Ailes d’Ange (Aile 2) as Ailes d’Ange (Aile 2) (JBlogueuse/Château)
Allongée sur le dos, je cherchais, plutôt vainement, je dois l’avouer, à reprendre mon souffle. Le froid glacial, qui, quelques secondes à peine auparavant, nous enveloppait de sa mortelle étreinte, refluait peu à peu. Je sentis l’Ombre se redéployer contre moi, soutien qui me réconforta. Elle tremblait encore en songeant, sans aucun doute, à la mort qui venait de la frôler. Et l’idée me percuta que moi aussi, je serais morte avec elle.
Me redressant en position assise, je tâtais l’emplacement où se trouvait ma poche, maintenant réduite en lambeaux de tissu. Heureusement, elle était vi… la pièce ! où était la pièce du dénommé Emmanuel ? Je ne savais pas qui il était, ni rien de ce bout de métal, mais il avait acquis à mes yeux une importance symbolique. Je jetais un regard alarmé aux alentours, découvrant par la même occasion l’endroit où nous venions de déboucher.
Encore du blanc. La panique me prit la gorge. Encore une fois, l’Ombre se pressa contre moi, m’apportant son soutien. Les larmes me montèrent aux yeux. Depuis que l’on s’était rencontrées, elle passait son temps à me consoler, à me soutenir, à m’empêcher de craquer. Assise en tailleur, je pris une profonde inspiration. Un contact à l’épaule me fit sursauter. J’esquissais un sourire confus en reconnaissant le magicien. J’en arrivais même à oublier qui m’accompagnait… Est-ce que mon amnésie s’aggravait ? Je ne voulais pas perdre les quelques souvenirs que je venais juste de me forger…
Me tirant de ces sombres pensées, Jad me tendit quelque chose. Je mis plusieurs secondes avant de réaliser que c’était la pièce d’Emmanuel. Tremblante, je la pris et la serra dans mon poing.
-Merci. Du fond du cœur. Merci.
Ce fut les seuls mots que je parvins à prononcer avant de fondre en sanglots. Embarrassé, Jad entreprit maladroitement de me tapoter le dos et assurant avec force que tout allait bien se passer.
L’ombre me tira par la manche, cherchant à attirer mon attention. Elle me désigna de son doigt d’obsidienne une grande tâche sombre sur l’un des murs blancs. Battant des cils pour chasser les larmes qui s’y accrochaient, je reconnus une horloge. Ou plutôt, un gigantesque compte à rebours. Je pouvais voir les secondes s’égrener lentement.
-Il nous reste six heures et quarante-huit minutes.
-Avant quoi, Jad ?
-Avant qu’il ne se passe quelque chose. Il n’y a pas d’autre porte que celle par laquelle nous sommes arrivés, et elle s’est verrouillée. Donc nous avons le temps de nous reposer. Tu devrais dormir, Analayann, tu es épuisée.
J’eus un temps d’incompréhension, avant de me rappeler que c’était le nom qu’il m’avait donné, lors de notre rencontre. Pourquoi l’utilisait-il seulement maintenant ? Ce mot, pourtant inconnu, fit curieusement écho en moi. Un vestige de mon passé ? Je ne sus le dire. L’impression fut aussi fugace que volatile, et disparue dès que je tentai de la saisir. Elle me laissa néanmoins un étrange sentiment. J’abandonnai, sachant que m’obstiner ne servirais à rien.
-Je… tu as raison, Jad. Je vais dormir un peu… Mais tu n’as pas sommeil, toi ?
-Tututut ! Toi d’abord, moi après. Je peux régénérer mon énergie avec un sortilège, ne t’inquiètes pas.
Il posa un doigt sur mes lèvres, m’empêchant de répondre, même si je savais parfaitement qu’il mentait. Un sort puise dans les réserves énergétiques de celui qui le lance. Il ne peut pas les renflouer. Mes paupières papillonnèrent. Juste avant de sombrer dans les bras de Morphée, une petite voix me souffla que ce n’était pas naturel, que Jad y était pour quelque chose.
Et ce fut le noir.
Je rêvais. Je flottais dans le noir, épais, collant, poisseux. Il s’infiltrait dans mes poumons, m’empêchant de respirer, mais pourtant, je ne perdais pas conscience. Pouvait-on perdre conscience dans un cauchemar ? Un rire léger, cristallin, me parvint dans silence étouffant. Il devint de plus en plus fort, de plus en plus dissonant, pour finir sur un bruit semblable au crissement du verre pilé. Je savais qui il était. Le château.
