Tout au bout du bord de l’extrême, derrière les dernières montagnes du Monde, s’élève le Château des 100 000 pièces Les murailles, et les tours et les étages de ce palais s’élèvent, à ce qu’il vous paraît, bien au-delà des nuages, au-dessus des cimes.
LA PIÈCE DU JEU VIDÉO
LA PIÈCE DU JEU VIDÉO

LA PIÈCE DU JEU VIDÉO

La tête posée sur le carrelage froid, je reprends péniblement mes esprits. J’ai les jambes toutes endolories et mes pieds portent la marque de mon passage sur les charbons brulants. J’entrouve les yeux et pousse un gémissement de douleur. Astrid s’avance et m’aide à me relever.
Je regarde autour de moi. Nous nous trouvons dans une pièce circulaire, le plafond circulaire s’étend à des mètres au dessus de nos têtes, le sol, identique, à des mètres sous nos pieds, tel un trou béant prêt à m’aspirer. Nous sommes sur une étroite passerelle qui traverse de long en large cette pièce, où plutôt devrais-je dire ce globe, aux murs gris étincellents qui paraissent s’étendre à l’infini. Aucune trace de portes sur ces murs lisses.
Marine soutenant Yashim avec difficulté, moi m’appuyant tant bien que mal sur l’épaule d’Astrid, nous traversons lentement la passerelle jusqu’à arriver au centre de la pièce, sans dire un mot ; chacun d’entre nous est épuisé, à croire que le Château et ses émissions débiles vont finir par nous avoir. La plage paradisiaque où nous nous sommes rencontrés me semble si loin à présent, après tout ce que nous avons traversé.
Le centre de la passerelle est plus large, là ou se regroupent tous les chemins. Au milieu, quatre sièges aux assemblages compliqués ont été disposés. Des fils rouges partent de tous les côtés et un énorme casque surplombe le trône. Nous nous approchons prudement.
Aussitôt, une voix féminine préenregistrée retentit d’un micro caché dans la pièce.
« Chers aventuriers, bienvenue dans la pièce du Grand Jeu Vidéo, une des toutes dernières créations du Château. Elle est la dernière pointe en matière de technologie et j’ai l’honneur de vous annoncer que vous serez les premiers à la tester. »
Je reste sans voix.
-Et si on ne veut pas ? Provoque Astrid
Mais la dame continue son discours d’un ton monocorde :
« Vous allez vous asseoir sur ces fauteuils et placer ces électrodes sur votre tête. Ils enregistreront votre activité cérébrale et les mouvements auquels vous pensez seront reproduits à l’identique sur votre avatar qui va agira pour vous dans le Jeu Vidéo. »
Elle vient à peine de terminer sa phrase qu’un écran géant descend du plafond juste devant les quatre fauteuils.
« Vous allez ensuite boire cette boisson qui vous permettra de plonger dans le Jeu Vidéo et de vivre l’aventure comme si vous y étiez. »
Un verre rempli d’une substance rose apparaît alors sur l’accoudoir de chaque fauteuil.
« Votre mission sera de trouver la clé qui se cache quelque part dans le Royaume d’Oaris que vous pourrez explorer selon vos désirs. Le chemin pour y arriver est difficile, il vous faudra donc faire preuve de courage et de solidarité pour y arriver. »
-Et si on refuse ? Répête Astrid.
« Cette clé vous permettra de sortir de cette pièce, continue la voix répondant sans le savoir aux questions d’Astrid. Si vous ne la trouvez pas au bout du temps impartit, vous êtes condamnés à rester ici pour toujours et à servir de cobayes pour le Château et ses nouvelles inventions. »
D’un mouvement rageur, Astrid envoie valser un des verres qui se fracasse, répandant son contenu par terre :
-Putain ! Ca craint !
Moi, je n’ai pas la force de bouger. Je reste plantée là, à regarder, impuissante, un nouveau verre apparaître à la place du précédent, comme pour nous narguer.
La voix se fait malicieuse à présent.
« J’avais oublié un détail. Vous vivrez tout ce qui se passe dans le Jeu Vidéo comme s’il s’agissait de la vraie vie. Si vous vous blessez, la douleur sera bien réelle. Si vous mourrez… je vous laisse imaginer. Bonne chance chers aventuriers. »
Les mots sonnent terriblement creux dans ma tête. Je les entends mais je ne peux pas, je ne veux pas en saisir le sens. Les ondes sonores viennent et repartent, rebondissent sur les murs, résonnent et disparaissent enfin, nous laissant plus seuls que jamais.
Je me laisse tomber au sol, sans forces, atone. J’en ai marre, je ne veux plus me battre, je suis épuisée de devoir sans cesse courir pour tenter de survivre. Est ce vraiment une vie, ça ? Nous sommes constament dans la peur, constament sur nos gardes.
Notre équipe est bien pitoyable. Nous nous étions promis de rester soudés et nous avons déjà perdu Romain. Nous voulions faire preuve de sang froid et nos nerfs lâchent à tout instant. De là où il est, je suis sure que le Château doit bien se marrer.
-Alors qu’est ce qu’on fait à présent ? Murmure Yashim
-Je ne crois pas que nous ayons vraiment le choix, souffle Marine.
Exédée, Astrid tourne en rond en bougonnant des paroles inintelligibles. Elle commence à me donner mal à la tête.
-Calme-toi Astrid, ça ne sert à rien. Le message était clair, on a pas trente six mille solutions pour sortir d’ici. Il faut te faire une raison…
Elle se tourne vers moi. Ses yeux sont brouillés de larmes. Elle déteste se sentir impuissante à ce point.
-On va tenter notre chance. Si on reste soudés, tout devrait bien se passer, on devrait réussir à sortir d’ici…
-Devrait ? Super, qu’est ce que ça me rassure…

