Tout au bout du bord de l’extrême, derrière les dernières montagnes du Monde, s’élève le Château des 100 000 pièces Les murailles, et les tours et les étages de ce palais s’élèvent, à ce qu’il vous paraît, bien au-delà des nuages, au-dessus des cimes.
UNE PIÈCE JUSTE LÀ, AUTOUR DE NOUS, QUI NOUS ÉCHAPPERA DE TOUTE FAÇON
UNE PIÈCE JUSTE LÀ, AUTOUR DE NOUS, QUI NOUS ÉCHAPPERA DE TOUTE FAÇON

UNE PIÈCE JUSTE LÀ, AUTOUR DE NOUS, QUI NOUS ÉCHAPPERA DE TOUTE FAÇON

Carnet de Devhinn
Pièce perdue n°15 (soit la 59ème pièce)

Il faut croire que le Château n’a pas de fond. Sinon nous ne tomberions pas sans cesse d’une pièce dans l’autre.

En comparaison la Créature s’insinuait continuellement comme une douce infusion à la camomille. Là les cendres sont âpres, nous brûlent de l’intérieur, et leur état solide contraste avec la facilité ahurissante avec laquelle nous les avalons à chaque respiration. Et elles semblent s’attaquer à nos yeux comme de multiples insectes en grignoteraient les parois.

Le choc est dur après les longues secondes à traverser cette couche morbide, mon épaule droite choque violemment avec un sol froid. La première pensée qui me vient dans la douleur est qu’en choisissant d’invectiver Ombre pour avoir le dernier mot d’une prise de bec éreintante, je n’ai même pas pris la peine de chercher la pièce rouge. Zéro pour la survie, un pour l’égo. Pathétique.

Tout s’apprête à aller très vite.

Au travers des élancements corrosifs qui n’ont pas même baissé en intensité, je me lève péniblement et discerne les autres, claudiquant comme moi à la recherche d’une issue qui n’est pas physique. J’essaie de les appeler, mais ce n’est qu’une toux plus forte que je parviens à extérioriser. La vérité, c’est que j’avais déjà bien plus d’informations en entendant leurs cris de douleur comme se répercutant avec les miens, dans un espace qui paraît à première vue – quelle ironie ! – très restreint.

– Eh ! Où est-ce…

La voix s’étouffe, sans pouvoir terminer un mince appel au secours. Ombre. Ou Analayann. Je ne sais plus. Je ne distingue plus grand-chose avec ce nouveau son qui se dégage assez rapidement, grave et ambiant. Intuitivement, je pense à un cor de chasse. Ne cessant pas, il emplit l’espace d’une tension supplémentaire, qui nous empêche bientôt d’entendre alors que nous ne pouvions déjà presque plus voir. Je songe – non, je n’ai pas vraiment besoin d’y penser davantage – à mon odorat envahi par la fumée, et à son goût qui s’est collé à toutes les parois de ma bouche. Nous n’avons plus que le toucher.

Suffoquant de plus belle, je m’accroche à cette pensée et fait des pas aléatoires, une main en avant, cherchant désespérément un appui. Je n’entends qu’à peine les râles de mes partenaires, m’y dirige plus ou moins, sans doute.
Dans le même temps, une sensation me parcourt. Pas une émotion, une intuition. Ce n’est pas quelque chose que je reconnais. Que j’ai l’habitude de percevoir.

Je ressens quelque chose de spécial. Deux choses en fait. Magiques. Je ne sais pas pourquoi. Ce n’est pas habituel.

Ma main bute sur un corps et le contact me donne de nouveau cette sensation incommode au toucher. Le toucher. Je m’y accroche presque sans hésiter et comprend au bras qui rejoint le mien qu’Ombre accepte la trêve. On s’insultera ensuite, si on sort vivants.

Il y a une mauvaise et une bonne magie.
C’est imprécis.
Il y a l’atmosphère qui nous entoure, évolue contre nous, emporte tous nos sens et nous laisse incapables. Voilà la mauvaise magie. Elle est partout et nulle part à la fois, elle est impersonnelle et douloureuse.
Mais il y a autre chose.

Ombre paraît déséquilibrée. Nous mettons de longues secondes à comprendre que nous venons de manquer de trébucher sur Analayann, genoux au sol. Elle est juste à côté de nous et pourtant sa toux n’est qu’une modulation lointaine. À tâtons, nous prenons longtemps, peut-être plusieurs minutes, à l’aider à se relever. Tout est plus long, plus complexe, plus fatiguant.

La deuxième magie est un point. Non, une ligne étroite qui vient jusqu’à nous. Une corde, immatérielle bien entendu, à laquelle je ne m’accroche que par la pensée. Je ne sais pas pourquoi je pense que cette magie là, si lointaine et discrète, est bonne. Peut-être que j’imagine cette axe lumineux. Comment pourrait-il en être autrement, puisque je ne peux laisser mes yeux ouverts plus d’une demi-seconde.

Plusieurs fois nous tombons. Il n’y a plus d’aveugles, d’ombres, d’immortels, de mensonges, d’amnésies, de passés ni de futurs. Il n’y a que nos bras qui nous soulèvent et nos jambes qui nous portent, tant bien que mal.
Soit mon épaule droite est plus douloureuse, soit les cendres sont moins agressives.

Sommes-nous en train d’y arriver ?

J’ai l’impression de tousser moins souvent.

Non, nous n’arrivons nulle part.

Ou bien cela fait bien trop longtemps que nous ne faisons qu’arriver.

Auteur : un gars…, sous le pseudo « un gars… »

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