Aussitôt arrivé dans cette nouvelle pièce, ma première préoccupation est de vérifié si je suis toujours inversé. J’agite mes mains, et, à mon grand soulagement, tout est revenu dans l’ordre. Je prends alors le temps de regarder là où je viens d’arriver. A vrai dire, il règne un tel brouillard que je n’y vois rien. Je pars alors en exploration, guettant chaque ombre dans le coton blanc qui m’entoure. La pièce est vaste, j’y marche bien un quart d’heure avant de trouver enfin quelque chose. Alors que l’humidité imprègne lentement mais sûrement mes vêtements, je distingue une silhouette. A pas doux, je m’approche. La silhouette ne bronche pas. Je suis désormais assez proche pour mieux détailler la silhouette. Il s’agit de quelqu’un, assit devant une table. D’où je suis, je peux voir les pièces d’échecs sur le damier qui couvre le dessus de la petite table ronde, cependant, impossible de discerner les traits de l’individu qui attend sans bouger.
Trois pas de plus. Le brouillard couvre toujours sa face. A moins que… Je réalise qu’il n’a pas de visage à proprement parler. Sa tête est faite de nuages qui se dispersent et s’étiolent pour se confondre dans la brume qui m’entoure depuis mon entrée dans ces lieux. Je sens de la sueur dégouliner dans mon dos. Est-ce la peur ou la condensation ? Mes genoux ne jouent pas des castagnettes tandis que je me rapproche encore jusqu’à me trouver au niveau de la chaise qui fait face à l’inconnu. Il bouge alors, et d’un geste du bras, m’invite à prendre place. Je considère cet individu aux allures pacifiques malgré son étrangeté et la partie en cours, laissée inachevée et choisis de me joindre à lui. Il y a bien longtemps que je n’ai pas joué aux échecs.
Mon choix semble le ravir. Je le perçois sans l’expliquer. Je prends deux minutes pour évaluer l’état de la partie et déduis à son immobilisme que c’est à mon tour. J’avance la tour qu’il me reste pour prendre un de ses fous. Sous mes yeux ébahis, les carreaux remuent et se soulèvent pour faire glisser sa pièce hors du terrain de jeu. La panique monte et s’éteint aussitôt. Je ne suis plus à une étrangeté près. A son tour de jouer.
Notre partie se poursuit, et il prend l’avantage alors qu’il possédait bien moins de pièces que moi à mon arrivée. Je n’ai jamais été mauvais perdant, mais dans ce Château où tout est permis, je m’interroge soudain sur mon destin si je perds la partie. Un examen rapide du plateau m’apprend qu’il est trop tard pour penser à ça. En réponse à cette pensée, moins de trois tours plus tard, je suis échec et mat. Alors que je me prépare à devoir courir, sur la réserve, mon adversaire incline doucement son torse vers moi. Intrigué, je l’imite. Il tend ensuite son bras vers le côté, m’indiquant une porte que je n’avais pas vu jusque-là. Ou qui n’était pas là. Je le remercie à voix basse et me dirige vers elle en voyant du coin de l’œil la table s’agiter d’elle-même pour remettre le plateau en état initial.