Tout au bout du bord de l’extrême, derrière les dernières montagnes du Monde, s’élève le Château des 100 000 pièces Les murailles, et les tours et les étages de ce palais s’élèvent, à ce qu’il vous paraît, bien au-delà des nuages, au-dessus des cimes.
LA PIÈCE DES TISSEURS DE TEMPS
LA PIÈCE DES TISSEURS DE TEMPS

Warning: Trying to access array offset on null in /var/www/223829/site/wordpress/wp-content/themes/bravada/includes/loop.php on line 341

LA PIÈCE DES TISSEURS DE TEMPS

La Chatte qui Pêche as Poussière d’Étoile

Cette pièce était de dimensions étonnamment petites, enfin pour des humains. C’était une sorte de cabine aux murs en pierre, où Esprit devait se pencher pour ne pas que sa fumée s’écrase contre le plafond. Je mis quelques secondes pour remarquer, bien dissimulées dans les parois, des portes et fenêtres à mesure de Dissent. Un murmure étouffé me parvenait de derrière elles. Apparemment, nous n’étions pas les seuls ici. Mais pourquoi les habitants ne se montraient pas? Tout à coup, les murmures se turent, et une voix plus forte s’exclama:
« Qui êtes-vous et que voulez-vous? »

Nous nous regardâmes, étonnés par l’hostilité que nous montraient ces invisibles créatures. Esprit répondit: « Nous sommes quatre explorateurs, nous ne faisons que passer! Excusez-nous si on vous dérange. Indiquez-nous une issue et nous nous en irons immédiatement! » Il faut dire que nous étions assez pressés de mettre le plus de distance possible entre nous et le serviteur que le Dominateur avait envoyé à nos trousses.

La voix se tut pendant quelques instants, puis posa une nouvelle question. »Etes-vous conscients du territoire sur lequel vous vous trouvez? »

« Si c’est du Dominateur de l’Histoire du Château que vous voulez parler, oui, nous le savons » répondis-je un peu excédée par la volonté de ces créatures de rester cachées. Nous n’étions que quatre, même pas très costauds, fatigués et en assez mauvaises conditions, on ne pouvait pas nous prendre pour une menace!

Derrière les parois, les murmures avaient repris de plus belle. « Silence! » j’entendis tonner notre interlocuteur. Puis, une fois le calme revenu, il reprit: « On ne prononce pas ce nom à la légère. Et vous devriez savoir ce que vous risquez en passant par là. Retournez d’où vous venez! »

« C’est le seul itinéraire possible pour arriver à…euh…une chose que nous désirons beaucoup. Nous devons absolument progresser » répliqua Om, taisant avec prudence l’affaire d’Emérence et des vies ballottées.

Bruits de discussions suivis de silence. Alors que j’avais presque décidé d’enfoncer une porte au hasard pour sortir de là, une de celles-ci s’ouvrit avec un crissement et une tête au traits méfiants en émergea. Je faillis tomber à la renverse: mis à part la couleur de cheveux, qui était brune et non verte, on aurait dit une créature de mon peuple! La petite femme, car c’en était une, nous scruta longuement un à un. Ayant probablement conclu que nous n’étions pas dangereux, son visage se fendit d’un sourire et elle annonça: « Abandonnez le plan de défense! » Je reconnus sa voix, c’était elle avec qui nous avions parlementé! Sitôt sa phrase terminée, les fenêtres et les portes s’ouvrirent, et beaucoup d’autres individus sortirent nous observer. Ils étaient tous habillés de couleurs vives, et avaient un visage finalement plutôt ouvert et sympathique. La femme qui semblait être leur chef s’approcha et me serra la main. « Je me présente: je m’appelle Reinanhem » « Caliorynthe. » répondis-je automatiquement, encore sous l’effet de surprise. « Je suis désolée pour l’accueil que vous avez reçu, mais nous ne sommes pas habitués à recevoir de la visite. En fait, c’est la première fois que nous rencontrons des explorateurs » admit-elle avec une expression désolée. Puis elle adressa un signe amical à Om et Esprit, qui se présentèrent à leur tour, et jeta un regard curieux à Ara.

« Nous allons vous laisser poursuivre votre route, mais je vous propose de rester un peu avec nous et de prendre quelque repos, vous avez l’air d’en avoir besoin! » continua-t-elle.