« Tu as raison, c’est moi. Je suis impressionné. Tu as tenu beaucoup plus longtemps que je le croyais, avant de sombrer dans le sommeil. Et entre mes griffes. »
La voix, pleine de venin, me coulait dessus comme de l’acide.
« Tu ne pourras pas t’échapper. »
Je ne compris pas. Pourquoi me dire ça maintenant ? il n’ajouta pas un mot, et ma respiration se libéra. Il était parti. Ou du moins, moins présent. Qu’est-ce que cette phrase voulait dire ? avait-elle un sens caché ?
Ma vision bascula.
J’étais maintenant au milieu de flammes. Rouges, vives, elles montaient vers le ciel, léchant des murs de pierre. Je me trouvais au cœur d’une ville en ruines. La destruction faisait son œuvre, et des blocs chutaient, soulevant des nuages d’étincelles tourbillonnantes. Les ombres dansaient sur les façades noircies. Soudain, mon cœur se souleva. Venant du centre même du brasier, quelqu’un approchait. Le feu semblait s’ouvrir sur son passage, l’évitant. Un charisme destructeur se dégageait du personnage. Je pus enfin voir ses traits. Et il me répugna autant qu’il me fascinait. Il n’avait qu’un œil, unique, vert. A l’emplacement de l’autre, la peau, grisâtre était lisse, sans défaut. Des mèches noires, comme carbonisées, s’échappaient de la capuche qui laissait son visage à découvert. De ses vêtements, au niveau des coudes, pointaient deux immenses lames, recourbées, maculées de sang, mortelles. Il bondit par-dessus une poutre, atterrissant sur une autre, qui craqua sous lui. Il continua à avancer, me passant devant, me frôlant presque. A cet instant, j’entrevis d’autres scènes. Lui, arrivant dans ce qu’il me sembla la ville, encore intacte. Un villageois s’approcha, lui demandant son nom. De son unique œil, il fixa le vieil homme, lui disant d’un calme effrayant qu’il n’avait pas de nom. Puis, il embrocha l’homme d’une de ses lames. La violence du geste me fit hoqueter. Le cadavre glissa le long de la pointe, et s’écrasa sur le sol en bruit sourd. La vision me quitta. Il s’éloigna, me laissant juste une phrase imprimée dans l’esprit.
« J’aurais ma vengeance »
Tout bascula.
J’ouvris les yeux sur du blanc. J’étais réveillée. Je mis quelques instants avant de bouger. Une cape me recouvrait, si grande que j’aurais pu m’y perdre. Une odeur inconnue acheva de me ranimer. Ecartant ma couverture, je me redressai en position assise.
Me voyant m’agiter, Jad quitta le petit feu devant lequel il était accroupi pour me rejoindre, une tasse fumante dans la main.
-Tiens, bois.
-Qu’est-ce que c’est ?
-Ta tisane de Lamandrier. Pour ta blessure.
Inconsciemment, je portai la main à ma joue. Chaude, dure, insensible, elle pulsait doucement sous mes doigts glacés. Il y avait un non-dit, une gêne entre nous. Nous n’avions pas eu l’occasion de parler, toujours trop pressés par les évènements. Pour dissiper le silence embarrassé, je le remerciai, et serrai le broc entre mes mains goures. Pensive, je levai la tête vers le compte à rebours. Deux heures s’étaient écoulées. J’avais dormi tout ce temps ? Il m’avait semblé que c’était passé en un instant…
Je bus une gorgée. Le goût douceâtre et amer m’écœura légèrement, mais immédiatement après, une vague de chaleur me traversa, remontant jusqu’à mon visage, me faisant un bien fou. Sirotant distraitement le breuvage, j’entrepris de remettre dans l’ordre ce que je venais de voir. Un mystérieux personnage, qui avait les yeux… bleus ? noirs ? non, je ne savais plus… Serais-je… en train de perdre la mémoire ? mon rêve me fuyait, se glissant entre mes vaines tentatives pour le retenir. Je fronçai les sourcils. J’étais persuadée d’être en train d’oublier quelque chose d’important. De crucial.
-Ça va ?
-Oui, Ombre. ça va, et toi ?
-Du moment qu’il ne fait pas trop froid, tout va bien.
