J’atterris brutalement sur les fesses. Marine, Orianne et Yashim ne tardèrent pas à me rejoindre.
Dans la semi-pénombre, des gens se pressaient dans tous les sens, se bousculaient les uns les autres sans s’échanger un regard, trop captivés par leurs propres occupations. Quelques chuchotements inquiets seulement se faisaient entendre.
Personne ne nous prêtait attention, avant qu’une grande femme de la cinquantaine très guindée ne vienne à notre rencontre.
– Enfin, ce n’est pas trop tôt ! s’écria-t-elle. Vous êtes en retard ! Suivez-moi !
Elle tournait déjà le dos pour partir, ses grands talons résonnant dans les chuchotements. J’eus un mouvement de recul. Devions-nous lui faire confiance ? Le château m’avait appris à me méfier.
Le claquement de talons s’arrêta net.
– Hé bien, qu’attendez-vous ? s’impatienta-t-elle. Je ne vais pas vous manger !
Sa voix qui partait dans les aigus de ne me rassura pas. Je ne dis rien.
– Je vous promets que vous ne craignez rien…
Toujours pas de réponse.
– Suivez-moi !
Cette fois, sa voix était sèche, son regard dur et froid. C’était un ordre, et elle paraissait avoir l’habitude qu’on lui obéisse.
J’échangeai un vague regard avec mes compagnons. Que devions-nous faire ? Croisant mon regard, Orianne prit les choses en main.
– Et pourquoi donc ?
– Pardon ? s’étouffa la femme. Pourquoi quoi ?
– Donnez-nous une seule raison de vous suivre, continua Orianne, impassible.
– Vous êtes attendus ! On ne discute pas mes ordres, voilà tout !
Sa voix vrillait de plus en plus dans les aigus. Ne nous voyant toujours pas bouger, elle attrapa Orianne par la manche et la traîna derrière elle, nous obligeant à la suivre.
– Lâchez-moi !
– J’ai cru vous faire comprendre qu’ici, c’est moi qui distribue les ordres, mademoiselle… ?
– Orianne.
Elle estima la discussion close, et continua sa marche sans pour autant lâchez la manche de l’intéressée.
– Astrid… commença Marine.
– Chut, Marine. Tais-toi.
Elle baissa le regard et emboîta ses pas dans les miens.
Nous avancions de plus en plus dans ce qui me paraissait correspondre à des coulisses. Des spots lumineux éclairaient une scène que je n’arrivais pas, et nous déambulions dans une allée de grands rideaux noirs. Plus j’avançais, plus je sentais venir – non pas le danger – mais la mauvaise blague. Ou plutôt celle qui ne vous fait pas rire. Toutefois je ne pouvais m’empêcher de m’inquiéter. Nous finîmes par prendre un couloir sur le coté, qui contenait plusieurs rideaux sur les côtés, toutes de différentes couleurs plus flashy les unes que les autres. Elle s’arrêta devant le premier – vert fluo – et me pointa du doigt.
– Vous. Entrez ici.
A contre cœur, je m’éloignai du groupe pour m’avancer vers l’endroit indiqué les jambes un peu tremblotantes. Je franchis la barrière de tissus remplaçant la porte.
Je me trouvais dans une loge. Au centre, un confortable fauteuil de cuir semblait m’attendre, positionné juste devant un miroir entouré de lumières. A gauche, une petite table à roulettes sur laquelle était déjà positionnée un grand bac d’eau et une multitudes de produits de beauté. Toutefois, la seule chose que je juge bonne de retenir de cette pièce, est qu’elle sentait beaucoup trop fort la laque et la poudre à mon goût.
Une fine silhouette que je n’avais pas remarquée avant sortit de l’ombre. C’était une jeune fille brune, sûrement à peine plus âgée que moi.
– Bonjour, me fit-elle avec un sourire chaleureux. Tu dois être Astrid ?
J’hochais vaguement la tête.
– Assis toi. De dois être fatiguée et inquiète. Si tu le veux bien, avant de commencer, je vais t’expliquer la situation.
– En effet ce ne serait pas de trop, grognai-je. Aurais-je aussi le droit de connaître ton nom, ô toi que je ne connais pas mais qui me connaît ?
– Je m’appelle Julie. Mais, ne le prends pas mal, tout le monde connaît vos noms ici.
