Éléa
Repartir sur de bonnes bases ? J’ai du rêvé. Ce pré n’est ni accueillant, ni paisible. Quand je regarde autour de moi, ces herbes hautes qui semblaient confortables ne sont plus que des plantes carnivores. Ce pommier courbant l’échine devant le poids des années se révèle être un somnuspupillam, l’arbre du sommeil. Je ne veux pas dormir. Dormir, c’est offrir mon esprit aux rêves qui me hantent, tout ces cris de douleurs et ces paroles sifflantes du maître abject des lieux. Je ne veux plus douter, je ne veux plus pleurer, je ne veux plus être blessée. Il a su frapper dans mes faiblesses pour me remettre en question. Et puis, m’endormir, c’est laisser le champ libre à ces plantes qui ne rêvent que de me manger.
« Elle est là, Maître.
– ? »
Quelqu’un a parlé. Une voix saccadée et douloureuse, une respiration haletante. Pourquoi toutes mes pièces sont-elles peuplées d’êtres inconnus qui se mettent à parler quand j’arrive. On dirait une maison hantée, avec mille fois plus de dangers.
« Je suis l’Aigle. »
Je regarde le ciel et le soleil m’éblouit. Il y a bien une forme qui tournoie, haut, crevant le ciel de ses ailes et descendant lentement. Il est beau et envoutant. Qui…
« Oui, c’est moi, l’Aigle. Je te suis depuis longtemps. Je t’attendais. C’est le Père qui m’envoie. Il a vu tes doutes et tes soupçons, insufflés par les propos insidieux du Château. Il a eu peur pour toi.
– Je garde confiance.
– Il a aussi vu ton courage. Il est fier de Sa Fille. Puisses les Étoiles secourir les Élus !
– Les Étoiles ? Qui… »
Trop tard. Il s’est envolé, majestueux. Alors le Père me surveille ? Pour quoi n’a-t-il rien fait face au Château ? Aurait-il peur ?
« Non, ma Fille. Mais le temps de l’affrontement n’est pas encore venu. Seuls les Élus ont le pouvoir d’abattre celui qui vient. »
Cette voix… C’est celle du Château… Comment ?
« Il est mon frère. Il est moi et je suis lui, tu comprends ? Nous sommes deux mais nous sommes seuls et un. Deux faces d’une même pièce. Le Château n’est ni humain ni bâtiment. Il est bien plus que cela. Il a été un humain mais depuis que les Étoiles l’ont approché, il est devenu un idéal. Nous sommes tous le Château dans nos pires moments d’égarements. Je ne suis pas non plus humain. Au commencement, j’étais arbre. Je me trouvais dans la Pièce-Mère, ma mère, ma femme, mon enfant. Nous étions liés pour l’éternité, jusqu’à ce qu’Elles nous séparent. »
Quel triste vie. Moi aussi, les Étoiles m’ont meurtrie. Peut-être que le somnuspupillam n’est pas une si mauvaise idée que ca ? Un peu de repos ne fait jamais de mal ! Ah, si seulement mon Voyageur de mari était là ! Un rêve pour retrouver nos enfants !
Je m’approche de l’arbre. Je me couche. Je m’endors.
…
J’ouvre les yeux, affolée. Où suis-je ? Un feu de camp, des soldats qui rient haut et fort…
Auteur : Shvimwa, sous le pseudo « Shvimwa »