Tout au bout du bord de l’extrême, derrière les dernières montagnes du Monde, s’élève le Château des 100 000 pièces Les murailles, et les tours et les étages de ce palais s’élèvent, à ce qu’il vous paraît, bien au-delà des nuages, au-dessus des cimes.
LA PIÈCE DE LA FENÊTRE DONNANT SUR L’ENTRÉE DU CATHEDRHALL, PROPICE À LA CONTEMPLATION ET À LA PRÉSENTATION PLUS OU MOINS SUBTILE DU PERSONNAGE
LA PIÈCE DE LA FENÊTRE DONNANT SUR L’ENTRÉE DU CATHEDRHALL, PROPICE À LA CONTEMPLATION ET À LA PRÉSENTATION PLUS OU MOINS SUBTILE DU PERSONNAGE

LA PIÈCE DE LA FENÊTRE DONNANT SUR L’ENTRÉE DU CATHEDRHALL, PROPICE À LA CONTEMPLATION ET À LA PRÉSENTATION PLUS OU MOINS SUBTILE DU PERSONNAGE

J’observais les explorateurs s’engouffrer à travers les portes béantes du Château avec un certain dégoût. Du haut de ma fenêtre, ils m’apparaissaient comme une colonie d’insectes, noire, grouillante. Chaque année, ils étaient des milliers à tenter leur chance, à foncer naïvement vers les profondeurs sinueuses du château, à se perdre dans les pièces les plus mesquines. Et, chaque année sans faute, ils étaient des milliers à mourir, périr, décéder, disparaître, expirer crever clamser, des milliers à succomber à la malveillance de l’édifice. Je plaquai mon front contre la vitre fraîche et fermai les yeux, empreint d’une réflexion soudaine sur ma condition. Il y avait longtemps que l’idée de la mort, que ce soit de la mienne ou de milliers d’autres, avait cessé de m’affecter d’une quelconque manière. La mort, c’était ma routine, mon train-train habituel. Ma description d’emploi. J’avais été explorateur, un jour, il y a des centaines d’années. Je ne m’en souvenais plus. Désormais, j’étais un rouage de la machine tyrannique et implacable du Château, et ça me convenait parfaitement. Les diables, follets et autres créatures qui erraient dans le Château raffolaient des objets que j’extirpais des cadavres d’explorateur. Ils me rapportaient beaucoup : je pouvais espérer, chaque jour, deux ou trois statères d’or, ou d’autres objets de valeur équivalente. Au sein du personnel du Château, j’avais acquis une certaine renommée : j’étais le Charognard. Mes clients m’attendaient chaque soir dans LA PIÈCE DU CHAROGNARD, qui était mienne. Il m’avait fallu un certain temps pour analyser les convulsions sporadiques du Château, comprendre comment retrouver la même pièce à des millions d’emplacements différents. Désormais, j’y parvenais plutôt bien. Et mon commerce macabre allait bon train.
J’extirpai une allumette d’une des innombrables poches de ma veste, une cigarette d’une autre, et la portai à ma bouche et jetant dans un coin l’allumette consumée. J’inspirai quelques bouffées de la fumée âcre, me délectant de la douce chaleur dans mes poumons et de la poésie des volutes de fumée rose caressant mon visage. Je fumai hâtivement, car selon ma montre gousset – trouvaille que j’avais décidé de conserver – il était l’Heure. Les quatre aiguilles mobiles avaient cessé de tourner dans tous les sens et s’étaient stabilisées, indiquant l’endroit de ma montre où, entre le quatre et le cinq soigneusement calligraphiés, j’avais gravé un H majuscule à la pointe de mon couteau. La notion de temps, dans cet enfer, était abstraite. Mais quand il était l’Heure, au moins, je savais qu’il était l’Heure. Avec un soupir, j’écrasais mon mégot sous ma chaussure et je quittai la pièce.

Auteur : Épervier sous le pseudo « Épervier »

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