Nous hésitâmes un moment. Nous n’avions aucune envie que l’inconnu qui devait nous amener au Dominateur nous trouve, il était plus prudent de déguerpir, et vite. Mais l’idée de pouvoir enfin se reposer était tellement alléchante… et pour quelques heures, cela ne changerait rien, non? Nous nous empressâmes donc d’accepter. Reinanhem sourit. « Alors venez avec moi, la pièce se prolonge par ici » dit-elle en indiquant la porte d’où elle était sortie. « Je vais commencer par vous faire visiter nos locaux. Mais, euh… est-ce un problème pour vous? » demanda-t-elle en considérant avec une expression dubitative la minuscule porte puis Om et Esprit, qui devaient probablement se sentir comme Gulliver chez les lilliputiens. Om déclara qu’étant une ombre, il pouvait se rallonger ou se rétrécir pour quelque temps s’il le voulait, et deux secondes plus tard il rejoignit ma stature. Esprit voulut d’abord nous attendre là, mais la curiosité l’emporta et il tassa sa fumée tant bien que mal. Nous suivîmes Reinhanem dans un couloir éclairé par la vive lumière des torches. Pendant que nous marchions, je ne pus m’empêcher de lui demander si son peuple était des Dissents.

« Oh non! répondit-elle en continuant sa marche. Nous n’avons rien à voir avec ces fanatiques à la tignasse verdâtre. Et bien heureusement! »

Je faillis lui rétorquer qu’elle aurait pu être plus polie, vu qu’elle parlait justement avec un de ces fanatiques, mais je baissai le regard et constatai que mes boucles, autrefois d’un beau vert foncé annonçant clairement ma provenance, avaient viré au gris à cause de la crasse et de la poussière.

« D’ailleurs, continua Reinanhem toujours sans ralentir l’allure, les Dissents étaient nos persécuteurs les plus acharnés. Pendant des années, ils ont cherché à nous exterminer, et tout ça parce que nous revendiquions la différence et non l’uniformité. Vous ne savez pas tout le mal qu’ils nous ont causé, et ceci en nom de la « sélection génétique » ou je ne sais quoi! Le monde ne devrait pas connaître de telles créatures. »

Je dus me forcer pour continuer à marcher comme si de rien n’était. Qu’est-ce qui allait se passer si Reinanhem découvrait que j’étais une Dissente? Je ne savais pas que mon peuple avait persécuté le sien, et j’étais tout à fait d’accord avec elle: cette idée de la sélection génétique était absurde, moi-même j’en étais une victime! Mais nos hôtes risquaient de me prendre pour une ennemie, ou pire, une menace. Heureusement que la saleté sur mes cheveux avait empêché de me trahir!

A ce moment, nous croisâmes deux jeunes gens qui allaient dans le sens inverse. Ils saluèrent Reinanhem, qui leur adressa un signe courtois. L’un d’eux me regarda avec un air dégoûté, apparemment à cause de l’état de mes vêtements et de ma personne. Je me sentis rougir. Qu’ils aillent eux-mêmes explorer le Château, et ils verraient s’ils seraient mieux mis que moi! Je leur lançai un regard noir en retour. Reinanhem dut le remarquer, car elle me chuchota avec un clin d’œil complice: « Ne t’inquiète pas, dès que tu seras propre, ils ne te réserveront plus ce traitement! Je dois me souvenir de te faire chauffer de l’eau. » J’essayai de sourire pour la remercier, mais le résultat ressemblait plus à une grimace. Aie aie aie, qu’est-ce qui allait se passer si j’étais obligée à me laver les cheveux!

Om dut comprendre mes pensées car il s’apprêta à faire diversion en posant des questions sur les habitants de la pièce. Par exemple, pourquoi vivaient-ils dans le Château? Notre hôtesse répondit qu’à la suite de la menace des Dissents , ils avaient décidé de migrer dans le Château grâce à un pacte avec une créature qui y habitait. Esprit, qui avait un peu de mal à passer dans le couloir mais qui ne perdait pas une miette de la conversation, demanda si cette créature était le Dominateur. Reinanhem hocha la tête gravement. Quand Om voulut savoir pourquoi, et quel était ce pacte, elle nous regarda d’un air mystérieux mais espiègle. « Vous allez voir! Nous sommes presque arrivés! » En effet, nous étions en face d’une porte plus massive que les autres et finement décorée de runes peintes en or. Reinanhem la poussa, et nous nous retrouvâmes dans ce qui à première vue était un atelier de tissure de proportions gigantesques. Des grandes machines tendaient ou enroulaient des longs fils gris, et des dizaines de personnes travaillaient en silence.
« Bienvenue dans la salle des Tisseurs de Temps! » annonça fièrement Reinanhem. Des Tisseurs de Temps? Quel nom étrange pour désigner simplement un grand atelier rempli de fils qui…attendez…semblaient faits de brume?

