La porte est à peine refermée que je me m’écroule de fatigue. Le sol est liquide et consistant à la fois. On dirai de la boue. Peu m’importe, c’est si confortable.Je me sens aspirée par le sommeil et par le sol. Juste avant de m’endormir, je vois mon bras s’enfoncer mollement dans la bouillasse verte.
Je dors longtemps, trop longtemps. Lorsque que me je réveille, je ne suis plus allongée dans l’étrange mélange, mais sur le bord d’une falaise. En me levant, je vois non loin de moi le lac de boue verdâtre, et de l’autre côté, un gouffre. Je me penche vers le vide. La hauteur est impressionnante. Les paroi de la falaise sont mauves et glisse vers le sol avec une liseur et une régularité presque artificielles. C’est étrange… En basculant mon corps vers l’avant, en gardant les pieds calés dans la boue pour éviter la chute, je distingue le bas de la falaise, qui s’arrondit et rétrécit à mesure qu’il s’approche du sol, de manière à ce que je ne puisse en voir sa base.
Cet endroit est vraiment étrange… Mais il faut que je trouve la porte. Est-ce que le fantôme est encore la ? Elle pourrait m’aider. Il n’y a qu’une façon de le savoir.
-Hum… Le fantôme ? Tu es là ?
Un léger miroitement dans la boue m’indique sa présence. Je m’approche d’elle, déterminée.
-Est-ce que…
-Je ne suis ni un fantôme, ni un guide pour aventuriers insouciants.
Sache que je m’appelle Flunise, et que je n’ai aucunement envie de t’aider.
Un léger « pouf » suis sa remarque. Je ne peux donc pas compter sur son aide, mais je suis certaine qu’elle va rester pour m’observer et se moquer de moi. Mais je ne vais pas lui faire ce plaisir. Je vais essayer de ne faire aucune bêtise. Je vais éviter de me fourrer dans une situation aussi inextricable que ridicule. Je vais essayer.
J’avance prudemment jusqu’au bord du lac. Je plonge un pied dans la boue, puis un second. Je ne suis qu’à un mètre de la rive lorsque je n’ai plus pied. Je rebrousse chemin et observe le lac. Il est si grand… Comment vais-je faire ? Le longer ? Je suis tentée de faire le tour en marchant sur le rebord de la falaise mais je me résigne. Trop long, trop dangereux. Nager ? Je ne ferai pas dix mètre, autant plonger dans des sables mouvants. Attendre que le fant… Flunise m’aide ? Hors de question.
Rebrousser chemin et repartir dans le trou ? Tout sauf ça. À ce propos, je viens de m’apercevoir que je n’ai pas refermé la porte. Le battant métallique produit un grincement horrible en se refermant et disparaît. La porte à disparue. Je ne peux plus faire demi tour, mais, en disparaissant, la porte m’a permis de voir une forêts de plantes étranges. Je m’en approche. Les troncs sont fins et plats, les feuilles triangulaires. Le tout à une couleur beige et dégage une forte odeur de sel.
Est-ce que cela se mange ? J’espère. Je n’ai rien mangé depuis… Combien de temps, au fait ? Depuis que je suis dans ce château de malheurs. Depuis que je suis tombée dans ce vulgaire piège. Affamée, je m’approche de l’étrange végétation. Je casse une feuille, qui s’effrite entre mes doigts. J’en saisi un morceau que je porte lentement à mes lèvres. Je m’apprête à le manger lorsque j’hésite. Et si c’était toxique ? Je pourrais me tuer. Suis-je prête à prendre ce risque ? Je ne pense pas. Mais je meurt de faim.
Hésitante, je broie la plante entre mes doigts. J’observe la poudre ainsi formé. Allez, courage. Inspire, expire. Je verse délicatement mais rapidement la poudre entre mes lèvres, pour ne pas être tentée de renoncer. Je mâche. J’avale. Je vis, mais peut être plus pour longtemps. J’attends quelque instants. Rien. Un peu plus longtemps. Toujours rien. Je décide de considérer cet… arbre comme comestible.
Maintenant, il faut que je traverse ce lac. J’ai eu une idée. Je ne suis pas sûre de sa réussite, mais c’est mieux que rien. Je m’approche des arbres et arrache la plus grande feuille que je trouve. Je la pose de côté et ouvre ma sacoche. Je prends mon couteau. Un vulgaire couteau à pain, certes, mais qui me paraît adéquat dans cette situation. Je pose ma main sur un tronc et commence à le scier. C’est dur, mais je vais y arriver. J’ai mal au bras.
Enfin, la plante craque et tombe à mes pieds. Je masse mon bras endoloris. Après quelques instants de repos, je tire la feuille jusque au bord du lac. Je retourne chercher le tronc. Je pousse la feuille sur la boue et attends, anxieuse. C’est l’instant de vérité. Coulera ou coulera pas ? Soulagement, cela tient… Pour le moment. Je monte dessus et empoigne le tronc. Je pagaie. J’avance lentement, mais sûrement. Enfin, au bout d’un temps qui me paraît interminable, j’arrive de l’autre côté. Épuisée mais fière, je parcours l’horizon des yeux à la recherche de la fameuse porte. Il n’y en pas. En revanche, à quelque mètre de moi, se trouve une gigantesque colonne de verre orangé. Sa surface est entièrement lisse. Mais c’est le seul chemin, avec les falaises. Bien sûr, pas question de sauter, encore moins de descendre en rappel. Donc vas pour la colonne. Reste à savoir comment monter…
Je tourne en rond depuis plusieurs minute lorsque Flunise réapparaît. Elle me lance d’un air moqueur :
-Alors, on a besoin de Super Flunise pour sortir d’ici ?
