Tout au bout du bord de l’extrême, derrière les dernières montagnes du Monde, s’élève le Château des 100 000 pièces Les murailles, et les tours et les étages de ce palais s’élèvent, à ce qu’il vous paraît, bien au-delà des nuages, au-dessus des cimes.
LÀ OÙ IL Y A UNE CATASTROPHE QUE JE NE VOIS PAS
LÀ OÙ IL Y A UNE CATASTROPHE QUE JE NE VOIS PAS

LÀ OÙ IL Y A UNE CATASTROPHE QUE JE NE VOIS PAS

Le goût du sang éclate dans ma bouche en même temps que la douleur envahit mon corps. J’en ai marre. Marre de tomber. Marre de ne voir que du noir.
—Ça va ?
La question me secoue comme un électrochoc. Un gars. Sans doute l’une des dernières personnes que j’aurais pensé retrouver ici. Une des dernières que j’aurais voulu retrouver. Je repousse la main qu’il pose sur mon épaule et me relève sans son aide. Ce qui pulse à l’intérieur de moi est un mélange de peur, de haine et de… je ne sais quoi. Les dernières révélations le reliant à mon passé disparu sont encore dans ma mémoire.
—Analayann ? Ça va ?
—Oui oui…
—Tu es sûre ? Tu saignes.
—Ah…
D’un revers de la main, j’essuie le sang que je sens couler le long de mon menton.
—Ce… ce n’est rien.
Ce qu’il m’avait semblé percevoir précédemment se précise. Je le vois. Enfin, pas vraiment. Mais je devine sa présence, sa posture, ses gestes. Et lui. Rien que lui. Pas la moindre parcelle de décor, pas la moindre autre âme. Il me semble qu’il n’a toujours pas réalisé ma cécité. Les évènements ne l’en lui ont pas beaucoup laissé l’opportunité… Dois-je lui dire ? Il ne m’en laisse pas le temps.
—Tu es toute seule ? Où est Jad ? Et Ombre ? Analayann ! Tu n’as pas d’ombre ! Qu’est-ce qui est arrivé à Ombre ? Qu’est-ce qui vous est arrivé ?
Ses mots me tapent et font remonter en moi la détresse. Mes doigts, dans ma poche, se ferment sur le miroir de Jad. Vite. Contre-attaquer pour ne pas craquer.
—Et toi alors ? Tu es seul aussi ? Où est le petit grand nain ? Qu’est-ce que tu lui as fait ? Hein ?
Je le sens se renfrogner. Son ton est plus grave.
—Je ne sais pas. Il s’est passé des choses étranges. Nous avons été séparés et… Tu as vu ?!
Non, bien sûr que non.
—On ne devrait pas rester là. Tu viens ? A mon avis on ferait mieux de ne pas attendre que ça nous arrive dessus.
J’opine du chef sans rien comprendre de ce qu’il raconte. Il est toutefois suffisamment perturbé par la potentielle menace pour se mettre en marche sans remarquer mon trouble. Grâce à ma drôle de perception, je peux lui emboîter pas. Il marche vite. Je peine à le suivre. Heureusement, le sol est plat. Il ne semble pas décidé à reprendre la discussion pour le moment. Ça m’arrange. Soudain, je le percute. Il s’est arrêté sans que je ne m’en rende compte. Ma perception des distances est lamentable. Dans un réflexe il se retourne et me retient avant que je ne bascule sur les fesses. Je le sens perplexe. Presque suspicieux.
—Tu es sûre que ça va ?
—Je t’ai dit que oui. Je n’ai juste pas fait attention.
—Pas fait attention ? Tu te moques de moi ? Qu’est-ce que tu ne me dis pas ?
J’ai raté quelque chose. J’ai forcément raté quelque chose. D’important. De préférence.
—Rien.
—Ne me mens pas. On ne va pas s’en sortir si l’on part sur des bases pareilles. On doit se faire confiance.
Aussitôt, ses mots enflamment la haine et la rancœur en moi qui ne demandent qu’à exploser :
—Confiance ? Tu oses, toi, me parler de confiance ? Alors que je sais que c’est de ta faute si j’ai tout perdu ? Tu ne te foutrais pas de ma gueule par hasard ? Tu aurais oublié peut-être ?
D’une poigne ferme, un gars intercepte la main que je lance en direction de ce que j’estime être son visage. Il prend le temps pour peser ses mots, mais lorsqu’ils tombent, ils sont froids et sans appel.
—J’ai fait des erreurs. Je le reconnais. Mais je ne suis pas responsable de tous tes malheurs. Me hurler dessus ou me taper ne nous fera pas avancer. Ça ne nous sauvera pas non plus de la catastrophe qui se profile à l’horizon, et que tu ne sembles toujours pas avoir remarquée. Je te dois des explications. Certes. Mais toi aussi. Donc reprends-toi un peu. On se tire de là. Et on parle après. C’est clair ?
Je n’ai pas la force de répondre, seulement de hocher la tête. Il ne lâche pas mon poignet et m’entraine à sa suite dans ce qui ressemble à une course effrénée. A aucun moment il ne s’arrête pour ralentir, me retenant à chaque fois que je trébuche. Je sens que le sol vibre, mais je ne demande pas pourquoi. On accélère encore. Je n’ai plus d’air dans mes poumons. On s’arrête. J’entends une porte. Un gars me tire et me fait passer devant lui. Et ferme la porte dans notre dos.

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