Tout au bout du bord de l’extrême, derrière les dernières montagnes du Monde, s’élève le Château des 100 000 pièces Les murailles, et les tours et les étages de ce palais s’élèvent, à ce qu’il vous paraît, bien au-delà des nuages, au-dessus des cimes.
LÀ OÙ J’AI RETROUVÉ OMBRE
LÀ OÙ J’AI RETROUVÉ OMBRE

LÀ OÙ J’AI RETROUVÉ OMBRE

—On arrive en haut. Encore deux marches.

Je retiens un soupir quand je réalise que l’escalier que nous avons suivi a changé de sens sans que nous nous en rendions compte. C’est passé comme une lettre à la poste. Il m’attrape la main sur la fin. Le sol sur lequel nous débouchons s’enfonce comme la mousse précédemment sous nous, mais cette fois, il est froid et dur. Le chuintement léger dans mon dos est précurseur de la disparition de là par où nous sommes arrivés.

—Waouh…

L’exclamation de Devhinn se répète en un écho qui s’estompe lentement. Je l’entends tourner sur lui-même avant qu’il ne se lance dans sa description.

—Ce lieu est si grand que je n’en vois pas les extrémités. Je ne vois pas le plafond non plus. C’est très lumineux en tout cas. Ce sur quoi on marche, c’est comme découpé en de tous petits carrés qui descendent un peu quand on appuie dessus et qui remonte après. Enfin… je ne sais pas si c’est clair.

Je hoche la tête tout en m’accroupissant et en passant la main sur les tesselles qui m’entourent. Ces dernières s’enfoncent effectivement sur mon passage pour revenir à leur position initiale juste après. C’est donc cela qui donne le sentiment de souplesse du sol que j’avais senti.

—Par contre… je ne vois toujours pas Ombre.

Ça, ce n’est pas un problème. Les pulsations n’ont eu de cesse de s’amplifier. Elles m’attirent vers elles, droit devant nous. Je le partage avec mon compagnon de voyage. Et nous sommes partis. Encore et toujours marcher. Si je ne finis pas avec des mollets en béton, je ne comprends pas. Ma touche d’humour est vite soufflée par une vague de souffrance aussi brusquement arrivée que repartie. Ça recommence. Le souffle coupé, je m’arrête.

—Analayann !
—C’est Ombre. Ça allait mieux. Mais là… Il faut se dépêcher !

Non pas que nous lambinions jusque-là. Nous reprenons notre avancée. Chaque fois que je pose un pied par terre, une nouvelle pique me transperce. C’est insoutenable. Je ne peux plus attendre. Devhinn me dit quelque chose que je ne peux pas entendre. Les pulsations sont désormais si fortes à mes oreilles qu’elles prennent tout l’espace.

Soudain, je me dégage de la main de Devhinn et me mets à courir droit devant. Je devine qu’il me crie de m’arrêter de l’attendre, mais c’est trop tard, je suis lancée. Si je me stoppe, je ne repartirai jamais. Chaque foulée creuse un peu plus en moi. Je trébuche une fois, deux fois, sur le sol qui ondule sous mon passage, mais me rattrape à chaque fois. Ce n’est pas le moment.

Alors que mon cœur est au bord de l’explosion. Que l’air n’entre plus que brûlant dans mes poumons, je l’entends. Elle est là, à dix pas devant moi. Encore un peu. Cinq. Je ne ralentis pas. Trois. Deux. Un. Je me laisse tomber à genoux. Et tends les mains devant moi. Je la touche. Ombre. Elle est là, bien là. Je reconnais cette sensation si particulière de toucher une ombre. Je reconnais le grain de sa peau. Et plus que tout, je reconnais son esprit, ses pensées, qui se mêlent aux miennes dès le premier contact. D’un coup, le vide qu’il y avait en moi se vide. A moins que ce ne soit le vide qu’il y avait en elle. Peu importe. On se complète enfin à nouveau.

Je cherche son visage, le trouve, l’enveloppe de mes mains pour poser mon front contre le sien. Je sens mes larmes quitter mes joues pour aller rouler sur les siennes. Pourtant, elle ne bouge toujours pas. Mes mains s’en vont parcourir son corps à la recherche d’une blessure, sans en trouver.

—S’il te plait, Ombre… réveille-toi… je suis là… Je… j’ai fais aussi vite que j’ai pu… Je suis désolée… Tu m’as manqué… tu m’as tellement manqué…. Allez, réveille-toi…

Mes mots se mélangent. Il y a ceux que je prononce et ceux qui ne sont que pensées, c’est sans importance. Je l’enveloppe de mes bras et la serre fort, si fort entre mes bras. Un soupir. Un murmure.

—Tu m’as manqué aussi. Ça fait plaisir de te revoir.

Doucement, tout doucement, elle me rend mon étreinte. Des informations, beaucoup d’informations que je n’arrive pas à saisir circulent entre nous sans que ce ne soit conscient. J’ai des flashs d’une route, d’une voiture et de sang, beaucoup de sang, et de tant d’autres choses qui vont si vite. Je me rends compte que les pulsations se sont tues. Que la douleur a disparu. Il n’y a plus que le soulagement. Immense. Qui me submerge. Du bout du doigt, Ombre essuie les joues.

—Chut… là… voilà… c’est fini… tout va bien…

La situation est tellement absurde. Encore une fois, c’est elle qui est forte et qui me réconforte. Son étreinte se crispe tandis que des pas se rapprochent pour s’arrêter à côté de nous.

—Qu’est-ce qu’il fait ici ?
—Tu l’as retrouvée ! Vous allez toutes les deux bien, ouf ! Mais promets moi d’arrêter de te sauver comme ça, s’il te plait.

Mon rire est à moitié nerveux.

—Laisse, Ombre. Il m’a aidé pour m’en sortir et te retrouver. On voyage ensemble maintenant.

On a beaucoup de choses à se raconter. Le Château en a, une nouvelle fois, décidé autrement. Le chuintement est beaucoup plus fort que lorsque les escaliers se sont refermés. Doucement, puis de plus en plus dangereusement, le sol s’incline sur le côté. Les tesselles sont trop petites pour que l’on puisse s’y raccrocher. On glisse. Avant que notre chute ne devienne incontrôlable, les bras d’Un gars s’ajoutent à ceux d’Ombre.

—Hors de question que l’on soit séparés.

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