… as …
Prudemment, je passai la tête derrière le mur, et vis la jeune Emilie disparaître derrière une des portes. May était elle aussi déjà rentrée, et il fallait croire que cette fois-ci c’était mon tour. Tous les autres étaient passés par la porte Sud et je n’avais entraperçu d’eux que de simples silhouettes mauves. Qui était derrière moi ? Je ne savais pas, et cette personne non plus probablement. Rares étaient ceux capables de voir les Ombres. Je souris et jetai un coup d’œil vers le plafond de l’entrée. Plafond absolument invisible avec tant de hauteurs. De milliers de chemins s’entrecroisaient, se tournaient autour, se mêlaient, avant de brusquement se quitter et de divaguer. La richesse et la diversité des matériaux donnaient presque le tournis, les bois sombres se mêlaient à la pierre et aux planches plus claires, au fer glacial se mélangeait le marbre. Le bâtiment était totalement déjanté. Des murs penchés sortaient en tous sens, des escaliers qui ne semblaient mener nulle part, des arches, des tours, des piliers qui ne soutenaient rien du tout, des clochers, des gargouilles et des statues dans tous les matériaux possibles et imaginables. Il y avait des sculptures en bois et en or, des escaliers en ardoise, des campaniles qui semblaient en acier, et des choses en marbre, en pierre, en craie, en béton, en brique…J’aperçus même un montant de fenêtre qui paraissait être en cuir. Rien n’était droit, tout semblait prêt à s’écrouler. Et comment diable avaient-ils réussi à faire tenir le plafond…Avec des colonnes en carton ? Tout explorer prendrait un temps fou.
Mais dans l’éternité, ce n’était pas le temps qui allait manquer.
Vu ma constitution, c’’est tout naturellement que je m’éloignai en direction d’une porte de brume et que je la traversai en un éclair doré.
La pièce, dirigée vers le nord, était un peu sombre, mais finement équipée de meubles de bouleau clair. Une bibliothèque protégée par une vitre épaisse donnait à voir ses antiques volumes. Devant elle, une table de verre, et quelques chaises sculptées à même la pierre qui constituait le sol. Dans un coin, un lit aux barreaux rouillés. C’était donc une chambre, une chambre relativement spacieuse, aux murs recouverts d’un papier peint mordoré orné de minuscules fleurs parme. Je devinai néanmoins qu’elle n’était pas complètement normale : la faute à la gargouille qui pendait la tête en bas du plafond et au bout d’escalier qui sortait du mur. Elle était envahie d’une espèce de brouillard si léger et si fin que je mis quelques secondes avant de m’en rendre compte. Il tamisait la lumière qui sortait d’une des chaises. Le sol était d’une pierre noire et tiède.
Dès mes premiers pas, quelque chose m’envahi, une sensation merveilleuse, celle de plénitude et de réconfort. Cet endroit me semblait beaucoup plus chaleureux que devait le ressentir les humains : je sentais la peur que les aventuriers précédents avaient laissée. Au contraire de l’entrée, le sol était parfaitement plat, presque trop. La brume était bien plus sèche que ce à quoi je m’attendais, plus froide aussi, davantage silencieuse également. Non pas qu’il me fut venu à l’idée que la brume puisse être bruyante, mais ici, le silence était incroyablement épais, incroyablement profond. C’était une sensation étouffante, un peu pesante, qui accroissait l’anxiété et faisait tout paraitre plus…Plus grand, plus exaltant. Tout ce que je pensais, tout ce que je ressentais semblait résonner dans ce lieu si vide qu’il en était encombré. Au bout de quelques instants, je me rendis compte que quelqu’un était assis sur une des chaises
Mon cœur bondit, puis se serra, puis implosa
Non
Ce n’était pas possible
Et pourtant si. Il y avait une autre Ombre assise sur cette chaise
Une Ombre qui était morte
Qu’était exactement mon rôle ici ? Et quel était celui de ce château ? Ces questions en tête, je me dirigeai vers le mur du fond et poussai la porte suivante, faite de mercure liquide