Nous nous retrouvâmes dans une pièce grande environ comme un terrain de tennis, les murs et le plafond chargés de dessins alambiqués. Sinon, elle était entièrement vide, et sa seule particularité était une pelouse très verte, taillée au millimètre et digne des plus fameux green de golf. En face, à droite et à gauche, des portes.
-Pitié, dites moi que cette pièce est normale et qu’on ne va pas être obligé de se déplacer en dansant ou je ne sais quoi ! Supplia Yann.
-Ça m’a l’air étrangement normal, le rassura Ahna.
-Alléluia ! Lança Yann en se laissant tomber par terre. Attendez deux minutes, que je dessine tout ça.
Il sortit son carnet et son crayon et commença sans même nous laisser le temps de répondre.
-Et tu sais ce qu’on va faire pendant ce temps, Lætitia ? Me demanda Ahna.
-Un pique-nique ?
-Perdu. On va travailler ta… magie.
-« On, on », c’est vite dit ça. J’ai surtout l’impression que c’est moi qui travaille.
-Ne discute pas, je ne me lance pas dans des conversations… Comment on dit ?
-Vaseuses ?
-Exactement, avec toi, c’est un coup à y passer la journée.
-En parlant de conversation vaseuse, intervint Yann, d’où tu nous tiens ces connaissances… astronomiques qui nous ont sauvées la vie ?
-Oh ça, c’est une très longue histoire. Il faut remonter au temps où je n’étais encore qu’une petite fille… Mes parents venaient tout juste de…
-Je te conseille d’abréger, me menaça Ahna.
-On sait que dès que tu prononces le mot « parent » on en a pour des plombes, confirma Yann. Combien de temps tu avais tenu dans la prison des révolutionnaires ?
-J’avais tenu 14 heures et 37 minutes, monsieur, sans m’arrêter de parler et sans révéler une seule information importante, pendant que vous preniez tout votre temps pour me retrouver.
-Je crois me souvenir que lorsqu’on est arrivés, le bourreau a dit « Enfin ! » et nous a supplié de t’emmener, fit Yann.
-Ne rentre pas dans son jeu, elle cherche à perdre du temps, le mit en garde Ahna.
-Moi ? Demandai-je en écarquillant de grands yeux innocents.
-Attendez, nous insterrompit Livian. Tu ne t’es pas arrêté de parler pendant 14 heures !?
-Applaudissez cette excellente audition ! Oui mesdames, en Enfer, on prend soin de ses oreilles ! Se moqua Yann.
-Et oui mon brave, 14 heures et 37 minutes sans interruption, lui répondis-je. Je comprends qu’en Enfer on ait peut-être pas entendu parler de cet exploit ! Si tu veux, je te rejoues la scène…
-Ça suffit, trancha Ahna d’un ton sec et menaçant. Yann tu fais tes dessins, Livian tu t’occupes comme tu veux, mais en silence, et toi Lætitia tu arrêtes de faire des…
-Caprices ? Tentai-je.
-Exactement, et tu viens avec moi, c’est pas comme si j’allais te bouffer.
-Crois-moi, il y a des jours où je préfèrerais, Ahna… affirmai-je avec une expression de condamné à mort qui fit glousser Yann.
Ahna ne releva pas, m’attrapa le bras et m’entraîna un peu plus loin. Je me résignai et tentai de maîtriser mon fameux « pouvoir ». Il y avait visiblement du mieux puisque, après un long moment de concentration où j’imaginai toutes les façons les plus atroces dont je pourrai mourir, j’arrivai désormais à faire jaillir deux ou trois étincelles.
-Il y a du mieux, confirma Ahna, soulignant l’évidence, lorsque j’eus fait apparaître une vague lumière.
-Très bien, je retiens donc que j’obtiens de meilleurs résultats en m’imaginant mourir démembrée, ironisai-je.
-Tu dois manquer d’imagination pour ta mort, supputa Ahna.
-Je ne pense pas, non.
-Il faut que tu ais vraiment l’impression que tu vas mourir. Je pense.
