’es à nouveau d’attaque, Calliope !
– Imbécile ! Persiflais-je avant de lever les yeux vers ceux qui m’avaient arrosée.
Je retins un soupir.
Oh non, les casse-pieds sont de retour !
Cette fois, je ne pouvais que donner raison à mon invisible compagnon. De vrais pots de colle.
C’étaient quelques une des créatures de la pièce précédente. Celles qui m’avaient si gentiment assommée d’un violent coup par derrière. Celles qui ressemblaient vaguement à des hominidés mutants ayant pour principal but de me dévorer membre par membre. Celles dont le chef, attifé comme l’as de pique, m’avait paru aussi civilisé qu’un anaconda.
Autant dire que j’étais ravie de les revoir.
Ces imbéciles ! Ce sont eux qui t’ont déplacée de pièce, d’ailleurs.
Déplacée de pièce ? Je jetais un regard alentour. La nouvelle salle était plus grande, entièrement noire, pourvue de dizaines de colonnes immensément hautes. Mais baste ! Assez d’inaction.
Il me fallait trouver un moyen de leur fausser compagnie (bon, jusqu’à là, ils restaient plutôt immobiles, donc ça allait…). Tout en me faisant cette réflexion, je me frictionnais machinalement le bras. Je fronçais soudainement les sourcils. La texture de mon bras ne ressemblait pas à celle de la peau, elle était plus… Froide, dure, moins malléable. Je baissais les yeux et retint à grand-peine un cri de stupeur.
Avant cette pièce, seule l’extrémité de mes doigts était grise. A présent, la totalité de mon bras gauche, ainsi que mon bras droit lui aussi étaient teinté de sombre. Je laissais mes doigts courir le long de mon avant-bras gauche, sentant ainsi sa texture de grès, puis remonter jusqu’au coude, où je me rendis compte que la contamination avait ressoudé ma fracture causée par l’Illusionniste, puis finis par effleurer mon cou, qui, je le compris rapidement, avait aussi été contaminé.
– Non, non, non, non, non ! Pas ça, encore ! Hurlais-je, presque désespérée.
Je t’avais dit de ne pas trop utiliser ta force.
– Mais ferme-là ! Tais-toi deux minutes ! Je vais mourir. MOURIR ! Ça ne te touche pas, toi, évidemment, n’est-ce pas ?
Devenir une créature du Château, pas mourir…
– Mais ça change quoi sérieux ?! C’est du pareil au même ! Je vais perdre ma liberté de mouvements, de penser, et toi tu t’en fiches ! Tu veux que je venge ta contamination mais tu te fous de moi, au fond de toi. Tu n’es qu’un égoïste !
Pardonne-moi, Calliope ! Tu as raison… Je suis affreusement désolé. Vraiment.
Je m’arrêtais brusquement de vitupérer, soufflée qu’il se soit aussi rapidement excusé. Il y avait une telle sincérité dans ses mots que je perdis à l’instant l’envie et la force de faire des reproches à mon acolyte.
– C’est bon, dis-je mollement, c’est pas si grave… J’ai tendance à m’emporter… Je… Je ne…
Je m’embrouillais dans ma réponse. Il dut le remarquer, car il s’exclama :
Allez, c’est oublié ! Revenons à nos moutons… A savoir, trouver un moyen de filer à l’anglaise !
Je relevais le front. Les créatures (qui devaient, d’ailleurs, être une douzaine à tout casser) me jetèrent un regard interloqué. L’une d’elle émit un son guttural qui devait, chez elle, tenir lieu de parole, et aussitôt, certaines m’agrippèrent aux épaules ou aux bras. Visiblement, ces bestioles avaient dans l’idée de me mener quelque part. Mais où ? No sé.
T’attends quoi pour te défendre ?
– C’est une stratégie complexe que j’ai mise en place, sifflais-je entre mes dents.
En fait, tu ne veux pas te battre car tu as peur que la contamination progresse plus encore, c’est ça ?
– Oui, tu as plutôt bien cerné l’idée.
Très complexe, comme stratégie.
Je ne répondis pas à sa remarque sarcastique et demandais plutôt, à voix haute :
– Où m’emmenez-vous ?
Ils me jetèrent un regard furieux. Ça commençait bien…
– Vous parlez ma langue, au fait ?