« Pas exactement, dit Reinanhem comme si elle avait lu dans mes pensées. Nous tissons les filaments de Temps, pour l’usage privé du Dominateur. Voilà quel est notre pacte, car notre petite stature nous rend idéaux pour ce travail. En échange, nous sommes protégés des menaces extérieures et du Château lui-même. »

Mais je ne comprenais pas… Comment ces fils pouvaient-ils être le temps? Encore une fois, notre hôtesse répondit avant que je puisse formuler la question. « Nous ne connaissons pas le secret de ces fils. Nous savons seulement qu’il est interdit d’en casser ne fut-ce qu’un seul… Et que nous devons les séparer un à un et les enrouler. Une fois par mois, nous avons ordre de les envoyer vers le Dominateur par ce conduit que vous voyez là » dit-elle en indiquant un trou de forme circulaire dans le plancher.

Je regardai les Tisseurs travailler patiemment. Les fils de brume semblaient si fins, il fallait certainement une grande maîtrise pour les manipuler sans crainte de les rompre. Je ne voulus pas demander s’il était déjà arrivé qu’un fil se casse.

Esprit, qui avait pu retrouver sa stature et sa forme originale, observait les murs et les mesures de l’atelier. « Dites-moi, tous ces locaux sont en fait une seule et unique pièce? »

Reinanhem hocha la tête. « Oui, quand nous sommes arrivés ici, c’était juste une très grande salle vide. Nous avons construit une cité dans la pièce, si je m’explique. Hé ho, araignée, qu’es-tu en train de faire? »

J’éclatai de rire en voyant Ara s’approcher d’une boule de fils et commencer à les démêler. Plusieurs Tisseurs s’arrêtèrent de travailler et la regardèrent bouche bée. Il faut dire qu’elle procédait beaucoup plus vite qu’eux!
« Vous devriez penser à employer des araignées, dis-je à Reinanhem. Les fils, c’est un peu leur domaine! »

« C’est une idée, admit-elle en constatant les progrès faits par Ara en quelques secondes. Vous ne voudriez pas laisser votre araignée ici, afin qu’elle puisse continuer à nous aider? »

Je sentis un brusque « non » me monter aux lèvres, mais Ara était déjà revenue à toute vitesse vers notre groupe.

« Cet animal est vraiment très intelligent, sourit Reinanhem en voyant l’effarement de la bête. Ce n’est pas grave! Venez plutôt, nous allons préparer un banquet en votre honneur, et vous nous raconterez vos aventures dans le Château! A nous de vous poser des questions, nous sommes très curieux d’entendre de votre exploration! » J’essayai de me montrer enthousiaste sans grand succès. Il s’agissait d’être très prudents dans les réponses que nous allions donner, autrement mon identité serait rapidement découverte. Au moins, Reinanhem semblait avoir oublié son intention de me procurer de l’eau pour ma toilette.

« Mais j’y pense, s’exclama-t-elle. Caliorynthe, tu ne peux pas te présenter comme ça au banquet! Viens, je vais te montrer une salle de bains, et je te ferai confectionner des nouveaux vêtements. Esprit, Om et l’araignée, passez cette porte et vous vous retrouverez dans notre salle des repas. Tout le monde a hâte de vous voir! » Et elle m’entraîna dans la direction opposée. Ah, si seulement je n’avais pas de corps solide comme Om et Esprit! Je lançai un regard désespéré à mes compagnons, qui me firent un geste d’impuissance.

