Tout au bout du bord de l’extrême, derrière les dernières montagnes du Monde, s’élève le Château des 100 000 pièces Les murailles, et les tours et les étages de ce palais s’élèvent, à ce qu’il vous paraît, bien au-delà des nuages, au-dessus des cimes.
LA PIÈCE AVEC LA LAMPE-TEMPÊTE
LA PIÈCE AVEC LA LAMPE-TEMPÊTE

LA PIÈCE AVEC LA LAMPE-TEMPÊTE

[Etincelle – en compagnie d’Ourite]

Nous basculâmes dans la lumière dorée des vers luisants. Un éclair étincelant – une milliseconde –

Nous étions dans l’ombre. C’était étrange.
Mues par le même instinct, nous nous retournâmes vers la porte que nous venions de franchir. Celle que nous avions vue absorber une myriade d’insectes brillants, celle dont avait émané une lumière incroyable, et nous nous étions attendues à en être enveloppées ici, et ce n’était pas le cas.
Nous fixions la porte. Elle se découpait légèrement dans l’ombre bleue. Quelques vers luisants retardataires voletaient autour d’elle et s’y engouffraient paisiblement. Elle était encore entre-ouverte et nous distinguions par son entrebâillement une lueur douce et intense, dorée, la même que nous avions cru trouver ici. C’était comme si entre les deux pièces s’était trouvé un endroit inaccessible, que nous avions traversé pendant un instant si infiniment fugace, un endroit qui regorgeait de vers luisants et de lumière et qui était hors de portée, impossible à atteindre.
Comme portée par une brise tiède, la porte se referma, coupant le halo de lumière qui l’entourait. Tout en douceur.
Je ne pouvais pas détacher mes yeux de cette porte. De cet endroit qui séparait deux pièces et que nous ne pouvions pas découvrir… Tout juste traverser… Si mystérieux…
« Tu crois qu’il existe vraiment… ? », murmura Ourite du bout des lèvres.
Je la comprenais et savais qu’elle n’attendait pas vraiment de réponse -il n’y avait pas de réponse… C’était comme si le lieu que nous avions entre-aperçu un instant n’était pas complètement autorisé à exister. Ou qu’il n’existait pas entièrement pour nous. Ou que nous n’existions pas entièrement pour lui. Si il y avait là une différence.
La lumière nous avait captivé depuis notre arrivée ici, nous faisant oublier tout le reste – c’est encore elle qui nous tira de nos pensées. Je remarquai une lueur qui s’allumait sur la peau de ma compagne, et qui s’amplifiait graduellement. Je me retournai, dos à la porte, pour en distinguer la source.
Devant nous, là où quelques minutes plus tôt n’était que l’obscurité, une lampe-tempête était allumée. Une lampe à pétrole, à l’ancienne, comme on en trouvait dans les vieux bateaux, avec en son sein une flamme tremblotante. Elle n’était pas assez puissante pour éclairer toute la pièce et nous n’avions aucune idée de ses dimensions ou de sa constitution. Sous nos pieds, c’était de la terre. L’air sentait la nuit et l’extérieur. Il faisait assez frais. L’ambiance avait radicalement changé.
Et la petite flamme de la lampe-tempête tremblotait.
Instinctivement, nous étions attirées par la lumière si douce, si rassurante. Nous nous avançâmes jusqu’à elle ; autour étaient posées de grandes et épaisses couvertures. Certaines un peu rugueuses, d’autres rayées, d’autres encore respirant le grenier.
« Tu penses qu’on peut… ? », demandai-je.
Le Château. Les risques. L’angoisse…
Ourite s’étira à mes côtés. Je remarquai ses cernes. Ses cheveux luisaient à la lumière de la lampe-tempête.
« Honnêtement, Etincelle… J’ai tellement envie. C’est pas raisonnable mais… Tu ne trouves pas qu’on se croirait dehors, là, en pleine nuit ? »
Elle avait raison.
« Ça fait si longtemps que j’ai pas dormi à la belle étoile… »
Moi aussi. Moi aussi, j’avais envie.
Nous nous assîmes sur les couvertures et nous enveloppâmes dedans, toutes les deux dans une grande couverture rayée. Les yeux fixés sur la lueur tremblotante de la lampe-tempête. La chaleur et le souffle de l’autre si proches, si rassurants.
Je voyais la flamme onduler dans ses yeux. Elle était jolie. Je souriais, parce que je me sentais bien.
« Tu sais que si on s’en sort, ça va faire deux pièces qu’on risque pas notre vie ? »
Elle tourna la tête vers moi et répliqua, malicieuse :
« Deux pièces ?! Quelle chance extraordinaire ! »
Nous rîmes puis le silence revint, apaisant.
« J’ai sommeil. »
Silence.
« Moi aussi. »
Un instant plus tard, nous étions étendues tout près de la lampe-tempête et de sa lumière -comme si elle allait nous protéger. Nous nous serrions l’une contre l’autre. Elle posa sa tête sur mon épaule et je fixai l’ombre au-dessus de nos têtes, cherchant d’impossibles étoiles. Je serrai la couverture contre nous.
« C’est drôle, avec la couverture sur moi je me sens beaucoup plus en sécurité, alors qu’elle serait complètement inutile en cas d’attaque. »
Ourite ne répondit pas. Je me tournai vers elle. Son visage était orienté vers moi de trois-quarts, ses yeux fermés, ses traits sereins, et un demi-sourire mystérieux flottait sur ses lèvres.
C’est sur cette vision que je me laissai glisser dans le sommeil.