Je lui souris. Plus le temps passait, plus j’étais heureuse qu’elle soit devenue mon ombre, même s’il avait fallu pour cela que la mort me frôle de près. Très près. Curieuse, je lui posa des questions sur son passé. J’appris avec fascination qu’elle avait été enfermée par sa première propriétaire, qui était venue dans le Château il y a longtemps. Et que celle-ci y était morte. Mauvais. Quand l’Ombre était entrée dans le Château à son tour. Ces nouvelles connaissances, je les reçus avec délectation. Il était si bon de remplir mon esprit vierge. Les Ombres étaient un peuple méconnu, méprisé, inexistant pour bien des yeux.
Tout en l’écoutant, je faisais rouler entre mes doigts la pièce d’Emmanuel. Son contact froid et lisse passait de ma main gauche à ma main droite, en boucle. Je l’échappais. Elle glissa pour venir tinter à ma ceinture contre… l’épée dorée. Comme avais-je pu l’oublier ? J’avais même dormi avec elle ! Chose étrange, quand on y pense… Je la dégageai et la portai au niveau de mes yeux. L’ombre se tut, aussi intéressée que moi. C’était une belle lame, pour autant que je m’y connaissais. Je la fis tourner entre mes mains, la contemplant sous tous les angles. Mon regard fut attiré par les inscriptions gravées sur la lame, déjà repérées lorsque je l’avais récupérée. Me penchant dessus, je lus à voix haute :
« Quand s’uniront le nain prodige, l’aventurier sans nom et le magicien oublié, l’espoir renaîtra au plus profond du château »
-On dirait une prophétie.
Jad avait raison. Il tendit la main, et je lui remis l’épée. A son tour, il l’examina sous tous les angles, avant de psalmodier :
« Nanti quanti a dé révalé da ni politury »
Obéissant à sa voix, les mots se dédoublèrent pour s’afficher en lettres de feu dans l’air en face de nous.
« langua marika poly glotera »
Les lettres remuèrent, s’échangeant, se métamorphosant, donnant une nouvelle phrase :
« Marka midoobaan doonaa Magaclaawe soo baxayo ayaa dalmareen kii cilin ah iyo saaxirka illowday, rajeyneynaa soo unkayo ama in waxyaalaha moolka dheer oo qalcaddii »
Les mots me parurent familiers…
-C’est… c’est de l’ancien langage ?
Jad me regarda.
-C’est exact. Tu connais ?
-Il… me semble reconnaitre… Cette langue ne m’est pas étrangère…
-Elle est belle, sans aucun doute, mais son enseignement est rude, car les nuances sont multiples et les sens innombrables. Par exemple, on peut traduire par… « Quand s’uniront le nain prodige, l’aventurier qui a oublié et le magicien innommable, l’espoir renaîtra au plus profond du château ». Les mots utilisés dans l’ancien langage sont les mêmes, mais la traduction est différente.
-Je ne voudrais pas vous déranger mais… faudrait que vous regardiez….
L’Ombre nous désigna l’épée, au sol, qui luisait doucement. Juste à côté, ma pièce faisait de même. Soudain, sans un bruit, les contours de la lame se floutèrent, et quelques instant plus tard, à sa place se trouvait une pièce ronde, dorée et de la même taille que la mienne. Les deux rondelles vibrèrent, se rapprochant l’une de l’autre. Dans un « cling » sonore, elles se collèrent, aimantées. Elles bruissèrent quelques secondes. Puis la lueur disparu, et elles retombèrent sur le sol, inertes. Au contact, elles se séparèrent et roulèrent chacune de son côté. Jad ramassa la pièce-épée, l’examinant sous tous les angles. De mon côté, je pris dans ma main ma pièce, et poussai un cri de surprise. Sur la face qui venait de s’aimanter, des inscriptions étaient apparues. Je les montrai à Jad et à l’Ombre. le magicien, par quelques mots, envoya des lettres de feu flotter à côté des autres dans l’air. Nous avions maintenant :
« Quand s’uniront le nain prodige, l’aventurier sans nom et le magicien oublié, l’espoir renaîtra au plus profond du château. « The Saaxir ee dagaalyahan, saaxirka iyo dalmareen. Cilin u dhexeeya labada Waxaa lala xiriirin doonaa. « »
Jad fronça les sourcils.
-La deuxième partie peut être traduite par « L’ensorceleur est guerrier, et l’aventurier magicien. Le nain entre les deux sera le lien ». Je ne suis pas sûr, mais je ne trouve pas d’autre possibilité. Bizarre…
-Elle complète la première, on dirait. Fait remarquer l’Ombre.
