Tout au bout du bord de l’extrême, derrière les dernières montagnes du Monde, s’élève le Château des 100 000 pièces Les murailles, et les tours et les étages de ce palais s’élèvent, à ce qu’il vous paraît, bien au-delà des nuages, au-dessus des cimes.
LA PIÈCE DE LA VÉRITÉ VRAIE SELON LE FOU QUI ME L’A DÉBITÉE D’UNE TRAITE
LA PIÈCE DE LA VÉRITÉ VRAIE SELON LE FOU QUI ME L’A DÉBITÉE D’UNE TRAITE

LA PIÈCE DE LA VÉRITÉ VRAIE SELON LE FOU QUI ME L’A DÉBITÉE D’UNE TRAITE

Folly

Ça fait mal… Tellement mal… Les larmes, d’un rouge cristallin, m’aveuglent et je ne distingue que des formes floues autour de moi. Je n’essaie même plus de deviner ce qu’il fait, je m’en fiche, de lui, de moi, de tout. Seule compte la douleur. Celle qui ravive les souvenirs que je m’étais désespérément forcée à cacher au plus profond de ma conscience. Conscience, c’est elle qui sait tout… pourquoi a-t-elle refusé de me parler de mon passé en détail ? Je le sais. C’est inexplicable, des bribes me reviennent. Des conversations, des paysages, des visages, des mots, qui surgissent sans aucun sens dans ma tête. J’ai beau tenter de discerner le vrai du faux, je n’y parviens pas. Qui dois-je croire ? J’ai la tête à l’envers, le sang bout dans mon cerveau et je ferme les yeux de toutes mes forces. Pourquoi je ne pourrais pas être quelqu’un de normal, à qui il n’arrive jamais rien, qui vit tranquillement sans se soucier des problèmes de grandes personnes importantes et puissantes, sans embêter personne, sans être coincé dans les entrailles du Château, à la merci d’un sadique ? Pourquoi tout arrive à moi ? POURQUOI ???? Pourquoi lui, moi, les pieux et les enfants ?
Au moment où j’ai cette pensée, il me lâche, et je m’écrase par terre comme une poupée de chiffon. Je n’ai plus la force d’avoir mal et de m’en plaindre.
-Ici, c’est parfait, déclare Léonid Owens. Personne ne viendra nous déranger. J’ouvre les yeux. Nous sommes au milieu des bois, dans une pièce si vaste qu’il a dû mettre l’équivalent de trois heures de la porte à ici. Il s’étire et fait craquer ses phalanges, le sourire aux lèvres, avant de se tourner vers moi.
-Je vais chercher du bois, ne bougez pas.
J’aurais bien voulu lui rétorquer qu’il m’est hélas impossible de bouger parce que mes os risqueraient de s’ouvrir en deux dans le sens de la longueur sous l’effet de la gravité, mais comme c’est scientifiquement impossible, je ravale ma réplique cinglante et me contente de hocher la tête. Il s’éloigne en sifflotant, faisant fuir par la même occasion la faune de la pièce à trois kilomètres à la ronde, et le plus doucement possible, je me mets en quête d’une position confortable pour fermer l’œil. Je ne veux plus jamais me réveiller. Plus jamais voir le visage d’un homme au sourire
déformé par la cruauté penché sur moi au moment où j’ouvre les yeux. Plus jamais subir une telle humiliation. Ma tête s’enfonce dans le tapis de feuilles mortes et je m’endors.
Un clic me réveille, suivi du ronronnement du feu qui démarre. Je tends le cou et la lumière éclaire mon visage. La nuit est tombée dans cette pièce, les bruits de la nuit et la chaleur des flammes enveloppent mon être. L’illusion est parfaite. Mais reste factice. À quelques kilomètres de là se trouve une porte qui m’enfoncera dans un nouvel enfer, en compagnie de cet homme indésirable.
Une délicieuse odeur parvient à mes narines, et il me tend une pomme empalée sur une brindille. Elle est chaude et dégage un fumet appétissant.
-Les arbres de Suy ont une sève extrêmement sucrée, qui s’agglutine en cristaux au contact de l’air. Faites fondre ces cristaux et vous obtenez du caramel.

J’ai bien mangé. J’ai moins mal, maintenant. Mes mains sont un peu poisseuses. Léonid Owens chantonne, les yeux dans le vague. Soudain, il se tourne vers moi en frappant ses cuisses du plat de la main. Un sourire éclaire son visage. Il est un peu fou, mais attentionné.
-Après avoir mangé rien de mieux qu’un conte de fée au coin du feu. Un merveilleux conte que je viens d’inventer.
Devant mon air septique, il s’approche et ajoute sur le ton de la confidence :
-C’est une histoire qui parle de petite fille.
Je fais une moue dégoûtée. Je suis sûre que c’est un vieux conte de merde qui conditionne la fille dans son rôle de princesse docile femme au foyer. Autant me caler bien confortablement entre deux racine et me laisser bercer par le crépitement du feu. Il se racle la gorge. Je ferme les yeux.
-Il était un fois, dans un très grand château rempli de merveilles et de trésors, une petite fille. Cette petite fille ne voulait pas de titre, ni quoi que ce soit d’autre. Elle était juste amoureuse…
-D’un beau prince charmant à la barbe drue et l’âge mûr, alors qu’elle avait un âge que même le pedobear ne cautionne pas, c’est ça ?
-Exactement. Son souhait le plus cher était de se marier avec, même si le prince ne s’intéressait pas à elle. Cependant, il jouait un jeu amoureux de paraître et de mensonge avec elle, parce qu’il pensait pouvoir en tirer des avantages. Un jour, une fée, sa marraine arriva, et lui expliqua les sombres desseins qu’avait l’homme, car la petite fille était une princesse, d’un rang plus élevé que le sien. La petite fille comprit son erreur, et bien qu’on ne lui demandât pas de cesser d’aimer le prince, elle renonça à l’épouser pour son propre bien. Elle vécut donc heureuse jusqu’à la fin de sa vie. Fin.
Je baille avec insistance.
-Votre conte a beau n’avoir duré qu’une minute, j’ai l’impression qu’un vieux croulant vient de me faire la lecture entière des œuvres de Danielle Steel.
Il s’offusque. Tant mieux. C’est un drôle de spectacle.
-Déjà, vous n’avez pas du tout une tête de fée marraine. D’ensuite, le Château ne m’a jamais dit qu’il m’aimait. Maintenant, sans vouloir vous offenser, je préfère largement dormir que d’écouter une seconde plus vos contes à la morale douteuse, monsieur Owens.
-Appelez-moi Léonid, dans ce cas.
Trop de politesse et d’hypocrisie mielleuse. Je vais vomir. Je détourne la tête et m’endors avant même d’avoir pu finir de me dire que la sève de Suy…

 Autrice : Sakura en sucre sous le pseudo « Sakura »

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