Tout au bout du bord de l’extrême, derrière les dernières montagnes du Monde, s’élève le Château des 100 000 pièces Les murailles, et les tours et les étages de ce palais s’élèvent, à ce qu’il vous paraît, bien au-delà des nuages, au-dessus des cimes.
LA PIÈCE DU CINÉMA
LA PIÈCE DU CINÉMA

LA PIÈCE DU CINÉMA

[Estyria]

La pièce suivante est… hallucinante.
Il y a plusieurs rangées de sièges pliables, des escaliers de chaque côté avec des lumières blanches sur la tranche des marches, et, tout en bas (car la salle est en pente), un gigantesque carré gris. Des ronds de lumières sont incrustés dans le plafond. Étourdie, je regarde autour de moi. Il n’y a personne dans les sièges. Je décide de descendre et de m’asseoir au quatrième rang. Les lumières s’éteignent petit à petit, et l’écran géant s’allume. De grandes lettres s’y découpent « Bienvenue dans la salle de Cinéma . »
Je n’en ai jamais entendu parlé. Je suppose que ce Château traverse les époques et les lieux. C’est impressionnant.
« Vous allez voir un film. »
Ah. Je ne sais pas ce qu’est un film. Ce n’est pas très clair mais je pense saisir le principe.
Je me cale confortablement dans mon strapontin.
L’écran s’illumine, et une image apparaît. Elle devient nette et je blêmis.
C’est moi.
Moi, à quatre ans, qui décide un château fort sur une feuille. Ma mère qui arrive.
-Estyria, arrête de faire ça ! On n’a pas assez d’argent pour payer les crayons de couleur, tu le sais.
Séquence suivante. J’ai six ans. Ma grand-mère me raconte comment son fils, mon oncle, est parti explorer le Château des cent Mille Pièces. Il s’est fait tuer en route et n’y est jamais allé.
J’ai maintenant dix ans. Une plume à la main, j’écris un texte intitulé « Le Monstre du Château et l’Exploratrice Intrépide ». Mon père entre en trombe. J’essaie de cacher ce que je fais, mais il voit, et me gifle violemment. Je le regarde sans pleurer, pendant qu’il hurle « Tu n’as pas le droit d’entrer dans ma chambre ! Tu n’es qu’une voleuse ! Arrête de rêver, et prépare-toi à ton futur métier de tisseuse ! » Je pars en courant.
Six mois plus tard. On me voit dormir, mais dans la moitié gauche de l’écran, on peut observer mon rêve. Je marche sur une route, puis j’arrive devant une grande bâtisse noire, que j’escalade. Dans mon sommeil, je murmure : « A moi les trésors ! »
J’ai ensuite douze ans. Pendant une récré, à l’école, je me plonge dans la lecture d’un livre : « Conte et légendes de Châteaux du monde entier. »
J’ai treize ans. Ma tante m’explique que selon la légende, le château a cent mille pièces, uniques. Personne n’en est jamais sortit et on ne sait pas ce qu’il contient. Des hordes d’aventuriers sont partis, un à un. Personne n’est revenu. « Et c’est vrai ? », je demande. Ma tante rit. « Bien sûr que non, enfin ! » Quelques mois plus tard, en face d’un feu de cheminée, j’écoute ma grand-mère conter où est le Château, comment y aller. Elle ajoute que mes parents ne veulent pas qu’elle me raconte cela.
Deux semaines et demi plus tard, en écossant les petits poids, je demande à ma mère si elle a déjà vu le légendaire Château des cent mille pièces. Elle s’énerve, crie, hurle. « IL N’EXISTE PAS ! N’EN PARLE PAS ! » Je suis privée de dessert jusqu’à la fin de la semaine.
Un mois plus tard. Je parle avec mes amies. Est-ce que c’est vraiment possible qu’il ait cent mille pièces ? « Moi, je n’irai jamais ! », déclare ma meilleure amie. Les autres hochent la tête. Je reste songeuse.
Enfin, j’ai quatorze ans. Je demande à mon père si un édifice de cent mille pièces différentes pourrait exister. Il me frappe en hurlant : « NON ! Non, il n’existera jamais et n’a jamais existé, tu m’entends ?! » En colère, je réplique : « Et si j’ai envie de le découvrir par moi-même au lieu de vous écouter ? Et si vous mentez et si je veux partir explorer le Château des cent mille pièces ?! »
Mon père se lève, pousse un rugissement de rage. Je monte dans ma chambre. Le soir même, furieuse, je réunis de la nourriture et des vêtements pour la route dans un baluchon. Je n’emporte que le nécessaire.
Deux jours plus tard, on me voit partir, après l’école. Je laisse mon sac dans ma rue et je m’en vais avec mon baluchon.
Suis ensuite mon périple, par images fractionnées. On me voit pendant un instant, marcher, sauter, courir, tomber, vomir, rire, pleurer.
Et puis je vois le Château. Je me regarde courir, hésiter, puis prendre une grande inspiration et entrer.
Scène suivante, en accéléré, je saute sur les plate-formes, tombe, me prend les pieds dans l’échelle et ouvre la porte.
Et enfin, je me vois, recroquevillée sur mon siège, des larmes coulant sur ma joue, des sanglots silencieux agitant mes épaules. J’ai l’air pitoyable.
Alors je me redresse, je me mets debout et je fixe l’écran. Il me renvoie mon reflet. J’ai un air de défi.
Oui, j’aurais du devenir tisseuse.
Oui, j’ai beaucoup rêvé du château. Il représentait la liberté.
Oui, j’ai cherché à apprendre le plus possible sur lui.
Oui, je me suis enfuie. Mes parents ne voulaient pas que je rêve, que je lise et ou que j’écrive.
Ils voulaient me marier.
Je suis partie. Un sourire se dessine sur mes lèvres.
L’écran s’éteint. Mon sourire demeure. Sans un mot, je me retourne, et je quitte la pièce.
Oui, j’ai vu mon passé. Et oui, j’ai enfin fait la paix avec lui.

Autrice : Etincelle de Feu, sous le pseudo « Etincelle de Feu »

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