Vu le grognement peu amène qu’ils m’adressèrent, je pense qu’ils me comprenaient moyennement. Nous fîmes donc le reste du chemin en silence (et vu le temps que nous mîmes, je gage que cette pièce était bien plus grande que je ne le pensais).
Soudain, ils s’arrêtèrent et me lâchèrent violemment –je dis violemment car on était plus dans l’optique, je pense, de me faire tomber en me brisant tous les os que simplement de me « déposer » au sol.
– Quels idiots ! Pestais-je en me relevant.
J’époussetais mon péplos crasseux (celui-là, le pauvre, je parie qu’il ne sera plus jamais blanc), en me demandant pourquoi diable ils m’avaient amenée ici précisément.
Je ne tardais pas à obtenir ma réponse.
– Je m’attendais à plus de panache !
La voix qui avait prononcé ces mots, étrangement rauque et haut perchée à la fois, me déplut immédiatement. Je levais le regard pour voir de qui ils émanaient. Le moins que l’on puisse dire est que je fus surprise !
J’avais devant moi une version féminine des bestioles hideuses. Le même faciès horrifiant, mais surmonté d’une tignasse rêche, épaisse, d’un blond poussiéreux.
Etrangement, mon acolyte ne fit aucun commentaire.
– Pour une fois que vous parvenez à attraper une exploratrice, il faut qu’elle soit dans un état déplorable !
Piquée au vif, je relevais le menton et persiflais :
– Il faut dire que vos amis ne m’ont pas arrangée !
Elle me jeta un regard glacial qui me fit frissonner. Je perdis à l’instant toute envie de répliquer.
– Il vous faudra l’arranger.
Je baissais la tête, comme une gamine prise en faute, et me demandait mentalement qui était cette femme –pardon, cette créature- qui parvenait à tant m’intimider que je n’en prononçais plus un mot.
– Les six derniers explorateurs nous ont fort déçus. Leurs prestations, furent, disons-le, proprement désastreuse. Mais je suis certaine que vous y parviendrez bien mieux qu’eux, mademoiselle.
Elle se tourna vers ses congénères (ceux qui m’avaient trainée à travers la salle il y a deux minutes, rappelez-vous !) et siffla de sa voix désagréable :
– Apportez-lui quelque chose à se mettre, enfin ! Elle ne va pas rester ainsi !
Elle pivota encore, vers moi cette fois.
– Vous êtes notre dernier espoir, mademoiselle…
– Calliope. Ravie de l’apprendre, marmonnais-je.
Quelques minutes plus tard, les créatures revenaient avec une tenue qui, je le songeais en l’enfilant, ne me semblait guère plus présentable que mon péplos horriblement déchiré. J’étais à présent vêtue d’un T-Shirt d’un vert sombre, d’un pantalon brun et large s’arrêtant à la mi-jambe et d’une paire de ballerines reprenant les couleurs de mes habits. Très gai, soit dit en passant. Bon, soyons positive, c’est toujours mieux que mon péplos absolument pas pratique. Je glissais ma dague à mon côté.
– Vous êtes prête ? Il va falloir y aller.
Je soupirais puis acquiesçait.
Qu’est-ce qu’ils te veulent, à ton avis ?
– Si je savais ça, je serais devin.
Les bestioles voulurent me tirer à nouveau sur le sol, mais j’y mis mon veto. Je peux marcher, tout de même !
Nous cheminèrent ainsi pendant quelques minutes, jusqu’à ce que nous arrivions… En face du chef des créatures, toujours vêtu d’habits disparates et colorés. Je soupirais à nouveau.
– Que me voulez-vous encore ?!
Je le remarquais à cet instant, les créatures étaient à présent au complet. Si je devais m’enfuir, ça risquait ENCORE de mal tourner…
– Et pourquoi m’avez-vous assommée dans la pièce précédente ?
– Vous n’auriez pas accepté de nous suivre, sinon.
– Ah ça, je confirme ! Mais pourquoi vous suis-je si « indispensable », selon elle ? M’exclamai-je en montrant du pouce la créature féminine.
– Savez-vous qui nous sommes, présomptueuse aventurière ?
Je haussai les épaules.
– Evidemment que non ! Comment pourrais-je ?
Il ne tint pas compte de ma question. Il expliqua cérémonieusement :
– Nous sommes des recruteurs.
Des quoi ?!