Je ne répondis rien et Ahna se mit à réfléchir. Au moment où elle ouvrait la bouche pour ajouter quelque chose, la porte à notre droite s’ouvrit. Aussitôt, nous rejoignîmes Yann et Livian, Ahna arma son arc, Yann son arbalète et je pris un couteau dans chaque main. Livian voulut se transformer, mais Ahna lui écrasa le pied et il resta humain. Autant garder cette « arme » cachée. Ce type n’avait aucune stratégie. Je comprenais mieux pourquoi le Diable était si exaspéré.
Le nouveau groupe entra dans la pièce. Ils étaient huit, soit le double de nous. Ce n’est qu’une fois entrés dans la pièce et la porte fermée qu’ils nous remarquèrent. Ils se figèrent, tiltèrent en voyant les longues canines de Yann et mes yeux vairons, et je vis l’un d’entre eux faire un mouvement suspect. Ahna le vit aussi et braqua son arc vers lui.
-Pas un geste. Le premier qui bouge est un cadavre.
Je me tournai vers elle. Rien qu’en la voyant, on était inquiet. Et encore, ces gens ne la connaissaient pas. Mais je remarquai quelque chose.
-Ahna ?
-Oui ?
-T’as ta chaussure de défaite.
Elle baissa les yeux et constata en effet qu’un de ses lacets s’était dénoué.
-Prend ça, fit-elle en me tendant son arc.
J’eus un mouvement ample des bras, et mes deux couteaux semblèrent disparaître comme par enchantement.
-Frimeuse, me lança Yann.
Je lui fis un clin d’œil et récupérai l’arc d’Ahna, qui s’agenouilla pour rattacher sa chaussure.
-Ça ne change évidemment rien à la situation, précisa-t-elle d’une voix forte. Personne ne bouge, sinon…
-Sinon Ahna se verra dans l’obligation de faire un double nœud ! Complétai-je.
J’entendis le rire étouffé de Yann derrière moi, et les autres nous regardèrent d’un air interloqué.
-Toi, lève tes mains, le mec aux cheveux gras ! Se reprit Yann, menaçant, en pointant sa flèche sur celui qui avait bougé.
-Tu parles de ses cheveux, mais les notres sont sûrement dans le même état, dis-je avec un petit mouvement de tête.
-Pas du tout, Lætitia. Tes cheveux sont certes mal coupés, mais aussi brillants, doux et lumineux que de la soie orientale.
Je me mordis la lèvre pour garder mon sérieux, et me penchai vers Ahna.
-Bon, tu nous fais quoi ?
Elle ne répondit pas et je m’agenouillai à côté d’elle, laissant Yann surveiller. Les autres n’avaient pas prononcés un seul mot.
-Mais c’est quoi ce nœud ?
-On le nomme « nœud du serpent ».
-Ah bon, pourquoi ?
-Je suppose que c’est parce que si tu t’y frottes sans couteau, tu es mal barré.
-Laetitia, Ahna ! Fit Yann dans un cri strident. Il y en a un qui a bougé !
Je pris une voix grave et un visage sérieux.
-Dans ce cas là… fis-je en me relevant.
-Lætitia ? Demanda-t-il
-Yann…
-À un qui va mourir ! Nous interrompit Livian.
Je dévisageai Yann, qui articula un silencieux « il a osé ». Et nous pouffâmes. Un des inconnus rit aussi, et Yann tira une flèche vers lui, flèche qui se ficha dans le mur à quelques millimètres de son visage.
-Je t’inderdis de rire à un truc aussi mauvais ! Avertit-il.
Toute la troupe se figea. Bien. Ils se disaient sûrement qu’ils avaient affaire à des… gens bizarres. Oui, certes, mais d’autant plus dangereux.
-On parie qu’avec mon couteau j’arrive à lui faire un trou dans l’oreille ? Défiai-je Yann.
-Un trou comme pour mettre une boucle d’oreille ?
-Ouais.
-C’est pas possible, intervint Livian.
-Allez, on parie.