J’opinai de la tête, en accord avec elle. « Quand s’uniront le nain prodige, l’aventurier sans nom et le magicien oublié, l’espoir renaîtra au plus profond du château. L’ensorceleur est guerrier, et l’aventurier magicien. Le nain entre les deux sera le lien. ». Cela formait un tout, complémentaire.
Un éclair me traversa la tête. L’image du nain, dans la pièce du combat s’imposa à moi. Suivit de peu par celle du propriétaire de l’épée. Et enfin, un brasier immense, avec une silhouette. Tout ceci en une fraction de seconde à peine. Pinçant les lèvres, je me retins de justesse de crier. De la sueur glissa le long de mon dos. Qu’est-ce que c’était ? Mon cœur tambourinait dans ma poitrine, affolé. Je dus faire une drôle de tête, car Jad et l’Ombre me regardèrent, inquiets. J’esquissai un pauvre sourire afin de les rassurer, mais un nouveau flash m’aveugla, m’emportant avec lui dans le noir.
Après un instant de flottement, un grésillement se fit entendre, sans la moindre once de lumière. Comme on règle une radio, me bruit changea, pour se stabiliser :
« … commencé à monter des escaliers… Il y a eu un combat, je me rappelle. Et… Il y avait des oiseaux, non ? Des oiseaux, oui, qui pouvaient se transformer…Se transformer ? Non, ce n’est pas possible, ce ne doit pas être ça… »
De nouveau, des grésillements. Puis, une vois sonore, puissante, qui expliquait à quelqu’un d’autre que celui-ci devait trouver un moyen de stopper ses troubles de mémoire. Ou mourrait. Entrainant son ami le nain avec lui. Une minute… Son ami le nain ? le gars à l’épée d’or aurait-il des soucis de mémoire ? comme moi ? Percutée par cette idée, je perdis le fil de la discussion qui se poursuivait.
Un éclat aveuglant me ramena au présent. De nouveau, le visage de l’aventurier dont j’avais l’épée. Puis celui du nain. Puis les deux, sous une trappe, qui tremblait sous un pas lourd et puissant. Mes yeux crochetèrent ceux de l’explorateur, et j’y vis la peur d’oublier, la même qui m’habitait. Puis un nouvel éclat me traversa, une autre vision, antérieur, me figea. Je … je connaissais ce visage. Il était différent, transformé, haineux, violent. L’image disparu aussitôt. Et je basculai de nouveau.
-J’ouvris les yeux d’un coup, et les refermai aussi sec, éblouie par le blanc. De nouveau je venais de me réveiller. L’Ombre sentit mon éveil. Elle fit signe au magicien. Celui-ci nous rejoignit, me tendant une nouvelle tasse. Comment ça ? un coup d’œil au compte à rebours m’apprit que deux nouvelles venaient de s’écouler. Et de nouveau en un instant pour moi. Je saisis le récipient, et y trempai les lèvres. Pressante, l’Ombre me questionna sur ce qui venait de se passer. Je m’humectai la bouche d’une nouvelle gorgée avant de me lanc… Coupé en plein élan, je m’arrêtai. Je… je ne me souvenais plus. De nouveau, tout ce qui venait de se passer me fuyait. Paniquée, je pris une profonde inspiration. L’odeur de la tisane m’envahit, m’embrouillant les pensées. L’une d’entre elle se dégagea, éclatante. Un fragment de souvenir.
D’un violent coup de poignet, je fracassai la tasse sur le sol, éclaboussant mes vêtements de liquide brûlant.
-Mais… qu’est-ce que tu as fait ?!
L’Ombre me cria dessus, incrédule. Je respirai un bon coup, éclaircissant mes pensées. Je levai les yeux vers eux.
-Jad, tu peux me passer l’épée s’il te plait ?
-… Oui. Mais c’est une pièce maintenant.
Il me tendit la rondelle de métal. Dès qu’elle entra en contact avec ma peau, elle redevint une lame, brillante et mortelle. Je voulais vérifier quelque chose… de la pointe de l’arme, je m’entaillais le dos de la main. L’Ombre hoqueta et voulut m’arrêter. Jad la stoppa, curieux. Et ils durent tous les deux me croire folle. Prudente, ou pas, je goûtai du bout de la langue les quelques gouttes de sang qui avaient perlées. C’était bien ce que je pensais. En plus de la saveur métallique et salé du sang, je percevais la note douce-amère de la plante maléfique. Il me restait une dernière chose à voir…
-Jad, s’il te plait, tu peux voir s’il y a un sortilège sur cette épée ?
