Écouter ma respiration. Me concentrer dessus, ne surtout pas oublier de respirer. J’ai ouvert la porte suivante, complètement hagarde, dépassée par mes émotions. Je savais que je ne devais pas me laisser aller ainsi, surtout pas, dans un endroit pareil. Mais c’était plus fort que moi. Le sublime s’emparait de moi quand je regardais, autrefois, le ciel étoilé ; mais face à l’étoile, la beauté avait rompu avec le désespoir.
Où avais-je atterri ? La pièce me semblait immense. Peut-être même encore plus grande que la précédente. Dans la pénombre, je distinguais de nombreuses petites lumières, alignées les unes à côté des autres, sur des étagères noires à peine visibles. Reprenant mes esprits, je me suis engagée dans l’une des nombreuses allées baignées de brouillard.
À tâtons, je me suis accrochée à l’une de ces étagères. Elles étaient géantes, on aurait dit qu’elles étaient taillées pour un être démesuré. Je n’étais pas assez grande pour atteindre le premier niveau ; tout ce que je tenais, c’était un pied d’étagère. Il allait falloir que je fasse un peu d’escalade.
Je me suis agrippée au métal et j’ai commencé à gravir cette colonne de fer. Le pilier avait suffisamment d’aspérités pour que je puisse m’y accrocher. J’avais l’impression d’être minuscule et que cet état me permettait de percevoir les irrégularités microscopiques d’une surface, lisse à l’œil nu. Mais peu importe ce que j’étais devenue : le Château transforme tout ce qu’il accueille en lui. En entrant, j’ai vite compris que le rencontrer nécessitait de laisser de côté son ancienne identité.
Cela ne signifiait pas que j’avais renoncé à en avoir une, ceci dit.
J’ai enfin atteint le premier niveau – j’ai failli dire étage – de l’étagère (mon cerveau aime les polyptotes). Et ce que j’ai vu m’a ramenée de plein fouet dans la pièce précédente. Seulement en esprit. On ne revient jamais dans une pièce.
J’ai cru à cet instant que j’allais mourir de douleur. Maintenant que j’avais pris un peu de hauteur, je voyais les choses beaucoup plus nettement. Je voyais tous ces tuyaux, organiques, technologiques, aucune idée, reliés à chaque point lumineux. Ils partaient du bas, du haut, des côtés. Ils fendaient l’air saturé de brume comme de profondes entailles sur la peau. À leurs extrémités, des sphères transparentes encagées. À l’intérieur des sphères… De petites étoiles. Une étoile par sphère.
J’étais dans une espèce de maternité morbide à étoiles.
En fait, je ne sais toujours pas comment l’appeler. Centre de rétention de bébés étoiles ? Chaîne de production de boules de feu ? Exploitation stellaire à but lucratif ? Prison d’astres extrêmement dangereux ? Mais merde, sur quoi j’étais tombée ?
J’ai avancé en direction de la sphère la plus proche. Elle était petite, l’étoile qui s’y trouvait enfermée. Toute petite. Minuscule. Un bébé. En fait, je ne sais pas à quel stade d’évolution elle était. Je ne suis pas sûre que les étoiles ressemblent à ça dans leurs premières années de vie, d’ailleurs. C’étaient des étoiles artificielles. Et je ne sais pas comment je le savais, mais je le savais : les tuyaux ne pouvaient être reliés qu’à l’étoile que j’avais vue dans la pièce précédente. Quelqu’un, ou quelque chose, exploitait une étoile pour en fabriquer des centaines d’autres.
J’ai posé ma main sur la sphère transparente, entre deux barreaux. C’était une matière chaude mais impersonnelle. Aseptisée. C’était étrange parce que l’étoile que j’avais devant les yeux me semblait si peu vivante. Dénuée d’âme. Sauf que ce n’était pas possible. Toutes les étoiles ont forcément une âme, si ce n’est plusieurs. Je ne comprenais pas ce que j’avais sous les yeux. Qui, quand, comment, pourquoi ?
Je ne savais pas. Tout ce que je savais, c’était que la géographie du Château n’avait vraiment aucun sens, pour que les tuyaux viennent de tous les côtés. Une pièce ne pouvait pas entourer une autre pièce. À moins que si ?
À moins que si.
J’étais piégée.