– Et pourquoi ? Est-ce qu’on pourrait m’expliquer tout ça ?
– Non.
Elle croisa ses bras devant sa poitrine, en signe de refus.
– Je suis désolée, je n’ai pas le droit.
Elle m’observa un moment, avant de continuer :
– Enfin, si je peux commencer… Passe-toi ça sur le visage, les bras et les jambes, pendant que je te coiffe.
Elle me tendit un gant de toilette. J’obéis, estimant que ça ne me ferait pas de mal. Pendant ce temps, Julie sortit un grand spray, que je devinais être un shampoing sec. Elle me l’appliqua, et commença à me peigner avec une grande brosse. Elle les joignit en un chignon parfait, faussement négligé.
– Tu as de beaux cheveux, observa-t-elle. Je t’envie.
– Vraiment ?
– Je vais passer au maquillage, dit-elle sans répondre à ma question.
Elle attrapa le gant de toilette de mes mains et sortit une malle remplie de divers produits.
– Je n’ai pas beaucoup de temps, on va faire simple.
– Tant mieux, grommelai-je.
– Arrête de râler, tu vas voir, tu vas être contente.
– N’affirmez pas des choses dont vous n’avez pas la moindre idée. Vous ne me connaissez même pas.
– Ce sont tes péripéties à travers le château qui te rendent si nerveuse ?
– Il faut croire.
– Ferme les yeux.
Elle m’appliqua du fond de teint sur toute la tête, ainsi qu’un rouge à lèvre discret et du crayon autour des yeux.
– Et voilà, c’est fini ! Chantonna-t-elle. Maintenant enfile moi ça – elle me montra un tas de vêtements posé sur une table – et retourne dans le couloir.
Elle sortit de la pièce sans que je n’aie le temps de placer un mot. J’étudiais les vêtements. Un jean simple, une chemise blanche – sur laquelle était fixé un micro, et une paire de bottines. Je m’étais attendu à bien pire.
Une fois les habits enfilés, je sortis et retrouvai sans surprise Marine, Orianne et Yashim. Nous échangeâmes un regard interrogateur. La femme de tout-à-l’heure revint, plus pressée encore que la première fois.
– Une fois ce couloir passé, je ne veux plus entendre un mot. C’est sur le point de commencer.
Comme d’habitude, personne ne fit de remarque. Nous passâmes un nouveau rideau. Il faisait encore plus noir qu’avant, mais cette fois, il n’y avait plus un bruit. D’un seul coup, les spots de la scène s’allumèrent.
– Mesdames, messieurs, je vous souhaite le bonjour ! clama une voix. Vous êtes bien en direct de château TV !
Un pressentiment me noua le ventre. Une émission télévisée ? La voix continua :
– Aujourd’hui nous accueillons de braves aventuriers. Merci de les applaudir !
Des applaudissements bruyants résonnaient dans toute la salle et mon cœur fit un bond. Je n’avais même pas pensé à la possibilité qu’il y ait un véritable public en plus de la retransmission.
La femme nous poussa sur la scène en nous chuchotant d’avancer, de plus en plus énervée.
– Pardon ? m’étranglais-je. Il en est hors de question !
– Avance ! répéta-t-elle de nouveau.
Et je me retrouvai sur scène.
Pendant quelques secondes, la luminosité m’empêcha de voir. Puis, le public m’apparut en premier, et enfin la scène. Elle était constituée de cinq fauteuils – dont un était déjà occupé par ce qui devait être le présentateur, un homme en costard-cravate, avec le sourire horriblement figé et tout aussi faux des stars américaines – d’une table, et de tout un tas de choses à grignoter.
– Allons, approchez-vous ! fit l’homme en dévoilant toutes ses dents blanches. Ces fauteuils ne sont pas là pour rien !
En entendant les quelques rires qui parcoururent la salle, je compris que c’était censé être drôle.
Je pris la main de Marine, et toujours sans un mot, m’installais sur un des moelleux fauteuils.
– Ah ! s’enthousiasma le présentateur. Comment t’appelles-tu ?
Puis en s’adressant à Orianne et Yashim :
– Et vous ! Installez-vous voyons !
Puis il retourna la tête vers moi, en attendant ma réponse.