Reinanhem me laissa dans une jolie pièce bleue fournie d’une baignoire d’où s’élevaient des hautes volutes de vapeur. Je n’avais pas pu refuser la gentillesse, cela aurait paru suspect. N’ayant pas le choix, j’entrepris de faire ma toilette, tout en pensant à comment me sortir de cette situation. J’avais fini de m’habiller avec les nouveaux vêtements qu’on m’avait donné -une tunique dont la couleur verte me narguait et un souple pantalon beige- quand je sentis quelque chose gratter à la porte. Je l’ouvris à peine pour voir ce que c’était et eus la surprise de trouver Ara, avec quelque chose entre les pattes. Je la fis entrer avant que quelqu’un ne la voie, et elle posa ce qu’elle avait apporté par terre. C’était une sorte de foulard confectionné en fil d’araignée! Reconnaissante, je l’enroulai plusieurs fois autour de mes cheveux. C’était une solution un peu risquée, mais sans doute la seule si je ne voulais pas susciter de soupçons. Cet animal était vraiment très débrouillard! Après avoir vérifié dans le miroir qu’aucune mèche ne dépassait, je m’acheminai avec Ara vers la salle du festin, le cœur beaucoup plus léger qu’avant. Les couloirs étaient tous déserts, et pour cause: lorsque j’entrai, je fus accueillie par un gigantesque brouhaha de rires et de voix. Toute la nation des Tisseurs devait être réunie là! J’avisai Esprit, Om et Reinanhem attablés au centre de la pièce, et je les rejoignis discrètement. Mes compagnons semblèrent soulagés et Reinanhem me sourit sans apparemment avoir rien remarqué. Esprit me parla à voix basse « J’espérais que tu allais trouver une solution. Nous ne pouvions pas nous bouger d’ici! Quand le banquet finira, je propose de nous en aller aussitôt. Nous avons déjà pris trop de risques. » Je hochai la tête et affichai un air détendu, ce qui ne fut pas trop difficile. Le danger semblait avoir été écarté.

Environ deux heures après, le festin touchait à sa fin. Des dizaines d’assiettes sales étaient empilées un peu partout, les conversations se faisaient moins animées et plusieurs Tisseurs commençaient à bailler. Reinanhem se leva pour demander le silence.

« Aujourd’hui a été un grand jour pour notre peuple. Nous avons accueilli des explorateurs, nous avons partagé avec eux nos coutumes et ils nous ont narré leurs aventures. Ainsi, au nom des Tisseurs de Temps, je vous souhaite bonne chance pour le futur, Esprit et Caliorynthe, Om et Ara! »

Les autres Tisseurs nous acclamèrent. Reinanhem serra la main, si c’est possible, à Om et à Esprit, fit une brève caresse à Ara et enfin voulut me donner une bourrade amicale. Mais un fil d’araignée qui pendait sur mon épaule s’entortilla autour de sa main. Lorsqu’elle recula son bras, le tissu d’Ara s’en retrouva désintégré et les fils blancs s’éparpillèrent autour de moi comme un nuage, en même temps que mes cheveux d’un vert intense se répandaient sur mes épaules. Je me sentis glacer jusqu’au sang. Je vis de la stupeur, de la peur, puis de la haine défiler sur les visages de ceux qui m’acclamaient il y a encore quelques secondes. L’ennemi séculaire ne s’oublie pas aussi facilement. Un enfant éclata en sanglots, et je me demandai si on leur racontait des histoires de monstres aux cheveux verts depuis qu’ils étaient petits. Je pensai aussi qu’il aurait fallu qu’on s’échappe, mais c’était comme si le temps avait ralenti et que je n’étais plus capable de me mouvoir. Au bout de ce qui me sembla une éternité, j’entendis Reinanhem s’adresser aux Tisseurs. « Frères, l’ennemi s’est introduit chez nous dans le but certain d’apprendre nos secrets et nous mépriser. Mais nous ne le laisserons pas s’en aller indemne. Attrapez-la! » J’eus des difficultés à reconnaître sa voix tant elle était empreinte de répulsion, et de douleur? Plusieurs Tisseurs se précipitèrent vers moi, mais j’étais encore incapable de réagir. Heureusement, Esprit me souleva avant qu’ils ne puissent m’atteindre. Après, j’ai des souvenirs assez flous. Je me rappelle de cris, de projectiles lancés, et Om et Esprit qui réussissaient à arriver à la porte avec moi et Ara. Nous nous retrouvâmes dans l’atelier des Tisseurs. Le peuple furieux déferla à son tour hors de la salle et bloqua toutes les issues. Je pensai que nous étions piégés, quand j’avisai le trou circulaire qui devait mener vers le Dominateur. C’était comme aller au-devant de ses malheurs, mais nous n’avions pas le choix. Nous sautâmes dans les ténèbres.

**
Une heure plus tard, un homme arriva dans la pièce des Tisseurs. En voyant l’agitation qui y régnait, il demanda ce qui s’était passé. Lorsqu’il le sut, il voulut absolument qu’on lui dise par où s’étaient échappés les aventuriers. Alors il émit un soupir de soulagement et se frotta les mains. Le maître allait être satisfait plus tôt que prévu.

Partager...

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *