Tout au bout du bord de l’extrême, derrière les dernières montagnes du Monde, s’élève le Château des 100 000 pièces Les murailles, et les tours et les étages de ce palais s’élèvent, à ce qu’il vous paraît, bien au-delà des nuages, au-dessus des cimes.
L’HYSTÉROPÉE
L’HYSTÉROPÉE

L’HYSTÉROPÉE

Loan

Ma première impression est qu’il fait chaud, moite. J’entends des plic-plocs dans le lointain. Le couloir est étroit mais finit par déboucher dans une large pièce arrondie. Le manque de luminosité ne me permet pas de distinguer grand-chose, pas même le fond, à part un fauteuil et une silhouette assise dessus.

—Excusez-moi…

L’individu tourne vers moi un visage androgyne avec de profondes cernes et un air désabusé. C’est à peine s’il a l’air surpris de me voir ici.

—Oui ?
—Je me suis perdu. Je suis à la recherche d’une petite fille. Pouvez-vous me dire où je suis s’il vous plait ?
—A l’Hystéropée.

Devant mon air ahuri, l’individu répète :

—L’Hystéropée. Vous ne savez pas ce que c’est ? Pourtant… non rien. Vous voulez visiter ?

Je hoche la tête en signe d’approbation. Il s’extrait alors de son fauteuil puis me tend la main.

—Au fait, je suis l’Embryagogue.
—Loan.
—Viens, suis-moi.

Sur ses pas, je découvre que nous ne sommes en réalité qu’à l’entrée d’une immense caverne. Les parois ont une teinte rouge sombre et luisent d’humidité. Le sentier que nous prenons prend sur la gauche et s’élève en pente douce. Autour de nous, des sortes de lutins s’affairent. Mon guide explique :

—Ce sont les Dactyls. Ils œuvrent pour préparer le lieu à chaque cycle.
—Préparer pour quoi ?

D’un doigt il me montre la sphère blanche qui se situe presque en haut de notre chemin. Cette dernière émet une faible lueur, et semble un peu rabougrie, recroquevillée sur elle-même.

—A chaque cycle, elle fleurit, grossit, puis dépérit. A moins que par cette cavité son complémentaire n’arrive et qu’ils ne fusionnent.

Sa main désigne une ouverture sombre tout en bas de la pente.

—A ce moment-là, le résultat se développera encore pendant de nombreux cycles. Je ne connais pas trop la procédure, ce n’est encore jamais arrivé…

La fin de sa phrase meurt et nous continuons notre ascension au rythme lent de sa démarche fatiguée. Plus nous avançons, plus les lutins se font nombreux. Je n’arrive pas à comprendre ce qu’ils font. Ils… polissent le sol et les parois, ou les nettoient, avec une infinie délicatesse. Parfois, ils sont amassés par grappe autour d’une fissure dans le sol et chantent une mélopée en se balançant doucement en rythme. En voyant mon regard qui se porte sur l’une de ses failles, celui de mon guide s’assombrit.

—Ah oui… Ce n’est pas en très bon état. On fait de notre mieux… mais nous ne sommes pas très aidés…

A ce moment, un des lutins se précipite vers nous et tire sur la main de mon guide en babillant dans un langage que je ne comprends pas, surexcité. Une lueur revient dans les yeux de mon interlocuteur au fur et à mesure qu’il l’écoute.

—Vraiment ? Quelle bonne nouvelle ! Viens Loan, tu arrives le bon jour.

Son pas se fait plus léger, son allure, plus vive, tandis que nous gravissons les derniers mètres. AU passage, sa main caresse avec délicatesse la sphère. Puis nous nous arrêtons devant de qui ressemble à une grosse vanne. Les lutins sont si nombreux ici qu’il faut que je fasse attention où je pose mes pieds.

—A la fin de chaque cycle, il nous faut nettoyer, enlever celle qui a flétrit pour laisser la place à celle qui fleurira. Pour cela, nous ouvrons cette vanne. Toutefois… elle a quelques soucis de fonctionnement, et nous n’arrivons que rarement à l’ouvrir au moment où le faudrait. Mais ça y est, les Dactyls l’ont débloquées, c’est le grand jour !

Après ces explications, il lui suffit de porter deux doigts à la bouche pour émettre un sifflement strident qui se répercute dans toute la caverne. A ce signal, tous les lutins se précipitent sur les parois et commencent à grimper. En quelques minutes, ils sont tous haut perchés. L’Embryagogue se plaque contre la paroi d’un côté de la vanne et me fait signe de faire de même de l’autre côté. J’obéis, curieux. Le volant commence par refuser de tourner entre ses mains, puis il se laisse aller tout seul. Trois secondes plus tard, un flot de liquide jaillit de l’ouverture avec une pression monstre. En moins de temps qu’il ne faut pour dire ouf, le sol de la caverne est recouvert, et le niveau ne tarde pas à monter. De notre position à l’abri, je contemple le lieu se faire inonder. La sphère est ballotée par les flots avant de se détacher. Emportée, elle disparait dans l’ouverture sombre du bas de la grotte. Suspendu en hauteur, les lutins se balancent en chantant. Leur mélodie est couverte par un sifflement perçant qui ramène l’ombre dans les yeux de mon guide. Je n’ose pas demander mais me doute que c’est lié aux problèmes de fonctionnement évoqués plus tôt et aux fissures. Le spectacle est magnifique et je reste sans rien dire, ébahi jusqu’à ce que le liquide ait fini de jaillir et que le niveau commence à descendre à nos pieds.

—Tu viens d’assister à la fin d’un cycle et au début du suivant. Il faut attendre encore un peu avant que les Dactyls puissent à nouveau reprendre leur travail.
—Waouh… C’est… magnifique.
—Tu as une quête à continuer il me semble. Si tu veux, il y a une porte un peu plus loin sur le côté. Je ne sais pas où elle mène, nous ne l’avons jamais ouverte.
—Merci pour la visite. Merci pour tout.
—Il n’y a pas de soucis. Merci à toi d’avoir pris le temps de t’arrêter. J’espère que tu as un peu plus compris où nous étions.

Avant que je ne réponde, des lutins arrivent sur une barque et l’emmènent en me faisant des grands signes de la main. Je fais un coucou en retour puis me dirige vers la porte indiquée. La poignée résiste un peu avant de céder et de m’ouvrir le passage. Au moment où je passe la porte, je sens un lutin se glisser dans la poche de ma veste.

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