… as …
Nous atterrîmes pêle-mêle sur une épaisse couche de poussière. Mon accompagnatrice roula brusquement sur le côté. Le contact avec une peau d’Ombre était assez désagréable et je ne pouvais pas l’en blâmer. Je me levais, les yeux fermés. J’avais terriblement mal au poignet, la chute avait été très brutale et ma tête résonnait encore de la pièce que nous venions de quitter. Les catacombes étaient très étranges à voir pour un Ombre. Les squelettes possèdent une présence différente de celle des humains, mais une présence néanmoins. Glauque, poisseuse, et triste, infiniment triste. Mon cœur se retourna à ce souvenir et je me sentis sur le point de défaillir. Mes jambes s’écroulèrent et, accroupie, la tête dans les mains, je luttai pour garder le contrôle de ma conscience. Inspirer. Expirer. Inspirer. Expirer. Sentir la pierre sur laquelle j’étais assise, le contact de mes mains avec mon crâne, l’odeur de renfermé. Renfermé ? Je relevai la tête et tressaillis brutalement.
On se serait cru dans une histoire d’horreur. C’était une salle de toute évidence abandonnée depuis une éternité. Qui sait combien de siècles s’étaient déroulés depuis le dernier visiteur ? Toute une pièce fantôme, à l’épaisse couche de poussière, aux meubles recouverts de draps blancs dont on ne voyait ni les tableaux et les miroirs, hauts et sombres, cachés par de lourdes tentures. Tout semblait y hurler de tristesse, de mort, de solitude. Encore pire que le cimetière
Je levai la tête vers le plafond mais aucune trappe n’était visible. Il n’y avait qu’une seule petite porte au bout de la pièce, plongée dans une semi pénombre qui effaçait mes contours. Avec quelques difficultés, mon accompagnatrice se releva à son tour et nous traversâmes la pièce ensemble. Ses pas laissaient des traces dans la poussière tandis que les miens ne déplaçaient que quelques grains, dessinant un infime sillon parallèle au sien. La porte était couverte d’un vieil écriteau rouillé. Passant sa main dessus, elle enleva la poussière et dévoila un simple mot en majuscules : « BIBLIOTHEQUE »
Elle tourna la poignée. Fermée. Il allait falloir trouver une autre sortie, et je tournai la tête pour dénicher une autre porte.. Quelque chose me mit vaguement mal à l’aise dans l’immense pièce plongée dans le noir, sans que je parvienne à trouver quoi, mais je notai qu’elle avait elle aussi ressenti ce même malaise. Cette même impression d’erreur
Une clé. Il y avait sûrement une clé quelque part. Puise qu’il fallait bien commencer par quelque part, je lui proposai de commencer par la commode la plus proche et et nous balançâmes le drap qui la recouvrait par terre avant d’ouvrir les tiroirs. Le contenu du premier ne présentait guère d’intérêt, et nous n’y trouvâmes guère qu’une petite boîte de bijoux anciens, recouverts d’une épaisse couche de rouille à l’odeur d’usé , et même presque de mort. Le second était rempli de vieux vêtements, des robes tachées, usées, mitées, à la mode du Moyen-Age.
Le troisième et dernier contenait des sacs, des dizaines de sacs en toile surpiquée et solidement fermés par des cordes de marins. Curieuses, nous en attrapâmes un, nous débâtîmes un moment avec la corde avant de réussir à l’ouvrir. Non, ce fut plutôt le sac qui s’ouvrit de lui-même, renversant tout son contenu par terre. M’agenouillant, je notai qu’il se mélangeait à l’épaisse couche de crasse qui recouvrait les dalles du sol. C’était de la poussière grise et impalpable. De la cendre. Parmi elle, nous trouvâmes un petit objet, qu’elle approcha pour tenter de l’identifier. Nous comprîmes sa nature en même temps et sautâmes sur nos pieds en hurlant, nos cœurs battant, la bouche ouverte incapable de hurler, les mains moites et remplies d’épouvante. L’objet était un petit morceau d’os noirci. Et les cendres n’étaient sûrement pas de papier. Relevant la tête, je trouvai enfin ce qui m’avait mis mal à l’aise dans cette pièce, le petit détail qui ne concordait pas avec le reste. Là-bas. Le vase était rempli d’une brassée de fleurs fraîches. Or personne n’avait mis les pieds ici depuis des siècles. Personne de vivant. Néanmoins ce fut une seconde chose qui réussit à faire jaillir le hurlement coincé dans ma gorge.
La grande statuette posée sur la table. J’étais sûre de l’avoir vu assise à mon entrée dans la pièce, et mon accompagnatrice aussi. Or elle se tenait maintenant agenouillée, ses mains d’argiles de chaque côté de ses jambes.
Nous n’avions aucune sortie possible. Coincées. Coincées dans ce monde-prison, dans ce château de fou, dans cette pièce d’horreur avec une statue vivante et des cendres humaines. Gé-nial. Pendant La statue se levait, lentement, sûre d’elle et sûre de sa capacité à me terrifier.
Tout en hurlant de plus belle, nous fonçâmes sur la commode et balançâmes le contenu des autres sacs (également de la cendre) par terre. Quelque chose retentit sur le sol avec un cling métallique. Prions pour que la clé ne soit pas en bois. Rien ne prouvait qu’elle se trouvait dans la commode mais entre ça et regarder la figurine venir nous dire bonjour je préférais me raccrocher au mince espoir qu’il me restait, et ma maîtresse aussi. A genoux par terre, nous fichant de salir nous habits, tout en continuant à hurler, nous enfouîmes chacune nos mains dans le tas de poussière même si, de sa nature plus matérielle, elle était bien plus efficace que moi. Prenant une secondes pour lever la tête je vis que la statue avait sauté à terre. Mes doigts se refermèrent sur un objet que j’extirpai. Encore un os. Et la statue était à quatre mètres de nous.
J’attrapai une chose métallique et froide, le cœur battant…Mais ce n’était qu’un morceau de métal usé, une boucle de soulier.
Deux mètres.
Enfin, entre deux morceaux d’os, elle dénicha notre précieux trésor, la clé, une grande clé en bronze au manche délicatement orné de crânes. A pic. La statue n’était plus qu’à un petit mètre de la commode. La porte. Direction la porte
La statue, comme si elle sentait que ses victimes/jouets/déjeuners lui échappaient, marchait plus vite.
La clé ne rentrait pas, mais prise d’une subite inspiration, elle la retourna, la mise à l’envers dans la serrure, et tourna d’un tour. Un léger clic se fit entendre. Poussant la porte, nous sautâmes dans la salle qui devait être la bibliothèque et la claquâmes derrière nous. Je me laissai glisser, paupières fermées, au sol de pierre glaciale, aux côté de mon accompagnatrice et eus une quinte de toux qui acheva ce qui me restait de volonté. J’ouvris lentement les paupières, tandis qu’elle reprenait son souffle et ses esprits, sur ce qui aurait dû être une bibliothèque, et me demandai qui était l’idiot qui avait marqué ça sur la porte.