– Astrid.
Le micro grésilla horriblement.
– Astrid, répétais-je.
– Et toi, comment t’appelles-tu, ma mignonne ? demanda-t-il à Marine.
– Je ne suis pas une gamine, asséna-t-elle avec un aplomb dont je ne l’aurais pas cru capable.
La figure de l’homme se tordit dans une grimace horrible, mais il se reprit et continua :
– Oh ! Mais ne te fâche pas ! Je reprends : Comment t’appelles-tu ?
– Marine, grogna-t-elle.
– Marine ! Et vous ? demanda-t-il à Orianne et Yashim qui étaient en train de s’installer.
– Voici Orianne, et je m’appelle Yashim, répondit ce dernier.
– Pourrions-nous aussi savoir votre nom ? enchaîna Orianne.
– Quoi ? Vous ne me connaissez pas ?
Il fit un sourire resplendissant au public qui hua d’une seule voix.
– Très bien. Je suis Jean P. Mais parlons plus de vous. Seriez-vous d’accord pour nous raconter vos périples à travers le château ?
– Il me semble que nous n’avons pas le choix, lui fis-je de nouveau remarquer.
Une nouvelle huée.
– Je prends ça pour un oui ?
Il attendit une réponse qui ne vint pas.
– Super !! Comment vous-êtes vous rencontrés ? Pourriez-vous nous rejouer la scène ?
J’avalai de travers. Rejouer la scène ? Et puis quoi encore ? Je me sentis d’un seul coup beaucoup moins téméraire face à ce « Jean P . » D’ailleurs, de quoi cela pouvait-il bien être le diminutif ? Jean Pierre ? Jean-Paul ? Peut-être était-ce l’initiale de son nom de famille ?
Ou peut-être que ce n’était qu’un nom de scène ?
Orianne expliqua très vite le fait que nous n’avions pas toujours explorés ensemble. Sa voix faiblit un peu quand elle parla de ses anciens compagnons, et de Romain.
– Romain ? s’étonna-t-il. Comment se fait-il qu’il ne soit pas ici ?
Cette fois, j’eus l’impression que mon ventre se retournait complètement et je dus me retenir pour ne pas vomir sur scène.
– On ne sait pas où il est, me contentai-je de répondre, en faisant attention à lui décocher un regard le plus noir que possible. Il n’y a rien d’autre à savoir.
– Oh… Je vois fit-il avec un regard faussement peiné. Sujet sensible…
Je vis les poings de Yahim se crisper sur son accoudoir, comme s’il se retenait pour ne pas se jeter sur l’homme.
– Passons. Vous voulez bien nous rejouer la scène ?
Il se répétait, et il me semblait qu’il nous parlait comme à une personne qui sort d’asile psychiatrique.
– Je ne pense pas que nous puissions vous la refaire. On ne s’en souvient pas bien, affirma Orianne.
Bien évidemment, c’était totalement faux.
– Hum…
Il ne semblait pas du tout satisfait de nos réponses. Nous devions lui paraître trop mornes.
– Puis-je te demander ton âge ? demanda-t-il à Marine .
– 11 ans. Bientôt 12.
– Si j’ai bien compris, tu es la sœur d’Astrid ?
– Oui.
Il n’y avait pas de questions piège. Elle sembla se détendre un peu.
– Tu dois mal, le vivre, cette aventure au château. Tu dois être exténuée !
– Oui. Enfin je crois…
Le rire brutal de Jean P. la fit sursauter. Je lui adressais un regard encourageant.
– As-tu envie de rentrer chez toi ?
– Bien sûr… Je pense que la question ne se pose pas.
– Tu aurais du être en… Sixième, c’est ça ?
– C’est… C’est ça.
Elle me rappela alors que nous avions littéralement arrêté les cours. Il lui manquait plein de choses à apprendre, et sûrement à nous aussi !
Je profitais des multitudes de questions inutiles posées à Marine pour observer plus en détail le public. Il n’y avait aucun enfant. Seulement des adultes, dont quelques uns semblaient en armure, ce qui me dérouta particulièrement. Sûrement cette pièce était une distraction pour les membres de l’armée du château… Alors peut-être ne devrions-nous pas donner des informations trop importantes sur nos états de faiblesse ! Mon cœur battait à tout rompre.
