Loan
C’est une salle d’eau, dans un style un peu vieillot, avec une antique et immense baignoire posées sur ses pieds au milieu de la pièce. Elle est remplie et recouverte d’une épaisse mousse blanche. Personne ne s’y baigne. Les volets sont tirés, plongeant le tout dans la pénombre. Je devine des formes sombres ça et là dans les airs. Une radio posée sur le rebord de la fenêtre crachote. Je m’approche et triture le bouton pour régler les stations. Quand je parviens à saisir une station, la mélodie qui sort du haut-parleur dresse mon compagnon de voyage hors de ma poche en même temps que mon oreille. Je la reconnais. C’est la chanson de la petite fille. Ma veste s’agite en même temps que le lutin remue les bras et babille pour attirer mon attention. Je le prends dans ma main et lui demande.
—Tu reconnais cette musique ?
Un coup de tête affirmatif.
—Tu connais une petite fille qui la chante ?
Deux coups de tête, plus vigoureux.
—Tu sais où elle est ? Où est-ce que l’on peut la trouver ?
Cette fois, il hésite avant de secouer tristement la tête.
—Ce n’est pas grave. Ça te dit que l’on aille à sa recherche ensemble ?
Mon lutin n’en finit pas de hocher la tête en chantonnant. Je lui souris et le reglisse dans ma poche. Il nous faut continuer notre périple. Pour trouver la porte, il me faut plus de lumière. J’ouvre la fenêtre et écarte les volets, accueillant avec délice les rayons de soleil sur ma figure.
Quand je me retourne je reste coi. Les formes sombres que j’avais aperçues sont en réalité des bulles de savon qui flottent de partout dans la pièce. Et dans ces bulles, des poissons nagent en rond. Ils semblent tout à leur aise de frétiller ainsi dans ces sphères d’eau en suspension. Un mouvement vers la baignoire attire mon regard et bientôt, je vois une nouvelle bulle sortir de la mousse et s’élever sans se presser dans les airs.
Je me secoue. Je ne peux pas rester ici éternellement. La porte est plus loin, sur ma gauche. Mes pas me dirigent en sa direction tandis que je repars dans ma contemplation. Soudain mon épaule effleure l’une de ces bulles qui aussitôt éclate et déverse son contenu au sol. Le poisson frétille, perdu dans sa panique, au milieu de la flaque savonneuse qui lui servait précédemment d’habitat. Horrifié par ce que je viens de provoquer, je me penche pour accueillir l’animal dans mes mains. Dans ma poche, le lutin m’enjoint à me dépêcher dans son étrange dialecte. Que faire ? Je tends mes mains vers une autre bulle, et en prenant garde à ne pas la toucher, approche le plus possible le poisson. L’un de ses frétillements le propulse dans la bulle et le voilà qui recommence à nager. Le poisson déjà présent tourne autour de ce nouveau locataire avant de l’adopter et de nager avec lui. Mon cœur reprend peu à peu une pulsation normale. On l’a échappée belle !
Reste un problème. La porte est encore loin, et sur son chemin, de nombreuses bulles aux dérivations imprévisibles. Je ne peux pas me permettre de prendre le risque de tuer l’un des poissons par mégarde. Comment m’en aller alors ? Mon compagnon de poche tire sur ma manche. De l’autre main, il pointe la baignoire en babillant. Vraiment ? Je me rapproche du contenant d’eau. Qui sait ce qui se trouve sous la mousse ? Je tends la main, la retire, hésite, puis la plonge. L’eau est tiède. J’enfonce lentement mon bras. Profond. Beaucoup plus profond que le fond de la baignoire. C’est sûr, il y a un passage. Vers où ? Nous le verrons bien. Enjoignant mon lutin à bien s’accrocher, je glisse une jambe, puis l’autre, en me retenant avec les mains aux rebords. Je prends une grande inspiration. Puis me laisse glisser. Et l’eau me recouvre.