Quand la faim taraude, que le ventre gémit et que les vertiges remplacent idées et volonté, c’est qu’il est l’heure de manger.
Dans mon cas, celle-ci était passé d’au moins quatre heures et je me sentais défaillir. Une nouvelle fois je maudis la malédiction qu’on m’infligea au 49 ème étage, affectant ma gestion de l’appétit : » Tu mangeras donc toutes les heures puisque tu ne veux pas de moi »
Elle ne plaisantait pas, l’atroce cuisinière boursouflée : perçant l’une de ses pustules de graisse qui pendaient en grappes huileuses de toutes les portions visibles de son corps (qu’elle avait dénudée en grande partie pour séduire l’aventurier esseulé), elle m’avait oint, le visage avant que je ne puisse reculer.
Manger, En d’autres lieux, pour certains ce devrait être un plaisir. Ici… quand on rencontre un garde-manger décent tous les deux ans, était une douleur.
La cuisinière morte et vivante depuis des siècles, condamnée à se dévorer les pustules m’avait condamné à souffrir, toutes les heures.
Souffrir, quand je passais des semaines à errer dans la labyrinthe du Château, le ventre vide, me conduisait à lécher les murs, le sol, avaler la poussière, la boue, les os, tout ce qui n’était pas comestible.
Manger avait remplacé le mot explorer, découvrir, dormir, rêver.
Ainsi, aujourd’hui, passée la déception de découvrir que cette cuisine n’en était pas une, je m’attachais à racler soigneusement les murs, les tables, le sol où plus rien ne vivait depuis longtemps..
ça, au moins, c’était vivant. Une moisissure ardente qui se nourrissait de la décomposition de l’humidité, sur le bois, la pierre et le reste.
Le goût devait être atroce, l’odeur pestilentielle… Et les effets sur mon organisme, délétères. Mais il y avait longtemps que j’avais supprimé tout ce qui autrefois, m’avait permis de goûter, sentir, vivre.
Je n’avais qu’un objectif, me remplir. Une mission, nourrir les grappes de boules affamées, gluantes trépidantes et boursouflées, dont j’étais paré, et qui avait remplacé ma peau au fil des mois.
Et il fallait les entendre murmurer de plaisir et de contentement, quand j’avalais à pleine poignée, et qu’elles se nourrissaient de moi.
Mon esprit agité se détendait, à l’écoute de la chorale qui se sustentait de mon corps. C’était apaisant, doux, de les sentir rassasiés, je gagnais un peu de tranquillité, avant de repartir en quête de mon prochain repas.
Auteur : Fixxions, sous le pseudo « Le grim »