La pièce où j’atterris est dure. Très dure. C’est la chose que je remarque car je tombe du haut et arrive sur les fesses.
– Aïe !… fait une voix derrière moi.
Apparemment je ne suis pas toute seule à m’être fait mal. La pièce est grise, en béton armé, assez étroite, simple. Et elle semble durer des kilomètres car je n’en vois pas le fond. Elle promet d’être ennuyante. Les seules sources de lumières sont des fenêtres sur les deux côtés, espacées de 1 ou 2 mètres entre elles. A ma droite, Marine et Orianne, en face de moi Yashim. Il m’aide à me relever.
– J’ai bien envie de dormir, je dis. Je ne sens même plus mes jambes.
– Bonne idée !! s’exclame Marine en attrapant son sac à dos.
– Marine, tu a l’air bien énervée pour une personne censée si fatiguée, fait remarquer Orianne en rigolant.
Je marque un temps de pause et sors un matelas et une couverture de mon sac. Les fenêtres m’indiquent qu’il fait nuit, ce qui me fait réfléchir car quand nous sommes partis de la pièce précédente, il faisait encore jour.
– Attendez, fais-je remarquer, Romain n’est pas là !
Marine plaque ses mains sur sa bouche et prends un air horrifié, tandis que Orianne est sur le point de tomber dans les pommes (je ne la croyais vraiment pas aussi fragile !), et que Yashim se précipite pour scruter le trou dans le plafond.
– Romain ? Ro-maiiin ! appelle t-il, bien que je doute qu’il attende une réponse.
– Ce… Ce, n’est pas possible… déclare Orianne, la voix tremblotante. Nous sommes blessés fatigués… Et on nous prend Romain ! s’exclame-t-elle en se laissant tomber par terre.
– Je… Écoutez… On ne peux rien faire pour l’instant… Dormons, on verra bien demain !…
– Comment tu peux dire ça, Astrid ?? s’énerve Yashim. Si ça se trouve, Romain est en train de mourir quelque part, et toi, tu veux qu’on dorme ??!!!
Il s’énerve vite, et je n’ai pas besoin de plus que ça pour m’énerver à mon tour.
– Romain vit dans ce château seul depuis ses 10 ans. Si quelqu’un sait se débrouiller tout seul c’est bien lui !! De toute façon, on ne peut rien faire pour lui si le château l’a décidé !! C’est comme ça ! Tu penses peut-être que je m’en fous de Romain ? Que si il meurt, ça ne me fait rien ?! Et bien tu as tort ! Maintenant, je pense à nous ! A ce que nous, on ne se sépare pas !
Yashim me regarde avec un air pitoyable.
-Je… Désolé Astrid. Écoute, je suis sur les nerfs, on l’est tous. Je suis vraiment désolé, Astrid. Tu as raison.
Je le fixe droit dans les yeux. Il me fixe d’un air désolé mais je ne lui retourne qu’un regard noir. Au bout de quelques secondes, je tourne les talons et vais installer mon matelas un peu plus loin.
Je vois Romain, seul dans du noir, dans le vide, comme dans la pièce où je l’ai rencontré. Ce Romain a peur, ce Romain a mal. De la lumière vient remplacer le noir et Romain se relève pour aller marcher à côté d’une fille – ce Romain oublie. Ils parlent, rient tous les deux. Ce Romain est heureux loin de nous. Ce Romain n’a pas besoin de nous. Je les regarde partir, tout les deux. La fille est plutôt mignonne, elle a l’air sympathique. Ils partent de plus en plus loin. Alors je comprends que si je les laisse partir, Romain sera trop loin pour que je le rattrape. Alors je cours pour les rejoindre. Mais une barrière invisible m’en empêche. Je suis emprisonnée. Impuissante. Tout s’efface. Il ne reste plus que ma prison et moi. En face de moi : ma boîte bleue. Mon cadeau d’anniversaire du château. Je l’ouvre. Un visage gigantesque et monstrueux se dresse devant moi. Il crie. Je tombe… Tombe… Tombe… Tombe… Et je me réveille.