-Heu… oui, bien sûr…
Prit au jeu, il attrapa la lame dans ses deux mains, ferma les yeux et murmura :
« habaarkii wuxuu u waxyooday »
A peine avait-il prononcé ces mots que la lame se teinta de rouge avant de redevenir dorée. Il fronça les sourcils.
-C’est étrange. Il y avait un sort, mais dès que j’ai essayé de le décrypter… il… il s’est effacé de lui-même. Il n’y a plus aucun sortilège sur l’épée.
-Tu es sûr, tu n’as pas eu le temps de l’identifier ?
-Non… je dirais dans le style de fixage, ou d’approfondissement, mais je ne peux pas te l’assurer.
-Hum…
-Tu peux nous expliquer maintenant ?
L’ombre me pressa gentiment le bras, m’incitant à parler. En moi, je finissais d’ordonner les éléments que je venais de récolter. Une senteur, une plante, un sortilège. L’amnésie, totale, définitive.
-Je… je reconnais cette plante. Elle… elle enlève la mémoire. Et couplée à un sortilège, elle la détruit. Définitivement. Il n’y aucun moyen de faire marche arrière une fois que le processus est lancé. Et à terme, il n’y a que la mort.
Libérée d’un poids, je respirais mieux. Mon impression nouvelle de savoir ce qu’il se passait, en partie tout du moins, me permis de mettre mes idées en place. Des nouveaux éléments se mirent en place. Comme un coup de fouet, mes différentes visions me revinrent entièrement, sans censure ni flou. J’avalai une grande goulée d’air, et leur racontai tout ce qu’il venait de se passer, tout ce dont je me rappelais, tout ce que j’avais vu, entendu, déduit.
-Au final, je pense que l’alchimiste a été manipulé, et n’avait pas de mauvaises intentions.
L’Ombre exprima son point de vue avec calme.
-Il a bien dit que l’épée était maléfique, non ? Je pense qu’il ne parlait pas de l’arme en elle-même, mais de son action sur son porteur. En parlant de cela, je crois qu’il est important que nous rejoignions le nain et le propriétaire de l’épée. Ne serait-ce que pour lui rendre celle-ci, s’assurer que son amnésie s’est arrêtée, et leur parler de ton interprétation de leur prophétie. De plus, nous ne savons pas s’ils ont eu connaissance de la deuxième partie. Donc ça nous fait au moins quatre bonnes raisons de les trouver.
-Il reste un problème. Comment les retrouver ?
Un silence gêné suivit. Je me sentais détachée de ce qui venait de se dire. Pas que je ne me sentais pas concernée, mais comme si j’avais épuisé mon quota de concentration et de parole. Il me semblait que je n’avais pas parlé autant depuis longtemps. De nouveau, mon esprit dériva sur ce qui avait bien pu se passer avant que je me réveille en haut de la tour. Distraite, je levai mon regard vers le compte à rebours. Me revint l’idée de l’étrangeté de mes réveils : tout pile lorsque je devais prendre le « remède »… la volonté du Château devait y être pour quelque chose… Mes yeux s’écarquillèrent. Il aurait dû nous rester au moins deux heures et demie. La dernière poignée de secondes s’écoula en clignotant. Lorsque le zéro apparu, les murs s’effacèrent. A leur place, une brume noire et visqueuse. Du brouillard sortit une voix. La voix.
« Aucun retour en arrière n’est possible. il est temps pour vous de vous rencontrer. Et de faire face à votre passé. »
A peine la dernière syllabe résonnait que la brume s’étendit dans la pièce, avalant tout sur son passage. Instinctivement, nous nous regroupèrent, dos à dos, en triangle. Nous étions cernés par les volutes. Jad ferma les yeux quelques instants, les rouvrit et déclara :
-Il y a dedans un sortilège de téléportation. Et autre chose. Je pense que ce ne serait pas une bonne idée de se faire toucher. Mais par contre, je pourrais essayer de nous téléporter vers la direction désignée par le sort.
-Essaye, fais quelque chose, mais essaye.
Le magicien respira profondément et plissa les paupières. Nous attrapâmes chacune un pan de ses habits. Je sentais la tension monter. Ce devait être un effort énorme que de nous transporter tous trois vers un lieu inconnu… Il lâche un mot, un seul.
« meelna »
Et nous fûmes ailleurs.