-Je pense que je peux y arriver, fit Yann après réflexion. Mais pas sans tuer le volontaire…
-Ah, mais j’ai jamais dit que je le tuerai pas ! Et qui a parlé de volontaire ?
-Lætitia, mon arc, commanda Ahna en se redressant. Et arrêtez vos conneries, ajouta-t-elle alors que je le lui lançai, faisant réapparaitre mes couteaux.
-Ahna ! Ton langage ! S’offusqua Yann.
-C’est vrai, je trouve que tu devien de plus en plus grossière, Ahna’ïlemthyvaplenftsam.
-Je connais pourtant de nombreuses insultes bien plus imagées.
-Mais c’est pas le seul problème, continuai-je. Je trouve que tu parles de plus en plus… Tu n’as plus ton langage de militaire obtus du début.
-Peut-être parce que je maîtrise bien mieux votre langue ?
-Tu vois ! Tu parles, tu parles… répliqua Yann.
-Tu veux que je te dise, Ahna’ïlemthyvaplenftsam ? Tu deviens bavarde.
-Bavarde ? Comme ces gens qui peuvent rester des heures sans rien dire d’utile ? Je ne pense pas, répliqua Ahna.
-Tu en prends le chemin ! Fit Yann. Bientôt, tu vas nous parler du temps qu’il fait !
Elle ne prit même pas la peine de répondre et se contenta de hausser les épaules. Je me retins de sourire. Ahna, parler du temps qu’il fait. Et pourquoi pas Ahna parlant gastronomie et patisserie tant qu’on y est ?
-On s’égare, non ? Fis-je remarquer.
-Oui, confirma-t-elle. Qui est le chef ? Cria-t-elle en direction des inconnus.
Un hommes s’avança. Des habits usés, contrastant avec la nouveauté de ceux de ses compagnons, les cheveux un peu trop long sous un espèce de bonnet crasseux et les yeux cernés des gens à qui il manque des heures de sommeil ou des cases.
-C’est quoi ton petit nom ? Demanda Yann.
-Merlin.
-Enchanté, dis-je avec un grand sérieux.
Il y eut un instant de silence, et j’entendis distinctement Yann pouffer dans mon dos, étouffant son rire avec des bruits inhumains. Livian s’autorisa même un exceptionnel sourire. Ahna, fidèle à elle même, resta impassible, les zygomatiques figés. Plusieurs étrangers eurent aussi l’air amusés, et Merlin les fusilla du regard.
-Vraiment… Se contenta de dire Ahna, et Yann rit à nouveau.
-Vous êtes complètement fous… grommela le chef.
Avant qu’il n’ait pu comprendre ce qu’il se passait, je lançai mon couteau à l’horizontale d’un mouvement ample, et il se ficha dans le mur. Épinglant au passage son bonnet.
-Vous avez vu ce magnifique lancer !? Dites moi que vous l’avez bien vu ! M’exclamai-je.
-Joli, commenta laconiquement Ahna d’un ton indifférent.
Yann, lui, accrocha instantanément son arbalète dans son dos, laissa tomber la flèche qu’il avait encoché et se mit à applaudir bruyamment avec des bruits de l’ordre du « wouhou ! ».
-Siffle, lança-t-il à l’attention de Ahna.
Elle prit un air exaspéré, posa l’arc à ses pieds pour pouvoir porter ses doigts à sa bouche et siffler d’une façon assourdissante. Lorsque ses mains lui firent mal, Yann récupéra son arme et la pointa sur le groupe.
-Applaudissez, ordonna-t-il.
Devant l’hésitation générale, notre amie ex-cannibale récupéra son arc et le pointa d’un air déterminé vers les autres. Qui se mirent à applaudir à contrecœur, particulièrement l’enchanteur à qui j’avais filé un joli tein blanchâtre. Pendant que j’enchainais les petites courbettes, Ahna fit remarquer « Que nous faisions absolument n’importe quoi », ce à quoi Yann répondit qu’on avait tout notre temps, et que comme c’est pas tous les jours qu’on a un public, autant en profiter.
