Tout au bout du bord de l’extrême, derrière les dernières montagnes du Monde, s’élève le Château des 100 000 pièces Les murailles, et les tours et les étages de ce palais s’élèvent, à ce qu’il vous paraît, bien au-delà des nuages, au-dessus des cimes.
LA CASE PRISON
LA CASE PRISON

LA CASE PRISON

J’avais froid. Si froid. Un froid glacial qui pénétrait jusque dans mes os. J’aurais voulu mourir. Et puis, cette atroce sensation de rentrer dans une enveloppe trop petite pour moi. Pendant combien de temps ? Au moins une éternité. Une éternité à flotter dans le noir.
Je tombai. Je n’arrivai pas à le définir autrement que l’impression de tomber dans mon propre corps. Comme un immense poids qui pesait sur mon esprit. J’étais encombrée par mon existence physique. Je voulais retrouver cette sensation de liberté qui m’avait éprise après que j’eus quitté Leeko. Mais, au lieu de cela, les souvenirs léchèrent ma mémoire.
Le combat contre le Château. La chute dans la Créature. Jad et Louvelo. Le nain et Un gars. Le combat, contre les sbires du Château. L’arrivée du fils du Château. Ses mots. Et la douleur. Plus rien d’autre que la douleur.

Chaque parcelle de mon être me brûlait. Comme si tous mes nerfs se reconnectaient d’un seul coup. Mais le pire, c’étaient mes yeux. J’avais l’impression qu’ils se liquéfiaient dans mes orbites. Ils calcinaient ma boîte crânienne. Comment pouvaient-ils me faire aussi mal ? Mourir. Je voulais seulement mourir.
Un hurlement sortit de ma gorge. Éraillé, comme si je n’avais pas parlé depuis longtemps, il résonna dans ma tête aussi bien que dans mes oreilles.

-Calme-toi, je t’en supplie…

Une voix enfantine traversa le coton qui me noyait. Je ne l’avais jamais entendue. À qui appartenait-elle ?

-S’il te plait, arrête de crier, tu te fais mal.

Je voulais bien, mais je n’y arrivais pas. C’était la soupape de mon cerveau, pour échapper au trop plein de souffrance. Au bout de plusieurs minutes, je parvins à couper le son, me contentant d’haleter, incapable de respirer normalement.

-Voilà. C’est bien. Calme-toi.
-Qui… qui es-tu ?
-Je suis Aiden.

Ce nom… il me disait vaguement quelque chose…

-Je suis l’un des fils du Château.

Aussitôt, la terreur s’empara de moi. Je me mis à respirer plus vite, au bord de la crise de panique. J’étais dans l’incapacité de me défendre, bloquée par la douleur, sans aucune perception de mon environnement.

-Non non non, arrête ! Tu ne crains rien ! Il ne m’aime pas. Je suis son prisonnier. Tu es dans la même cellule que moi. Je ne te ferais aucun mal. Malheureusement, je ne peux pas t’aider non plus. Tout contact avec moi te ferait encore plus souffrir.

Légèrement rassurée, je me calmai. Pouvais-je lui faire confiance ? J’étais totalement à sa merci. J’étais obligée de le croire sur parole.

-Qu’est-ce qui…. m’arrive ?
-Je ne sais pas. Quand les gardes de mon frère t’ont amenée ici, tu ne respirais presque plus. J’ai même cru que tu allais mourir. Puis ton cœur est reparti à toute allure, et tu t’es mise à crier.
-Je… c’était tellement… étrange. J’étais ailleurs. Dans une autre pièce…
-C’est bizarre. Je n’ai jamais entendu parler de cas similaires.
-Mon corps. Il me brûle… Pourquoi ?
-Je ne sais pas. Calme-toi, ça passera peut-être.

Je n’avais pas besoin de peut-être. Mais j’étais dans l’incapacité totale de faire quoi que ce soit, et les conseils de cet Aiden étaient la meilleure chose que je pouvais faire. Prenant sur moi, je m’efforçai de ralentir ma respiration et mon cœur. Petit à petit, lentement, la douleur reflua. Elle ne disparut pas totalement, mais était maintenant supportable dans l’ensemble de mon corps, sauf mes yeux, qui continuaient de pulser. Je sentais maintenant le sol sur lequel j’étais allongée, mes vêtements sur ma peau, chaque écorchure, chaque bleu qui me constellait. À tâtons, je me redressai en position assise. J’avais froid. Il me manquait quelque chose. Je n’arrivais pas à savoir quoi. Je soulevai les paupières, sans noter aucun changement. Montant une main à hauteur de mon visage, je la passai plusieurs fois devant mes yeux, sans résultats.