– Nous sommes chargé de trouver les aventuriers qui sont susceptibles de virer de bord… Et de se joindre au Château.
Je pâlis et reculai instinctivement. Qu’est-ce que c’était encore que cette histoire ?
– Tous les aventuriers que nous lui avons présentés jusqu’à présent l’ont fort déçu. Pas assez courageux, pas assez déterminés… La liste de leurs défauts est longue. Le Château, dit-on, nous considéreraient comme la « tribu » de recruteurs les moins efficaces… Ce qui, pour moi, est un véritable crève-cœur. Nous comptons sur vous pour redorer notre blason. Nous avons une mission délicate pour vous, confiée par le Château même.
Je ne pris pas la peine de répondre et lui lançai mon regard le plus méprisant. Où voulait-il en venir ?
– Vous devriez vous introduire dans un groupe d’aventuriers influents, en vous faisant passer pour l’un des leurs. Mais évidemment, vous seriez à notre solde ! Vous nous informeriez de leurs plans, leurs idées, leurs découvertes, régulièrement. Pour rejoindre un groupe, rien de plus simple. (Il se tourna vers le fond de la salle et désigna un drôle d’appareil) Nous sommes en possession de cette machine, qui vous permettra de vous téléporter où vous le souhaitez.
J’éclatai d’un rire nerveux. Où je voulais ? Cela me semblait évident. J’irais au rendez-vous fixé par Emérence.
– Si vous réussissez à accomplir cette tâche avec brio, vous pourriez vite être amenée à combattre aux côtés mêmes du Château ! Acceptez-vous donc cette mission ?
Je réfléchis en vitesse. Si je disais oui, je pourrais utiliser le téléporteur sans risque. Seulement, passer pour une traîtresse, même par stratégie, ne me disait que très moyennement. Si je disais non, au contraire, il faudrait que je me batte pour parvenir à atteindre la machine, mais en revanche, je ne trahissais pas les explorateurs.
Mon choix était vite fait.
– Alors ?
– Pas question.
– Pardon ? Murmura-t-il, la mine déconfite.
– Jamais je n’accepterai.
– Vous allez le regretter.
– Sûrement pas !
– Tant pis pour vous…
Il se tourna vers son « armée » et aboya un ordre dans leur langue guttural. Je n’attendais pas qu’ils attaquent pour m’élancer.
Je bondis entre mes belligérants qui arrivaient par flots. Jusqu’à là, ils étaient assez désordonnés, donc cela allait.
L’un parvint à m’agripper au bras. Je me retournai, lui assénai un violent uppercut dans la mâchoire, lui plantai mon genou dans l’estomac et réussis enfin à me dégager. Mais les autres en avaient profité pour se rapprocher de moi et me prendre et tenaille. Je n’avais plus le choix. Je sortis ma dague et me précipitai dans la masse, taillant à coup de lame les hominidés m’obstruant le passage. L’un tenta de me ceinturer par derrière. Il en fut quitte pour deux ou trois côtes brisées par le manche de mon poignard.
J’arrivai enfin près du chef, essoufflée. Lui, évidemment, était en pleine forme, n’ayant pas combattu. Il se munit d’une épée que je n’avais pas vue, et s’élança dans une tentative de m’éborgner. Je parai (plutôt habilement, dois-je admettre) et bondis sur le côté pour ensuite éviter le coup de taille qu’il me lança. Prise d’une subite inspiration, je me baissai et tranchai brutalement sa cheville (qui, à mon grand étonnement, se laissa couper plutôt facilement). Je ne pus réprimer une grimace en sentant ma lame pénétrer sa peau, puis le sang gicler. Il s’écroula dans un hurlement de douleur, déséquilibré.
Ç’avait été plutôt simplissime, en fait.
Je parvins enfin mon but : leur drôle de machine de téléportation. Epuisée, je montai le plus rapidement possible à bord.
Je paniquais. Il n’y avait pas de boutons, ni d’autres commandes du genre. Et les créatures se rapprochaient inexorablement.
Je songeais, de toutes mes forces, à l’endroit où je voulais aller… Et je vis la pièce se « diluer » devant mes yeux ébahis. Le paysage fut remplacé par une haute porte, que je compris instinctivement être celle du cachot du 83ème étage.
J’étais parvenue à mon but. Enfin.
Emérence, nous voici !