-Et maintenant qu’on en a profité ? Demanda discrètement Livian.
-Maintenant, Ahna prend la parole car c’est elle la guerrière, pendant que Lætitia réfléchit à comment les… entuber un maximum, car elle est très fourbe, répondit Yann assez bas pour que les autres ne puissent l’entendre.
Je lui fis un clin d’œil entendu.
-Et surtout que quand elle commence à parler, on est rapidement prêt à tout accorder pour qu’elle se taise, ajouta-t-il en me souriant.
-Mais tu ne le sais pas car lors de cette partie du plan, tu es généralement évanoui ou pris en otage, lui répliquai-je. Voir les deux.
-C’est quand même nous qui le livrons, précisa Ahna.
-Pas faux, reconnus-je.
-Je suis l’atout secret qu’on garde dans sa manche, se vanta-t-il.
Pendant ce temps, les membres du groupe se dévisageaient pour savoir s’ils pouvaient arrêter d’applaudir, et, dans le doute, continuaient.
Je vis Livian retenir de justesse un sifflement méprisant à l’intention de Yann, qui s’en rendit compte et pointa son arme sur son nombril, le faisant reculer vers les autres aventuriers.
-Hé, je suis désarmé ! C’est pas du jeu ! Fit remarquer le léviathan.
-Tu parles ! Se moqua-t-il. T’es un démon.
-Et tu n’es pas toi même d’une grande noblesse, ajoutai-je.
-Lætitia, tu seras sur mon testament pour ton soutien indéfectible.
-C’est passionnant, mais maintenant vous arrêtez, ordonna Ahna, me coupant la parole.
Yann soupira, mais obtempéra, ignorant l’air suffisant de Livian. Elle désigna du doigt l’espace derrière nous, et notre arbalétrier retourna à sa place sans rien dire. L’autorité d’Ahna devrait être légendaire.
-Livian, retourne d’où tu viens, ajouta-t-elle car il ne bougeait pas.
Il s’apprêtait à obéir lorsqu’un membre de la troupe, un rouquin ayant poussé pas mal d’haltères et possédant un front assez épais pour péter des cailloux (ce qu’il avait du faire bien trop souvent vu son air légèrement idiot) bondit et posa son épée sur la gorge de Livian. Aussitôt, tous ses compagnons se rassemblèrent derrière lui et nous braquêmes nos armes.
-Nous… commença-t-il.
-J’aurais eu cent fois le temps de te tuer, l’interrompit calmement Ahna.
Je laissai le silence durer juste assez longtemps pour que la tension devienne perceptible. Mes compagnons savaient que c’était à moi, c’était le moment où il fallait abusait l’ennemi. Eux, ils auraient juste à suivre le plan implicite. Ahna agirait en brillante guerrière au moindre signe. Et Yann… Et bien il ferait selon ses capacités. Alors que Merlin s’apprêtait à reprendre la parole, je baissai mes poignards et éclatait de rire. Mes amis et frères d’armes m’imitèrent aussitôt, sous le regard surpris des autres, qui eurent tout de même la présence d’esprit de pointer leurs armes (des épées, un très mauvais choix) vers nous. Peu importait. Ils ne seraient de toute façon pas assez rapides. Même si j’espérais qu’on en arriverait pas au combat armé. Ils n’osèrent pas s’avancer pour tenter de nous pourfendre, comme je l’avais prévu. Ce n’était pas des professionnels et ça se voyait. De toute façon, j’apercevai clairement le poing d’Ahna se serrer sur son arc et ses yeux guetter le moindre mouvement suspect pendant qu’elle riait faussement à gorge déployée.
-C’est vrai, elle aurait eu cent fois le temps de tuer le rouquin, commençai-je sans leur permettre d’en placer une. Savez-vous pour quoi elle ne l’a pas fait ?
Je les regardai mais repris avant qu’ils ne puissent répondre.