« Rassure-toi Astrid. Tu te fais encore des idées », pensais-je.
Mais quand une voix me soufflait que je me faisais des idées, l’autre continuait à faire connaître sa trop grande imagination.
« De toute façon, qu’est ce que le château pourrait bien faire de ces infos ? »
« S’en servir pour nous achever définitivement »
Ce fut la voix de Jean P. qui me ramena à la réalité :
– Et c’est la pause pub ! A tout à l’heure, sur château TV !
De nouveau, des applaudissements retentirent.
– Coupé !
Immédiatement, le sourire figé du présentateur se transforma en une moue grotesque de profond agacement. Ensuite, quelques personnes se précipitèrent autour de lui, lui offrant un verre ou le remaquillant. Alors que j’étais en observation de cette scène, qui me paraissait navrante, la femme guindée de tout-à-l’ heure revint, le visage distordu par la contrariété.
– Vraiment, vous ne faites aucun effort ! C’est désolant ! Navrant !
J’échangeai un regard avec Yashim, qui me parut tout aussi désorienté que moi.
– Comment va-t-on faire, si vous continuez comme ça ? Il va être déçu, ce sera la fin !
– Qui ça ? osa Marine. Qui va être déçu ?
– Mais le château voyons ! Le château !
Puis elle tomba à genoux, et pleura sans retenue. Son mascara se mit à couler, et son font de teint à partir, la dévoilant beaucoup plus blanche que je n’aurais pensé. Cependant, elle ne me fit ressentir aucun pitié. Elle faisait dans le sur joué, j’étais presque certaine qu’elle faisait ça pour nous faire culpabiliser, et nous dénouer un peu la langue.
Elle resta un moment immobile, et ne voyant que personne ne réagissait, elle se releva brusquement nous tourna le dos et partit en faisant claquer ses talons de plus belle. Puis, la fille qui m’avait maquillé auparavant – j ‘avais déjà oublié son nom – revint pour me repasser un petit coup de font de teint.
– Le présentateur, c’est quoi son vrai nom ? m’informai-je afin d’avoir un sujet de discussion.
Elle pinça les lèvres et ne m’adressa pas un mot. C’était à peine si elle me regardait, elle ressemblait à un robot. Programmé pour ne pas parler.
Enfin, elle se redressa, déplissa sa jupe et me dit d’un ton sans émotion:
– L’émission recommence dans dix minutes.
Puis, en se retournant dans un filet de voix que j’entendis à peine :
– Ne faites pas de bêtises.
C’était une menace ? Ou bien un avertissement ? La méfiance m’enserra de nouveau.
– Marine, lui soufflais-je. Méfie-toi, ne raconte pas n’importe quoi. Pas quelque chose qui puisse servir au château.
Elle hocha gravement la tête, comme si elle y avait pensé aussi, et qu’elle y avait longuement réfléchit.
Les minutes qui passèrent me parurent les plus longues de ma vie. Siroter un jus de fruit – ou plutôt faire semblant d’en boire, question de méfiance- sentir le trac et le stress engourdir mes jambes, échanger quelques regards avec Orianne et Yashim, les oreilles remplies des discussions du public trépignant, n’était pas fantastique.
Enfin, Jean P revint, se moue dédaigneuse déjà à moitié masquée par son faux-sourire. Il nous adressa un regard noir à peine dissimulé et informa les cameramen qu’il était prêt – leur ordonna de commencer.
– Et château TV… cria Jean P.
– Continue !! répondit le public en levant les bras.
– Parfait !
Il applaudit le public.
– C’est maintenant l’heure des challenges ! Mais qu’est ce que sont les challenges ? me demanderont mes chers invités. Je leur répondrai : c’est l’heure des défis!
Des défis ? Entre « défis » et « challenge », ça nous avançait bien.
– On commence par Marine, la plus jeune !
Marine se crispa immédiatement.
– Marine, tu vas venir près de moi.
Elle s’exécuta et je vis qu’elle tentait de dissimuler ses tremblements derrière un sourire assuré.
– Tu vois ce tableau ? Tu auras 20 secondes pour dessiner dessus quelque chose à partir d’un thème, que tes partenaires – il nous désigna – devront deviner en 5 secondes. Tu n’as le droit ni aux lettres, ni aux chiffres, ni aux symboles, compris ?