La lueur de l’aube nous réveilla presque au même moment l’une et l’autre. La lampe-tempête était toujours allumée, mais sa lumière se dispersait dans le jour naissant et blême.
Je me redressai et jetai un coup d’œil à la pièce désormais éclairée. Le sol était en terre brune, le ciel bleu très pâle, gigantesque, sans obstacle jusqu’à l’horizon. Lampe-tempête – couvertures – terre – ciel. C’était simple et j’aimais bien…
Pendant la « nuit », la brise avait augmenté et un vent fort soufflait désormais sur nous. Je repoussai mes cheveux et les nouai en chignon puis me tournai vers Ourite. Ses traits portaient encore la marque du sommeil mais peu à peu, la nuit s’échappait, ses yeux s’ouvraient, et les bienfaits du repos apparaissaient distinctement sur sa peau. Dans l’ombre de son front, la couleur de ses joues, jusqu’au sourire de ses pupilles et de ses lèvres. Elle refaisait sa tresse, y enfilait son anneau doré. Je ne pus m’empêcher d’y remarquer une fois de plus les mystérieuses inscriptions. Étranges, indéchiffrables.
Le vent s’était encore accru -désormais une véritable bourrasque soufflait sur nous. Je sentais mes mèches s’échapper de mon chignon et filer le long de mes tempes. Les cheveux les plus courts d’Ourite voletaient tout autour de son visage, formant comme une auréole dorée et mouvante. La bourrasque soufflait, toujours plus fort. Autour de nous, les couvertures commençaient à se soulever du sol. Elles étaient emportées, prises dans un courant d’une force incroyable.
Ce n’était pas vraiment violent. Le vent nous cueillit et nous souleva, sans nous frapper, il nous emmenait simplement avec lui.
« Ne me perds pas ! », cria Ourite pour couvrir le vacarme.
J’avais étrangement envie de rire. Je lui attrapai le bras et nous fûmes emportées par la bourrasque, en arrière, très loin. Liées. Je n’avais pas peur. Sur le sol où nous étions quelques instants auparavant, il ne restait que la lampe-tempête, posée dans la terre, et elle semblait ne jamais pouvoir en être arrachée.
Le vent nous portait, je riais, les yeux d’Ourite pétillaient, nous volions…
J’avais fermé les yeux. C’était agréable.
Au bout d’un moment d’une longueur indéterminée, je sentis la bourrasque ralentir, le souffle se tarit et nous finit par nous déposer presque délicatement.
Et j’ouvris les yeux, sur une nouvelle pièce.

  Autrice : Etincelle de Feu sous le pseudo « Etincelle de Feu »

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