-Non, ce n’est pas uniquement à cause de notre immense bonté d’âme. Certes, ça pourrait être parce que nous sommes sûrs de l’emporter. Mais il y a une autre raison. Pourquoi Livian est-il le seul à être désarmé, à votre avis ?
Yann leva la main.
-Oui ?
-Car c’est un ennemi et un prisonnier.
-Exactement ! Et savez-vous ce qui nous importe peu chez nos ennemis et prisonniers ?
Ahna imita Yann.
-Oui ? L’interrogeai-je.
-Leur vie.
-Voilà, conclus-je en me tournant vers le groupe. Donc soit vous vous rendez et on vous…
-Épargne, souffla Yann.
-Exactement. Soit vous ne vous rendez pas et on vous tue. Avec cet homme s’il le faut.
Et d’un seul mouvement nous récupérâmes nos armes et les pointâmes vers eux. Nous avions des armes de jets, et eux de corps à corps. Ils étaient en mauvaise posture.
Il y eut un instant d’hésitation dans leurs rangs, puis finalement, Merlin s’avança. Livian tremblait de rage, mais d’un regard je lui fis comprendre d’attendre.
-Je suis un puissant magicien ! Commença-t-il pompeusement. Posez vos armes ou…
–Tu mens, le coupai-je froidement.
-Quoi !?
-Si tu étais si puissant, tu aurais déjà agi. Tu ne le fais pas, tu n’as pas de magie, recule et rend toi ou tu auras bientôt une flèche en travers du corps.
Merlin tenta de se reprendre.
-Si je n’ai encore rien fait, ce n’est pas car je n’ai pas de pouvoirs. C’est uniquement car ma magie est… incontrôlable et dévastatrice. J’aurai préféré régler notre conflit à l’amiable avant d’en arriver à cette dernière extrémité.
-Bien sûr, répliquai-je. À l’amiable pour vous, ça veut dire en mettant des épées sous la gorge des honn… des gens. Vous savez quoi ? J’en ai plus qu’assez. Toi l’enchanteur, tu es arrogant, toi poil de carotte tu es stupide, et toi… tu as les cheveux gras ! Livian, vas-y. Tu nous tues personne, mais tu les mets hors d’état de nuire.
-Avec plaisir, lança Livian d’une voix inquiétant avec un sourire mauvais.
Et avant que le rouquin ou qui que ce soit aient pu comprendre ce qu’il se passait, Livian se transformait. Merlin se retourna vivement et émit un vague son interrogatif, mais Ahna avait déjà bondi et d’un coup de ses deux poings, l’avait proprement assommé : il se retrouva étendu par terre pendant que le reste de la bande hurlait de terreur à la vue de notre démon personnel. Pendant que Livian faisait le gros du travail, Yann et Ahna entreprirent de récupérer ceux qui tombaient, en plus ou moins bon état et en restant assez loin du gros du combat, pour les ligoter avec ce qui leur tombait sous la main pendant que je récupérai les armes et les empilais dans un coin. Je vidai aussi leurs poches et récupérai tous leurs sacs et autres effets personnels pour en faire un second tas.
Lorsque Livian en eut fini, redevint humain et que tous furent alignés contre un mur tels une jolie brochette de salamis, j’entrepris d’éplucher leurs affaires, sous le regard malveillant des plus réveillés. Ahna s’intéressa aux armes.
-Tu t’es bien amusé ? Fis-je à l’intention de Livian.
-Oh que oui.
-Une qualité déplorable, commenta l’ex-cannibale avec un sifflement agacé.
En effet, s’il y a bien une chose sur laquelle elle est intransigeante, c’est bien les armes. Un jour, elle avait failli frapper Yann car il avait laissé rouiller un poignard. Mais c’était un poignard d’excellente qualité, il faut reconnaître que c’était du gachis.
J’ouvris un carnet, et son propriétaire au visage plutôt mignon et aux jolis yeux bleus me jeta un regard haineux. Je parcourus toutes leurs notes et foullai sans civilité aucune dans tous ce qui leur appartenait.
