Fawn as Fawn
Mon premier réflexe fut de vérifier si j’étais entière. Mes paupières frémissaient et essayaient de s’adapter à la lumière blafarde qui noyait la pièce entière. Une pièce blanche, si blanche, si agressive qu’elle paraissait noire par moments. Les murs étaient entachés de murmures et de bouches que je voyais en surimpression. Le carrelage, froid sous mes mains. Mes yeux qui brûlent. Mes joues trempées de larmes qui brûlent aussi. Mon coeur qui tremble si fort. J’aimerais pouvoir le serrer dans mes bras comme une mère son enfant, pour le calmer.
Je sens mon propre sang circuler dans toutes les veines de mon corps. Je suffoque. Mes oreilles sifflent, je sens que je chancèle, la folie m’appelle à elle, subrepticement, elle tisse sa toile et m’y attire…
C’est normalement à ce moment là, dans les films ou les livres, qu’on devrait venir à mon secours. Un courageux individu devrait venir m’arracher de justesse au danger. Les gens aiment quand ça se finit bien, qu’on les fasse trembler jusqu’à la dernière seconde pour qu’ils poussent un soupir de soulagement ensuite. Mais le problème, c’est que nous sommes dans la réalité. Personne ne viendra pour moi. Je souris. La noyade est un évènement trompeusement silencieux. Un moment où on est seul, en face à face avec soi-même, dans une torpeur de plus en plus agréable. L’eau aboie à mes tympans, pressés comme des citrons sans jus. Je suis dans un train. Je vais ailleurs, loin. La banquette sent bon l’homme, le cuir et le cigare. Une odeur rassurante. Les étoiles défilent par les fenêtres. Les rideaux sont rouges. Rouge… Le sang qui s’échappe. Par le siphon de douche. Il est dilué avec l’eau, mais n’en ressort que plus rouge. Quelqu’un cri. Homme ou femme? Je veux l’aider, mais il n’y a que le sang, ce sang…
Mes démons. Je remonte mes genoux vers mon menton. Je veux pleurer. Ils sont mes hantises, mes portes fermées, ils ont des pattes de trucs morts encore vivants, ils cherchent à m’atteindre au plus profond, avec leur rire d’escalier froid. Ils sont sous mon lit. Maman les chasse toujours, mais ce soir elle ne vient pas. Ils sont sous mon tapis, ils s’approchent…
Je me réveille subitement. Quelles horribles visions, j’en suis toute tremblante et déboussolée.
J’entends…
Un soupir. Un rire ? Je n’en sais rien. Mais c’est aigu, et ça dure, ça dure. D’où ça vient? J’écoute contre les murs blancs, la porte. Je ne peux pas sortir. Et toujours ce bruit de fond. Je pose mes mains sur ma poitrine, calme ma respiration… Et là je me rends compte que c’est moi, qui rit comme une folle. Je suis folle à lier. Et je ris, je ris.