Tout au bout du bord de l’extrême, derrière les dernières montagnes du Monde, s’élève le Château des 100 000 pièces Les murailles, et les tours et les étages de ce palais s’élèvent, à ce qu’il vous paraît, bien au-delà des nuages, au-dessus des cimes.
LÀ OÙ ÇA DORT
LÀ OÙ ÇA DORT

LÀ OÙ ÇA DORT

C’est une masse de chair vraiment impressionnante ; je veux dire, c’est plus haut que moi et ça s’étend en long et en large. L’odeur, viande moisie, l’aspect, rosâtre aux veinules violettes, le son, tuyau qui se débouche sans fin… tout est répugnant. ça suinte, ça borborygme, ça tremblote comme de la gelée vraiment vraiment molle. Je ne vois pas de tête, ni de bras, ni de tentacules, rien de tout ça, juste un immonde immense matelas vivant. Je suis là, bloqué depuis une bonne demie heure. Je suppose que ça dort, ou que ça n’est pas conscient, car rien n’a bougé depuis mon arrivée. J’hésite, je recule le moment où je vais devoir… affronter ça. Passer en dessous, au dessus, sur les côtés… ou le percer, le crever jusqu’à ce que ça dégonfle. Parce que c’est ça ou me jeter dans le vide. Je ne peux plus revenir en arrière, j’ai épuisé mon stock de grenades ce matin dans la grande Cuve. Or je sais que la reine des scorpions calamars vit toujours. Et elle pond plusieurs centaines d’oeufs chaque heure. En fait, je DOIS quitter ce lieu, dépasser ce tas de chair boursouflée.
Je tâte le terrain, j’essaye de me glisser entre les murs et le tas de chair. Problème… le mur de silices s’effiloche et la masse de chair me comprime dessus, me rejette, m’aplatit contre la substance abrasive. Mes vêtements, ma peau sont rapées, lacérées. Je rebrousse chemin au bout d’un mètre d’une progression atroce,. Je m’étouffe dans les replis de chair visqueux,
Passer en dessous n’est pas une solution : je serais enseveli.
J’entends, dans les couloirs adjacents, l’horrible cliquetis des pattes des crustacés toxiques.
Je n’ai plus beaucoup de temps.
Si je reste, je serai dévoré vivant.
Je dois escalader le mur de viande. Espérer de pouvoir le franchir. Espérer aussi que les scorpions calamars, eux, ne le pourront pas.
Je saisis à pleine main la chair monstrueuse. La consistance, sous mes doigts renforce l’horreur qui me saisit. Je me retiens de vomir… mais je n’y arrive pas. Péniblement j’escalade les trois ou quatre mètres qui me séparent du haut du matelas vivant.
L’odeur me fait tourner la tête, mais la panique me donne des ailles, je me sers des replis et de mes ongles pour gravir et bientôt me retrouver au dessus de la masse. Je dégouline de sueur et des humeurs visqueuses de la bête (en est-ce une ?). Mais je suis sur elle et… je ne note aucune réaction de sa part. Si c’est conscient, ça dort vraiment. Ou alors sa peau est tellement épaisse qu’elle ne sent pas mon poids.
Derrière moi, plus bas, j’entends la porte qui vibre sous les assauts des maudits insectes de la grande reine.
Je suis obligé de marcher à quatre pattes sur le matelas de chair, il n’y a pas assez d’espace entre le plafond et lui, pour que je me tienne debout. Mes mains s’enfoncent parfois dans des bubons, et je glisse souvent, me retrouvant cul par dessus tête, ou la tête coincée entre les replis nauséabonds.
Mais j’avance, et je sais désormais que je réussirais à dépasser cet obstacle, comme j’ai franchi tous les autres jusqu’ici, depuis mon arrivée il y a bien longtemps, dans le Château.
C’est alors que ça s’est mis à bouger. Est-ce un cri ? Un pet ? Un rot ou un simple baillement ? Sur ma gauche, un trou s’ouvre dans cet atroce amas de chair avariée. Un long gargouillement s’élève, et de nouvelles odeurs se rajoutent à celles qui me faisaient déjà défaillir. Détail horrible, le trou s’étend, comme un siphon, se rapproche de moi. Et…
il y a des DENTS !
Elles sont molles, on dirait plutôt des petits pistils, mais elles sont disposées en rang concentrique jusqu’au fond, ou au moins jusqu’où mon regard porte, de cette gorge ou de cet anus démentiel.
Sous mes mains, je sens la masse qui se contracte, je suis bringuebalé, je rebondis de plis en replis, je n’arrive plus à avancer…. Mais chaque rebond me rapproche de cette bouche de l’enfer.

Je ne sais pas comment j’ai réussi à passer.
A un moment, je glissais dans ce tunnel monstrueux. Je me vois tenter de m’accrocher aux dents molles et visqueuses. Et puis, je ne me souviens plus de rien, jusqu’au moment où j’ai repris mes esprits de l’autre côté du portail
Ensanglanté, totalement nu (Envolés mes affaires, mes armes, ma nourriture, mes trésors !!).
Berserk dit-on parfois. Quelque chose chasse votre esprit de votre corps pour le faire agir plus vite, plus fort, plus efficace… Oui, j’ai déjà vécu ça, lorsque je combattais dans les rangs des armées du Duc.
Ou alors, j’ai été avalé, recraché (visiblement non digéré).
Je ne sais pas, je ne peux pas rester là, car les sons qui me parviennent de l’autre côté du portail sont sans équivoques : les scorpions calamars ont eux aussi entrepris de traverser la salle. Et Celui qu’elle contient.
Désespéré, je m’enfuis en hurlant dans le premier couloir sur ma gauche.

Auteur : Fixxions sous le pseudo « -::-« 

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