-Bilan ? Me demanda Yann, qui surveillait distraitement les prisonniers tout en retouchant ses dessins.
-Patience jeune impatient, répondis-je tout en terminant mon indiscrète lecture.
J’entendis un bruit sourd et me tournait vers son origine. Ahna, en allégorique Morphée, venait de frapper à nouveau notre brave magicien, qui retomba dans ses bras. Et sur le sol.
-Le pauvre, il va avoir un mal de tête terrible, fis-je remarquer.
-Je ne prends pas de risques. S’il est si puissant qui le dit, autant qu’il reste dans les vappes jusqu’à ce qu’on sache quoi faire exactement, se justifia-t-elle. À moins que tu préfères le tuer directement.
-Je suis sûr d’être bien plus puissant, affirma Livian.
-On est pas là pour jouer à qui crache le plus loin, affirmai-je.
-En fait, je me demande même pourquoi je ne me barre pas… Ou même pourquoi je ne vous commande pas…
-Par reconnaissance ? Laissai-je entendre. Parce que c’est pas du tout comme si on t’avait sauvé de ton « père » et si on t’avait permis d’accéder à ta forme démoniaque…
-Et j’y étais opposée, répliqua Ahna. Même s’il faut reconnaître que dans le Château, il vaut mieux être le plus armé possible.
-Ou alors, reprit Yann, c’est parce qu’on est, et de loin, bien plus doués que toi pour se sortir d’ici.
Livian l’ignora et se tourna vers Ahna.
-Je ne suis pas une arme.
-Pour moi, si. Tu ne le serais pas, tu serais mort, répondit-elle froidement.
-Mais bon, s’il reste… à sa place, continuai-je à l’intention de Yann, je pense que c’est surtout parce qu’au moindre mouvement suspect, Ahna lui colle une flèche dans chaque œil.
Livian haussa les épaules et s’assit dans l’herbe.
-Bon les filles, on s’amuse bien et on discute tout ça, repris-je en claquant des mains pour attirer l’attention générale, mais on a deux ou trois trucs plus urgent à faire, rangez les pyjamas en pilou. D’après ce que j’ai pu comprendre en lisant le carnet de cet imbécile qui tient un journal, en dehors du fait (je me penchai vers mes compagnons, plus particulièrement vers Yann, Ahna étant bien trop pragmatique et sérieuse pour apprécier les « anecdotes croustillantes », et chuchotai)… qu’il en pince pour l’ami Merlin.
Yann pouffa et lança un regard appuyé vers celui que j’avais désigné comme le détenteur du journal, le mignon brun avec de jolis yeux bleus, qui lui retourna un regard meurtrier. Yann me fit un clin d’œil.
-Alors on va faire bien attention à ne pas abîmer le visage du magicien.
Et là, il se passa un phénomène plutôt étonnant : yeux bleus pâlit de rage et rougit en même temps. J’avais rarement vu ça. J’en restai un moment presque fasciné, avant qu’Ahna me rappelle d’en venir à l’essentiel.
-Donc si j’ai bien trop compris et que je résume en gros, ces gens sont des preux chevaliers et font partie d’une quête visant à retrouver… le Graal. Qui serait donc dans le Château. Et ils sont partis depuis quatre jours, sous la direction de Merlin.
-Tu m’étonnes, ils ont encore l’air tout fringants, commenta Yann.
-Mais dans quelques temps, vous serez comme nous… lançai-je en tournant vers eux un visage bienveillant.
Plus d’un eut l’air assez horrifié à cette idée.
-On conclut par un rire démoniaque ? Demanda Yann.
-Oh non c’est cliché, répondis-je. Et puis, Livian, tu peux attester qu’en Enfer, on a des rires joyeux et cristallins ?
-On ne rit pas en Enfer.
-Merci Livian pour tant de joie de vivre ! Répliqua notre vampire.
-Vous n’en avez pas marre de perdre du temps ? Nous interrompit Ahna. Prenons des décisions sérieuses.