-Tu ne vois pas ?
-Non. Rien du tout. Pourtant, il y a de la lumière non ?
-Oui. Pas beaucoup, mais un peu. Je te vois nettement. Tu es plutôt petite, tu dois être à peine plus grande que moi. Tu as de longs cheveux noirs, et tes yeux sont violets. Mais ton regard est si vide…

Serais-je devenue aveugle ? Aurais-je perdu la vue en plus du reste ? tremblante, je continuais mon inspection tactile. Autour de moi, que de la pierre. Mes poches. Elles partaient en lambeaux, pourtant j’y retrouvai la pièce d’Emmanuel, ronde et froide dans ma paume, ainsi que le miroir de Jad. Je passai mes doigts sur le verre. Soudain, je compris ce qu’il me manquait.

-Ombre ? Ombre ! réponds-moi !
-Qui est Ombre ?

Son absence… comme une morsure glacée sur mon cœur.

-C’est une ombre libre. J’ai perdue la mienne car elle est morte, et elle s’est attachée à mes pas pour ne pas que je meurs. Mais… elle a disparu.
-Intéressant. Tu es décidément très étrange… Quel est ton nom ?

Le manque d’Ombre à mes côtés me pesait.

-Je ne m’en souviens plus. Ton père me l’a volée. Un magicien rencontré dans une des pièces m’a nommée Analayann.
-Ne. L’appelle. Pas. Mon. Père. S’il te plait. Ce magicien, c’est le même qui a créé le miroir ? C’est un nom lourd de sens qu’il t’a offert. En avait-il seulement conscience ?…

Où était-elle ? Que lui était-il arrivée ? Je me souvenais que je la tenais dans le creux de ma main lorsque je quittais la grande salle vitrée, trainée au sol par Aden. Mais ensuite ? Et pourquoi étais-je encore vivante ?
Et puis, les mots d’Aiden firent leur chemin, et, avec eux, les questions. Comment savait-il que le miroir avait fait par la magie ? Qu’entendait-il lorsqu’il disait que mon nom d’emprunt avait un sens ?

-Comment tu sais tout ça ?

Je n’eus pas de réponse. Je tendis la main devant moi, ne rencontrant que du vide.

-Réponds-moi ! Comment sais-tu cela ?

Je tâtonnai dans le silence. Pourquoi ne parlait-il plus ? Qu’est-ce qui était arrivé et qui m’avait échappé ? Un léger gémissement me parvint, m’indiquant où il se trouvait. Etendant mon bras, j’effleurai un bout de tissu, puis de la peau. Et hurlai.
Une décharge électrique venait de me transpercer. Je retirai ma main en faisant taire les râles qui sortaient de ma bouche.

-Je suis désolé. Je te l’avais dit, mais tu ne peux pas le toucher sans souffrir.
-Mais… qu’est-ce qu’il s’est passé ?
-Les réponses que je te donnais n’étaient pas au goût de tout le monde. J’ai été trop bavard. Et j’ai eu un avant-goût de ce qui m’arriverait si je continuais à trop t’en dire. Désolé, je ne peux plus te donner les réponses que tu cherches.
-Ce n’est pas de ta faute. C’est à moi d’être désolée. A cause de moi, tu as souffert.

Un silence gêné s’installa entre nous. Je me sentais si mal, entre l’absence d’Ombre et mon incapacité à aider Aiden. J’aurais voulu le serrer dans mes bras, mais j’en étais incapable. Je ramenai mes genoux vers moi et y calai mon menton. Et puis… Qu’était-il arrivé à Jad et à Louvelo ? Au nain et à Un gars ? Et moi ? Qu’allais-je devenir ?
Trop. Trop de questions tourbillonnaient dans ma tête et me tourmentaient. Je secouai doucement le visage, comme pour les chasser. En vain.

J’avais sombré dans un état de somnolence plus destructeur que réparateur quand un bruit dans le lointain me mît en alerte. Ma vision n’était toujours pas revenue, mais j’écoutai attentivement le silence, sans rien entendre. Avais-je rêvé ? Je ne bougeai plus, aux aguets.
Il me sembla discerner un frottement sur le sol, puis plus rien. Soudain, je perçus une présence dans mon dos. Par reflexe, je me retournai. J’en étais sûre. Il y avait quelqu’un. Aiden brisa le silence.

-Attention !
-Qu’est-ce que…

Je ne pus finir ma phrase. Un étau m’enserra la gorge et me souleva du sol. Je portai les mains à mon cou, essayant vainement de m’en défaire. L’air ne passait presque plus. Je suffoquais. J’entendis un coup dans un corps, et Aiden gémir.

-Ben alors petit frère, qu’est-ce qui t’arrive ? Tu parles trop, et tu veux la défendre ? Quelle mauvaise idée…

Je reconnus la voix d’Aden. Mon sang se figea, avant que l’adrénaline ne me monte dans les veines. Je ruai, me tortillai dans tous les sens, cherchant par tous les moyens à lui échapper. Il resserra son emprise.

-Tu vas te calmer oui ?
-Analayann !

La voix étouffée d’Ombre me parvint. Où était-elle ? Mais déjà, je sentis qu’Aden se déplaçait, et mon épaule heurta le cadre de la porte.

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