Elle hocha vaguement la tête.
– Le thème est… Ce qui te fait penser au château.
Hum… Une question piège, à coup sûr. Il fallait qu’elle trouve vite, et pas n’importe quoi. Ou alors c’était un effet de mon imagination.
– 19 ! commença Jean P.
Marine empoigna le crayon. Je priais intérieurement.
« Ne fais pas n’importe quoi. Pas quelque chose qui puisse contrarier le château, Marine »
– 18!
Elle hésitait.
– 17 !
Le public commença à crier le compte à rebours avec Jean P.
– 16 !
Elle hésitait toujours.
« Réfléchis, Marine, c’est bien »
– 15!
Et si elle ne faisait rien? Mieux valait ne pas le tenter.
– 14!
Toujours en train de réfléchir.
– 13 !
Cette fois, elle commença à dessiner. Je ne m’en faisais pas trop pour la compréhension, elle n’était pas mauvaise en dessin. Plutôt pas mal, même. Peut-être aurait-elle pu plus se pencher vers ce talent si elle ne m’avait pas suivi au château?
Elle traça quelques traits simples, mais propres, tendis que le compte continuait.
– 3 ! 2 ! 1 ! 0 !!!
– Maintenant, pose le crayon! s’égosilla Jean P.
Elle l’avait déjà fait, mais cela faisait sans doute parti du protocole.
– Vous avez 5 secondes pour deviner ce que c’est : 5 !
– C’est une porte, le coupa immédiatement Orianne.
– Etait-ce ça ? demanda-t-il à Marine.
Elle hocha la tête. Il fallait vraiment ne pas avoir les yeux en face des trous pour ne pas comprendre que c’était une porte.
– Félicitations ! Nous passons au défi numéro deux avec… Yashim !
Qu’est ce qu’allait être son défi ? Un aussi simple que Marine ? Je l’espérais. Bien que je doutais que ce soit le cas. On aurait dit qu’on cherchait à la protéger.
– Nous allons avoir besoin d’un peu de place !
Jean P claqua des mains, et, à ma grande surprise la plateau s’avança vers l’avant , et des personnes arrivèrent en trainant un véritable colosse de barreaux de fer. Ils devaient être une dizaine ou une vingtaine à le tirer par de simple cordes. Une scène d’Astérix et Obélix chez Cléopâtre où des esclaves tiraient un morceau de pierre s’imposa dans ma tête. Quand enfin ils s’arrêtèrent de tirer et que la cage fut enfin en face de nous, je remarquai qu’elle était étrangement vide. A quoi pourrait-elle bien servir ? Jean P, lui, regardait plus Yashim que la cage, et semblait ravi de son air livide.
– Tu la vois n’est-ce pas ? lui demanda-t-il en chuchotan – -sans effet, bien sûr, car il avait un micro.
Yashim opina, toujours plus blanc.
– Décris-la nous, susurra-t-il.
– Il… Elle est… Énorme… Un pelage marron… Avec des taches de… De sang?… sa voix s’étrangla mais il continua. Des énormes griffes… On dirait qu’elle clignote… Elle apparaît et disparaît, ses contours sont flous… Elle dort.
Il termina étrangement calme, ou peut-être juste totalement bouleversé par ce qui l’attendait.
– Par-fait ! Et dis-moi Yashim, sais-tu pourquoi tu vois cet anima l? Cette chose ?
Il secoua la tête en signe de négation.
– En général, ce sont les gens qui ont des choses à se reprocher…
Yashim blêmit encore plus, et Jean P le regarda de nouveau avec cet air satisfait.
– Ou à cacher… Enfin bon ! reprit-il avec bonne humeur. Maintenant, tu te lèves-si tu gardes connaissance bien sûr, ça arrive à certains de s’évanouir – tu choisis une arme parmi le vaste choix sur se présentoir (au moment où il prononça ces mots des gens arrivèrent en portant une longue grille remplie de haut en bas par des armes diverses), et tu essayes de t’en sortir vivant. Compris Yashim?
Il hocha la tête et se leva lentement. Puis il s’avança vers le présentoir et choisit une sorte de sabre-qu’il était plus habitué à manier. Enfin, on lui fit enfiler un casque, des genouillères, des coudières, une protection ventrale et une sorte de bouclier léger.