Je ne réponds pas. Je réfléchie. L’évidence s’impose vite à moi. Flunise est ma seule chance de m’échapper de cette pièce. Il va falloir l’amadouer.
-Oui… S’il te plait…
-On fait moins la fière, n’est ce pas ?
-N’est ce pas.
-Et tu pense que je vais t’aider ?
-Je l’espère.
Quelques instants de silence. Elle réfléchie. Un reflet rosé passe dans l’air, non loin de moi.
-La première fois que je t’ai secourue, tu as ensuite insulté mon peuple. La seconde fois, c’était juste car j’avais ordre de te maintenir en vie.
-Ordre de qui ?
-La Doyenne. Tu ne sais pas qui c’est.
-Tu dis devoir me maintenir en vie, mais tu n’as eu aucun scrupule à me balancer dans le gouffre !
Elle ne réponds pas tout de suite. J’attends, j’ai tout mon temps.
-C’est que… Oh… C’est compliqué à expliquer mais disons que… La Doyenne à changé d’avis à ton sujet.
-Donc tu vas m’aider ? Car si tu me laisse moisir ici, je ne pense pas que cela va plaire à ta Doyenne… Sauf si elle change d’avis, évidemment.
Silence. Un petit rire.
-D’accord… Mais prépare toi, je vise mal. Je crois que tu l’as déjà testé à tes dépends…
Une lumière éblouissante. Je ferme les yeux.
Quand je les rouvre, je ne vois plus rien. Tout est orange autours de moi. Après quelques instants d’ébahissement, je me rends compte que je suis dans l’étrange colonne, et que celle-ci est entièrement remplie de liquide ! De surprise, j’ouvre la bouche et avale une quantité impressionnante de cette substance. Je crois reconnaître le goût… C’est sucré et à peine acide… Du jus d’orange ! Je suis entrain de nager dans du jus d’orange. Ou plutôt de m’y noyer…
Il faut que je remonte. Je nage vers le haut, sans relâche. J’ai l’impression de ne pas avancer. Ma gorge qui me brûle n’arrange rien. Je ne sais même pas à quelle profondeur je suis… Peut être trop bas pour survire… Mais il faut que je m’accroche. Il faut que j’essaie. La tête me tourne. Mes yeux me brûlent. J’étouffe. Je vais me noyer. À l’aide, je ne veux pas mourrir ! À l’aide… Aidez moi… Je veux vivre… Aidez moi… Je ne veux pas mour…
Mes larmes se mêlent au jus d’orange.
Et c’est le noir.
-Dis moi, tu le fait exprès ? Tu veux vraiment mourir ?
J’ouvre les yeux. Flunise est là. Simple reflet sur la surface du jus, certes. Mais elle est là. Et elle me prend de haut. J’ouvre la bouche pour répliquer, mais, à ma grande surprise, aucun son n’en sort.
-Cette semi noyade t’as rendue aphone, désolé. Enfin… Ça me fera des vacances !
Pouf ! Disparition. Je vais la tuer. Je la déteste. Je la hais.
Mais bon, passons. J’observe le panorama qui s’offre à moi. Je me rends compte que je suis dans un apéritif géant. Le lac de boue et ses falaise mauves est en réalité un pot de guacamole. L’étrange forêt, des chips. Et la colonne, un verre de jus d’orange. Amusée, j’observe le décor, à la recherche d’une porte. Il n’y en a pas. Je ne comprends pas. C’est donc un cul de sac ? Si oui, je suis coincée ici pour toujours.
J’observe les chips quand une idée me vient. Et si… Bon, on peut toujours essayer. Et si ça ne marche pas… Je ne préfère ne pas y penser.
Je me lève, m’approche du bord du verre et observe la boue en contrebas. Parfaitement alignée. C’est parfait. Je prends une grande inspiration et saute.
Ma chute est amortie par la guacamole. Je me redresse et commence à patauger. Je suis au milieu du lac, j’aurais pu mieux faire. Je nage vers la foret de chips. Après de laborieux efforts, j’y arrive. Je sort de la boue, essoufflée. Je m’accorde quelques instants de repos puis je me relève. Je m’approche d’un tronc, le plus large que je trouve, et entreprends d’y tailler une porte. Pourvu que cela marche…
J’ai terminé. Je la pousse. Oui ! Ça marche ! Derrière la porte improvisée se dessine un décor totalement différent de cette pièce.
Sans plus de spéculations, je la franchie.
Auteur : le champignon fluorescent à pois jaunes, sous le pseudo « le champignon fluorescent à pois jaunes »