-Ils ne sont pas du côté du Château, ce ne sont donc pas des ennemis, même si on ne peut pas dire que ce soit des alliés : ils ont leur quête et c’est tout, commentai-je.
-Ils ne sont pas depuis longtemps dans le Château : ils doivent donc posséder des vivres et du matériel en bon état, compléta Yann.
Ahna hocha la tête, satisfaite, et je ne pus m’empêcher de regarder nos vêtements. Oui, un peu de neuf ne nous ferait pas de mal.
-Mais doit-on les voler ? Ce sont tout de même des explorateurs, et s’ils rencontrent d’autres aventuriers, ils pourraient agir avec eux comme nous l’avons fait. Et surtout, ce ne serait ni sympa ni fair-play , continua-t-il, jamais le dernier pour avoir des considérations morales.
-Nous pouvons d’abord essayer de passer un accord, fit Ahna.
-Bonne idée. Que le chef, après Merlin bien sûr se… Enfin, s’agite comme il peut, lançai-je à leur intention.
Après un instant d’hésitation, ce fut le roux qui avait tenter de prendre en otage Livian qui remua dans ses liens.
-Oh non pas lui ! S’exclama Livian, pendant que Yann jurait et que je souriai en voyant le visage fort peu convaincu d’Ahna.
-On réveille Merlin ? Proposa cette dernière.
Nous opinâmes tous du chef, et, sous le regard plein d’incompréhension de Poil de Carotte, Merlin fut réveillé à grand renfort de claques.
-Laissons faire le diablotin, il a l’habitude, se sentit obligé d’insinuer Yann.
-Allons Yann, c’est du passé ça. Je suis persuadé qu’il le regrette… N’est-ce pas ?
Alors qu’il ouvrait la bouche pour répondre, Ahna avança discrètement dans son dos et appuya son sabre entre ses oplomates.
-… Je regrette, je regrette, finit-il par articuler, un peu pâle.
Pendant ce temps, l’enchanteur avait ouvert les yeux, et Yann appuyait, c’est un minimum de prudence, son épée à double tranchant sur sa gorge.
-J’en suis ravi, commença Yann, mais…
-Enlève lui son baillon, l’interrompit Ahna.
D’un mouvement exagéré, il coupa le bout de tissu issu des tenues même de ce groupe de… chevaliers qui faisait office de baillon. Ahna me jeta un regard, et je m »agenouillai sur la pelouse en face de Merlin.
-Bonjour choupinou. Comme tu le vois, vous êtes à notre merci : le moindre geste vaguement magique, et tu es un magicien mort. Mais heureusement pour vous, nous sommes les gentils. J’ai bien vu ton regard incrédule, mais je le répète, nous sommes des explorateurs, opposé au Château. Nous vous proposons donc un marché, sur une brillante idée de Yann, le philanthrope de la bande. Vous avez sans doute pas mal de vivres, voir même des habits. Si jamais vous aviez des choses en trop…
-Mais pas vos armes. Alors là, vraiment pas, fit Ahna.
-Nous ne voudrions pas qu’elles vous manquent, me hatai-je d’ajouter.
Merlin sembla réfléchir.
-Et sinon quoi ? Vous nous dépouillerez quoi qu’il arrive…
-Nous n’avons pas tranché cette épineuse question, répondis-je. Mais si nous repartons sur des bonnes bases, que vous nous filez quelques trucs, et nous des infos sur le Château, nous n’aurons pas à en venir à cette redoutable éventualité.
-Le marché est très correct, précisa Yann. Nous avons risqué nos vies pour ces infos.
-Je n’aime pas votre ton menaçant, commenta Merlin.
-Parle toujours, c’est pas nous qui avons commencé, pauvre cloche, répliquai-je.
Il eut l’air étonné par mes paroles. Yann retint un sourire et Ahna hocha la tête.
-Donc, notre marché ? Reprit celle-ci.
-Je voudrai un pantalon, soupira Yann.
-Nous pouvons en discuter entre nous… ? Demanda Merlin.
-Non, fis-je.
-Puis-je avoir un temps de réflexion.