Quant à moi, mon estomac recommençait à bondir dans tous les sens.
On ouvrit la grille et Yashim entra. Une fois la porte bien fermée avec une grosse clé en bronze, un homme fit le geste de piquer quelque chose avec une lance, qui se trouvait à l’intérieur de la cage. Le hurlement roque que ça provoqua me fit comprendre qu’on réveillait la bête.
Yashim brandit aussitôt son « bouclier » au dessus de sa tête.
– Quelques informations pour ceux qui ne voient pas la bête : elle fait près de deux mètres et pèse deux cents trois kilos et quatre-vingts grammes. C’est la femelle, elle est donc plus petite que le mâle, mais plus agressive.
A ce moment, Yashim vola à travers la cage, ce qui tira un cri strident à Orianne et Marine, tandis que je me rongeais les ongles à me faire saigner.
Il se releva avec peine, mais se mit aussitôt après en position de combat, le sabre en avant, regardant dans ce qui me paraissait être du vide. Cependant je n’étais pas sotte, il y avait bien quelque chose, chaque tremblement de la cage l’assurait.
– Oh ! fit Jean P d’une façon totalement sur jouée et non crédible. J’ai oublié de vous dire: Yashim ne passera que dix minutes dans la cage… Cela augmente peut-être ses risques de survie?
« Peut-être » me répétais-je pour moi-même.
Yashim fonça, sabre en avant avant de se prendre un nouveau coup qui le fit rouler à quelques mètres.
– C’était pourtant une belle tentative, commenta Jean P.
Je me mordis la lèvre pour m’empêcher de lui arracher les yeux.
Le combat continua quelques minutes, inlassablement. Yashim tentait d’attaquer, puis se faisait rejeter avec plus de violence à chaque fois.
Yashim avait à présent une belle plaie sur le joue, une autre sur le bras, ressemblant à une trace de griffure, et un début d’œil au beurre noir. Il se releva de nouveau, tâtonna à coté de lui pour rattraper son arme, et donna un coup sec en face de lui. Cette fois, un sang beaucoup trop visible à mon goût jaillit du vide, mais je devinais qu’il devait avoir coupé une patte à la bête.
Ensuite tout se passa très vite. Un nouveau coup atteint Yashim, qui s’écroula sans se relever, tandis que quelqu’un accourait et tira une fléchette pour endormir la bête. Ensuite, on ouvrit la cage, on sortit l’animal en premier et on laissa Yashim assommé ou pire dans une flaque de sang. Le sien ? Je ne saurais dire, je ne regardais même plus ce qui se passait, car je vomissais tous ce que j’avais mangé ces derniers jours au beau milieu de la scène, dans un saladier de décoration. Un rire bruyant s’éleva du public.
– Et bien, rigola Jean P, ça n’a pas l’air d’aller Astrid. Un petit remontant ?
Il sortit de sa poche ce que je devinais être une bouteille d’alcool fort. Le temps de lui lancer un regard noir je remarquai que Yashim n’était plus dans la cage. J’espérais qu’on allait le soigner. Ils n’oseraient quand même pas le laisser mourir ?
– Oh ! Regardez-moi ce regard qu’elle me lance !
A côté de moi, Marine pleurait. Enfin, Orianne semblait faire tout son possible pour ne pas hurler ou égorger le présentateur.
– Bon, puisque c’est comme ça, c’est à ton tour.
Je faillis en tomber de ma chaise bien que je sois déjà assise.
– Normalement c’était toi l’épargnée, qui n’avait pas de défi, mais je t’aime bien, alors on va échanger avec ton amie Orianne… Lève toi.
J’obéis, complètement déboussolée. Orianne n’aurait pas de défi ? Cela me paraissait plus qu’étrange.
– Assis-toi sur la chaise devant moi. Bien. Maintenant je te présente une amie.
Une femme cachée sous une multitude de voiles de toutes les couleurs et croulant sous les bijoux s’avança et s’assit devant moi.
– Peu importe son nom. Tout ce qui compte, c’est qu’elle lit dans les pensées. On va te faire passer par une sorte de détecteur de mensonge, si tu veux bien.
