Tout au bout du bord de l’extrême, derrière les dernières montagnes du Monde, s’élève le Château des 100 000 pièces Les murailles, et les tours et les étages de ce palais s’élèvent, à ce qu’il vous paraît, bien au-delà des nuages, au-dessus des cimes.
LA PIÈCE OÙ L’ON ENTASSAIT TOUTES SORTES DE TRUCS INUTILES
LA PIÈCE OÙ L’ON ENTASSAIT TOUTES SORTES DE TRUCS INUTILES

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LA PIÈCE OÙ L’ON ENTASSAIT TOUTES SORTES DE TRUCS INUTILES

Aqua as Aqua

Titelilou et moi étions encore couvertes de sel et d’algues vertes lorsque nous plongeâmes à travers la porte-radeau. Celle-ci nous conduisait tout droit vers une nouvelle pièce du Château…
Notre chute dura deux secondes, ou peut-être trois – le temps de passer à l’étage inférieur –puis je rebondis plusieurs fois sur ce qui devait être un matelas, à en juger par la mollesse. Rebondis rebondis rebondis, dans un bruit de ressorts et un nuage de poussière qui me fit éternuer.
Des larmes au coin des yeux, j’aperçus la Princesse, qui était tombée tout en douceur dans un confortable fauteuil. Elle s’y était enfoncée profondément, sa robe (ou ce qu’il en restait après nos maintes aventures) bouffant autour d’elle.
-Eh bien ! m’exclamai-je. C’est à croire qu’on avait prévu notre venue du ciel !
-Du plafond, corrigea la Princesse.
Je levai les yeux. En effet, il n’y avait plus, au-dessus de nos têtes, qu’un bête plafond en plâtre, à la peinture gondolée par l’humidité : une dernière trace de la Pièce Océan.
Retirant les algues encore coincées dans mes cheveux, je jetai un coup d’œil méfiant au nouveau décor. Cette pièce s’apparentait à un débarras, un grenier, une cave – bref, au genre d’endroit où l’on entasse toutes sortes de trucs inutiles.
La seule différence, c’était le bazar complet qui y régnait. Les objets avaient été empilés n’importe comment, formant d’énormes tas autour de nous, un labyrinthe de tas. Des meubles, de la vaisselle ébréchées, des livres, un arrosoir, une famille de poupées, des vêtements froissés, des boîtes, des boîtes et encore des boîtes… et des coussins, des chaussures sans leur double, des ardoises d’écoliers, un tapis, des pièces de monnaie, des tringles de rideaux, un chandelier, des roues de charrette, et encore des millions d’autres choses, tout cela pêle-mêle – un véritable trésor !
Cependant, ces piles semblaient en équilibre précaire, et il suffisait que nous mettions un pied au mauvais endroit pour que ces montagnes d’objets hétéroclites s’écroulent sur nous.
-Il y a une jolie robe, là, fit la Princesse, qui inspectait également les alentours.
-Hum… Une jolie robe ?
Elle désignait un bout de tissu noir et soyeux dépassant du tiroir ouvert d’une commode. Commode supportant aussi des encyclopédies, un miroir crasseux, un bocal où reposaient des perles colorées, et un second empli de mouches mortes.
J’émergeais à peine de cet inventaire que Titelilou était déjà en train de tirer sur l’étoffe en question. Elle semblait à moitié coincée dans le tiroir, qui refusait de s’ouvrir plus grand. La Princesse se mit à tirer dessus de toutes ses forces.
Le bois grinça, le tiroir céda un centimètre, le meuble trembla sous la secousse.
-Dis, intervins-je, je ne crois pas que ce soit une bon…
Elle tira d’un coup sec, dégagea la robe, et sursauta lorsque le bocal de mouches mortes se fracassa juste à côté de ses orteils. Les insectes furent parcourus de frissons, mais restèrent inanimés, au milieu des morceaux de verre.
-Oups !
Elle esquissa un sourire d’excuse. Je haussais les épaules.
-Je vais essayer de trouver la porte, ce lieu ne me dit rien qui vaille.
Titelilou se rembrunit.
-Tu as raison. Je me change et je te rejoins !
Je fis quelque pas prudents sur le plancher, entre une baignoire à pieds sculptés en pattes de lion (remplie de plumes d’oie et de buvards tâchés d’encre) et une guirlande de lampions éteints. Si cette pièce était normale, sa porte devait se trouver dans l’un des murs. Encore fallait-il les rejoindre… Tous ces objets me bouchaient complètement la vue. Heureusement, des allées avaient été aménagées entre les tas. Je me mis donc à slalomer un peu au hasard, et sans m’en rendre compte, revins à mon point de départ.
Titelilou m’y attendait, dans sa toute nouvelle robe, noire à paillettes roses. Elle me sourit.
-Si on veut trouver un mur, il vaudrait mieux avancer tout le temps dans la même direction, non ?
Aussitôt dit, aussitôt fait. Nous bifurquâmes à gauche, puis toujours tout droit. Parmi les plus gros objets que nous rencontrâmes, des mannequins en tissus succédèrent à des animaux empaillés, des fauteuils en velours vert, une pile de valises. Dans une allée, un jeu de dominos avait dégringolé et déversé toutes ses pièces sur le sol.
La robe de la Princesse soulevait des moutons de poussière. Il semblait que nul n’était passé depuis bien longtemps…
Enfin, nous atteignîmes l’un des murs, soigneusement peint en rouge bordeaux. Il ne nous restait plus qu’à le longer, en enjambant tout ce qui se trouverait sur notre chemin…
Dix minutes plus tard, un angle droit, un nouveau mur, revêtu de jaune cette fois. Nous dûmes déplacer des matelas qui y étaient appuyés pour avancer. Et derrière l’un d’eux, enfin, une porte ! Toute ronde et lisse, en bois, dépourvue de poignée. Avec juste, sur le bord droit, une minuscule serrure. Impossible à ouvrir.
Dépitée, je me laissais tomber contre le mur, en balayant du pied une collection de poupées russes.
-Il doit bien y avoir une clef quelque part… Mais où ? On pourrait passer des heures à chercher ! Ou alors, tu sais forcer une serrure, toi ?
-Mhm…
Machinalement, la Princesse mit la main dans sa poche (oui, parfaitement, il s’agissait d’une robe à poches, comme toutes les robes de bonne facture).
-Oh !
Ébahie, elle en ressortit une petite clef métallique qui, à son aspect, devait correspondre pile poil à la serrure. Nous fûmes prises d’un grand fou rire. Pour une fois, la chance était de notre côté !
Quelques secondes et un déclic plus tard, le battant s’ouvrit devant nous.

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