– AAAH !
Je mets une main sur mon cœur. Je suis toujours vivante. Je suis la seule réveillée, tout le monde dort. D’un seul coup, je n’ai qu’une envie : rentrer chez moi. Cette pensée m’obsède. Et qu’est-ce que c’est que ce rêve ? Pour me changer les idées, j’attrape ma boite – celle de mon rêve – je l’avais presque oubliée ! – et je vais ouvrir la fenêtre pour prendre l’air. Après avoir respiré une bouffée d’air frais, je laisse la fenêtre ouverte et m’assois en tailleur devant. C’est la pleine lune. Je l’observe. J’adorais regarder les étoiles quand j’étais petite. Et tout particulièrement le satellite. Je n’y connaissais pas grand-chose, mais tout ce que je savais, je l’apprenais à Marine.
Je décide d’enfin ouvrir ma boîte. Les perles sont toujours à l’intérieur. J’en saisis une, je l’observe, je la retourne, j’espère voir un petit détail qui m’aurait échappé le jour de mon anniversaire. Finalement, cette boite, je n’y avais pas prêté attention. Mais rien. Je les pose sur mes genoux.
« Comme j’aimerais revoir Romain… je me dis en voyant une étoile filante. Tu es là pour exaucer les vœux, non ? Alors je voudrais revoir Romain », je me répète, bien que je sache que la probabilité de le croiser dans une autre pièce est quasi nulle.
Je me rallonge à même le sol, perdue dans mes pensées. Je ferme les yeux mais les rouvre pour continuer à fixer les étoiles. A ce moment précis, une des perles de ma boîte s’ouvre en deux, et s’en échappe une poussière bleue qui se divise et vient se placer devant mes yeux, mes oreilles et ma bouche. Abasourdie, je ne dis rien mais la nuée se trouvant devant mes yeux se transforme et une image de Romain apparait.
– Romain ? fais-je, abasourdie.
« Astrid ? » fait une voix dans ma tête.
Progressivement, une image d’une fille en train de dormir à quelques mètres de lui apparaît.
– Je t’ai réveillé ? je demande en grommelant.
« Pas du tout, je n’arrivais pas à dormir, me répond-t-il en affichant un grand sourire à travers la nuée. Je suis content de t’entendre, mais comment as-tu réussi à m’appeler ?»
– Grâce à la boite que le château m’a offert. Et puis c’est qui la fille ? Pourquoi tu nous as pas appelés avant ? Tu ne te disais pas qu’on s’inquiétait pour toi ?
« Moi aussi je me suis inquiété pour vous ! Mes pouvoirs ne se déclenchent pas quand je le veux !C’est « la fille » qui m’a retrouvé. Elle m’a aidé et pour l’instant, on fait la route ensemble. C’est sa première pièce et elle ne sait pas encore ce qui l’attend ! »
– Tu ne veux pas nous retrouver ?? Tu veux rester avec elle ? Je demande, au bord des larmes.
« – Non ! Ce n’est pas ce que j’ai dit ! »
– Mais alors…
La poudre de la perle s’estompe, s’éparpille sur le sol et la communication avec Romain est coupée. J’essaye de reprendre une perle, de recommencer, mais rien. C’est fini.
Je me recouche par terre, et réfléchis à toutes mes explorations, à une façon de retrouver Romain. J’essaye de trouver une logique au château, j’ai subitement très envie de pleurer. Progressivement, mes paupières se ferment, et je m’endors quand les premiers rayons de soleil percent le ciel.
Je grelotte. J’ouvre lentement les yeux et observent la fenêtre devant laquelle je me suis endormie. Je comprends pourquoi j’ai si froid, maintenant. Quelques flocons de neiges sont venus se déposer sur le sol de la pièce. Heureusement, quelqu’un est venu me déposer une deuxième couverture. J’écoute quelques secondes les voix de tout le monde, ils sont tranquillement en train de prendre leurs petits déjeuners (et je remarque, que, comme toujours, je suis la dernière à me lever). Je me lève, je m’étire, et vais à la fenêtre prendre délicatement un peu de neige au creux de ma main. Nous sommes donc en hiver. Cela faisait des années vue je n’avais pas vu de neige. Je me retourne. Marine me regarde et m’invite d’un signe de la main à venir manger avec eux. Je repose la neige sur le rebord de la fenêtre et la ferme.