Ce n’était pas comme si j’avais le choix. Je me levai et m’assis et face d’elle en tentant de garder la tête haute. Vider sa tête. Ne pas penser à n’importe quoi. Si je comprenais bien on tentait de me soutirer des informations. Et si c’était faux ? Si elle ne lisait pas les pensées ? La réponse ne tarda pas à arriver. La femme m’adressa un discret signe de la main « non ».
« Vous lisez réellement mes pensées ? » lui demandai-je intérieurement.
Elle hocha très légèrement la tête. Puis elle fit un geste que j’interprétais comme « ne t’inquiète pas ».
-Bien ! Première question : Que pensez-vous du château ?
Concentrant toutes mes forces pour ne penser qu’à la question et donner une réponse non dérangeante, je finis par formuler.
« Du respect »
C’était à la fois vrai et faux. La vérité était plutôt de la haine, mais si je n’avais vraiment pas grand-chose à craindre, ce serait la réponse que donnerait la femme.
Je me souvenais alors qu’elle devait suivre mes pensées en ce moment même. Il fallait que j’arrête de penser.
Elle griffonna quelque chose sur un papier qu’elle donna un Jean P. Il lut à voix haute :
– « Du respect ». Deuxième question, enchaîna Jean P, que penses-tu de ce que nous a raconté Orianne tout-à-l ’heure, au sujet de vos explorations. A-t-elle oublié quelque chose ?
Je réussis à formuler un « non », plus au moins à contrecœur, puis les questions défilèrent, parfois à pièges, parfois personnelles, mais la femme faisait toujours en sorte d’arranger mes pensées, tout en gardant plus ou moins la vérité. J’étais rassurée. Enfin, le questionnaire se termina.
– Tu peux retourner t’assoir, fit finalement Jean P avec une petite moue déçue – il n’avait pas du trouver des informations choc comme il l’avait espéré.
On avait ramassé le saladier.
Quant à moi, j’étais heureuse de pouvoir penser librement de nouveau. Cela prouvait que certaines personnes travaillaient de force pour le château, bien que je m’en doutais déjà. La question maintenant était : jusqu’à quel point ? Jean P était-il forcé à travailler pour le château ?
– Maintenant, c’est presque fini, fit le présentateur avec un geste faussement désespéré. J’ai dit que Orianne n’aurait pas de défi ; ce n’est pas tout-à-fait vrai. Elle aura en fait la clôture de cette émission. Réussir à ouvrir la porte, et partir.
Partir comme ça ? Sans Yashim ? Ou alors il était déjà remis sur pied ?
– Si tu échoues Orianne, même à la première tentative, vous êtes tous coincés ici. Est-ce que je suis bien clair ?
Orianne déglutit péniblement et hocha la tête, tandis que le public chuchotait.
– Apportez la porte !
On apporta la porte en fer dont la poignée était recouverte d’une sorte de charbon brûlant, puis un tapis rouge, que l’on recouvrit également de braises. Enfin, on apporta Yashim, le visage et le corps recouvert de pansements, tenant à peine debout.
– Orianne, enlève tes chaussures, et va ouvrir la porte. Si tu sors du tapis, que tu abandonnes ou que tu cries, tu as perdu.
Elle paraissait étrangement calme et déterminée. Elle se leva, enleva ses chaussures, et avança devant la machine de torture, positionné au centre de la scène, entre nos fauteuils en demi-cercle.
Je me mordis de nouveau nerveusement les ongles. Le château n’avait donc aucune pitié ? Je retins un commentaire, de peur qu’on empire encore son sort. Yashim, lui, était toujours supporté par deux personnes et regardait dans le vague.
– 3… 2 … 1 … vas-y !
Orianne posa un pied sur le charbon, et immédiatement son visage se tordit de douleur.
Le public hurla (pour l’encourager ou la décourager ? Je ne saurais dire), puis elle se mit à courir jusqu’à la poignée, qu’elle ouvrit d’un seul geste, et elle se laissa tomber de l’autre coté de la porte. Elle avait disparu de mon champ de vision.
Le public applaudit, et une fois le tapis retiré, on nous poussa sans ménagement vers la sortie. J’eus à peine le temps d’entendre ce que disait Jean P. J’avais franchi la porte.
Autrice : Cléclé, sous le pseudo « Cléclé dite la pianiste un peu folle »