-Bien sûr. Et puis un café et des touillettes. Non, tu n’as pas de temps, on est pressés, tranchai-je d’un ton sec.
-Et bien je pense que nous pouvons certainement vous donner quelque chose, céda le magicien.
-Ah, et avant ça, nous interrompit Ahna, comment fait-on lorsqu’on a un pouvoir magique ?
-Comment… ? Commença-t-il.
-Pas de questions, fit-elle en agitant son sabre sous son nez. Juste des réponses.
Je jetai à Ahna un regard outré qu’elle ignora.
-Et bien… commença Merlin, assez inquiet et essayant d’être le plus précis possible. Généralement, un pouvoir se manifeste au moment où on s’y attend le moins, parfois lorsqu’on est juste énervé, parfois lorsqu’on en a particulièrement besoin. Il apparaît généralement lorsque les émoions du… mage sont confuses. On ne peut pas tout faire avec. C’est un espèce de fluide, qui agit sur la matière. Elle ne peut rien créer, ou rien faire disparaître. Mais elle peut transformer les choses, faire bouger des objets… Il paraîtrait que certains arrivent même à se téléporter. Mais c’est extrêmement dangereux, et il doit falloir un pouvoir immense. Moi même je n’y arrive pas, ajouta-t-il d’un ton pompeux, et on sentait que pour lui, s’il n’y arrivait pas, personne ne devait y arriver.
-Aaaah… soufflai-je. Je vois de quoi il s’agit. C’est un peu comme une onde… de chaleur. Voir une onde gravitationnelle. Ça mériterait en tout cas d’intéressantes études physiques.
-C’est fou qu’après tout ce temps on ne découvre que maintenant ta passion de l’astrophysique, remarqua Yann.
-Elle devait faire parti de mes capacités inexploités, dis-je.
-Comme quoi ce Château, il nous apprend des chose… Commenta-t-il.
-Y aurait-il un mage parmis vous ? Demanda Merlin.
-Tu n’es pas là pour poser des question, fit froidement Ahna en posant son sabre sur sa gorge. Mais laisse moi te révéler que oui. Nous avons un mage si puissant que la Mort elle même l’a engagé à son service. Maintenant, montre-nous ce que tu nous offres. Sans geste brusque.
Et la guerrière partit avec lui faire son petit marché. On pouvait lui faire confiance pour récupérer exactement ce dont nous avions besoin, et le négocier de manière très efficace. Pendant ce temps, je réfléchis à ce qu’elle avait dit. Et je me rendis compte que c’était sans doute vrai. Je secouai la tête, et pour me changer les idées, décidai de défier Yann à un concours de tir. Il refusa, arguant que lui ne s’entraînait pas depuis assez longtemps par rapport à moi, et que je ferai mieux de m’en prendre à Ahna. Ce n’était pas faux, Ahna étant une archère des plus brillante. Je laissai donc de le laisser surveiller pendant que je me battrai en combat singulier avec Livian, qui avait interdiction de se transformer.
Il ignorait que ma façon de combattre consistait à esquiver et à bouger en tout sens, appliquant de rares coups lorsque la situation s’y prêtait sans risque, jusqu’à épuisement de l’adversaire, qui finissait par commettre des erreurs et provoquer lui même sa défaite. Cela se révéla étonnament efficace avec lui, car même s’il était extrêmement rapide et avait des réflexes excellent, il fut vite agacé et la colère lui fit commettre des erreurs, et je commençai à avoir l’avantage, malgré le fait que je me batte mieux dans les lieux meublés que sur le gazon. On ignore bien souvent les nombreux usages étonnants que peut avoir son mobilier. Cependant, Ahna nous interrompit, affirmant qu’elle avait terminé ses « achats », et qu’elle n’avait pas envie que je me blesse. Après avoir appris par où cette fine équipe allait partir, elle profita d’un moment d’inattention et assomma -encore- Merlin. Puis nous nous en fûmes par la porte restante, la marquant au passage d’une croix.
Autrice : lolo, sous le pseudo « lolo »