– Désolée pour hier soir, je dis.
– C’est moi qui suis désolé, Astrid, me répond Yashim.
– Dans la nuit, j’ai réussi à prendre contact avec Romain.
Tous ouvrent de grands yeux.
– Il t’a appelé par télépathie ? me demande Marine.
– Non, c’est moi qui l’ai appelé.
– Comment t’as fait ? me demandent Orianne et Yashim en cœur.
Alors je leur raconte tout.
– Il ne veut pas revenir avec nous ? demande Orianne à mi-chemin entre la tristesse et l’étonnement.
– Je ne sais pas… Je pense que si, mais je n’ai pas eu le temps de lui poser la question.
– Et à quoi sert la boîte exactement ?
– Je n’en sais rien…
Je ne leur laisse pas le temps de poser d’autres questions et je me lève, ramassant mes affaires, marquant la fin de la discussion.
Nous nous mettons en route, ne voyant toujours pas le bout de la pièce, et parlons. De tout et de rien. Nous marchons, marchons, marchons et marchons encore. La journée s’écoule sans que nous arrivions à notre but, et nous nous couchons.
Le lendemain matin, nous nous remettons à marcher, mais cette fois-ci, avec beaucoup moins d’entrain, la monotonie de la pièce nous fatiguant. Nous marchons encore, des heures et des heures, et je viens à me demander comment une telle taille pouvait être possible, ou si nous ne tournons pas en rond. Pas très longtemps plus tard, nous apercevons enfin un mur dressé devant nous. Arrivés à son pied, nous remarquons qu’il n’a aucune porte.
– Comment c’est possible ? S’exclame Marine. On est coincés ici ?
– Non, il y a toujours une sortie, je lui dis, plus pour me convaincre moi-même que pour elle. On a dû la passer.
– Et demi touuuur, fait Yashim d’une voix trainante.
– Mais quand même, s’exclame Orianne, ça se voit une porte ! Ca doit être autre chose.
Je m’assois par terre et pousse un long soupir. J’enlève mon sac de mes épaules, le pose brutalement et défais ma queue de cheval. Je triture un peu mes cheveux avant de les renouer en tresse collée.
– Alors qu’est ce qu’on fait ?
– Une pause, je réponds en rigolant.
Je fouille dans mon sac. Nous commençons à manquer de nourriture. Malgré tout, je mâchonne une barre de céréales.
– Il faut juste réfléchir. Il y a forcément une porte quelque part, on ne va pas mourir ici ! affirme Orianne.
– J’ai plus peur de la mort, je lui réponds. Plus avec toutes les horreurs du château. Il y a tellement de pièces étranges, alors pourquoi pas une pièce sans porte ?
– Je ne pense pas. Je propose de continuer de chercher, qui est d’accord lève la main, Orianne avec l’ébauche d’un sourire.
Quatre mains se lèvent, et moi aussi, je souris. Je me trouve ridicule. J’ai décidé d’arrêter mes caprices de fillette. Je me sens. Je me remets debout, et commence par tâter le « mur sans porte » à la recherche de je-ne-sais quelle indice pour sortir d’ici. Mais ce n’est pas le cas de tout le monde. Yashim, juste à ma droite, trouve des inscriptions gravées dans le mur.
– Il y a un triangle. Au bout de ses sommets il y a des gros points on dirait des boutons, dit-il.
A tout hasard il appuie simultanément sur ses sommets. Un grincement horrible se fait entendre et le mur bascule.
– Vous voyez que ce n’était pas si dur que ça ! s’exclame Orianne.
– J’aimerais vraiment avoir ta bonne humeur, je réponds.
Et nous passons une grande porte en bois sculptée.
Autrice : Cléclé, sous le pseudo « Cléclé dite la pianiste un peu folle »