Nous portons Yashim qui n’a plus la force de bouger jusqu’à son fauteuil. Je place les électrodes sur sa tête tandis que Marine le force à avaler la substance rose. Puis c’est à notre tour. Je m’assois, dégage mon visage et ma nuque en redressant mes cheveux et positionne les électrodes un à un. Marine et Astrid font de même. Une fois cela fait, nous nous regardons d’un air inquiet.
-Allez, on trouve cette fichue clef et on fout le camp d’ici.
Dit comme ça, ça a l’air simple. J’inspire un grand coup et porte le verre à mes lèvres. La boisson a un goût de menthe légèrement poivrée. Je manque d’avaler de travers puis je sombre dans le noir.

Je me réveille aux côtés de mes amis dans une sorte de grand hangar. Devant nous se trouve un grand écran noir, semblable à celui du globe. Nous nous approchons. Une sensation bizarre m’envahi, comme si chacun de mes pas ne me causait plus aucun effort. Etonnée, je jette un coup d’oeil à mes jambes ; elles n’ont pas changé, je suis juste en meilleure forme et j’ai l’impression de marcher sur un nuage…
« C’est parce que tout ceci se passe dans ta tête… » me souffle ma petite voix. Elle n’a pas tord. Ainsi, mes membres me paraissent plus légers et mes capacités à leur maximum. Quant aux blessures de Yashim, elles n’ont pas disparu mais la douleur si. C’est le principal.
Tout d’un coup, l’écran s’allume et une musique résonne, nous faisant tous sursauter.
La même voix que tout a l’heure.
Je dois faire beaucoup d’efforts pour ne pas le défoncer à coups de pierre.
« Ravie de vous revoir chers aventuriers. Votre sortie de cette pièce n’a jamais été aussi proche mais elle ne dépend que de vous. Comme je vous l’ait dit, vous devez trouver la clef qui vous permettra de sortir. Voici à quoi elle ressemble. »
Un hologramme apparaît, nous montrant la fameuse clef sous tous ses angles. En verre et aux contours légèrement argentés, elle a les bords ronds et une décoration facile à reconnaître.
« Vous avez une heure pour la trouver. A la fin de mon message, le chronomètre que vous voyez ici se déclenchera. Au bout du temps impartit, vous connaitrez votre destin… Vous êtes prêts ? 3… 2… 1… Puissent toutes les portes s’ouvrir sur votre passage. »
Un chronomètre s’affiche alors sur l’écran et commence le décompte : 59.59… 59.58… 59.57…
Nous n’avons pas un instant à perdre. Je regarde fébrilement autour de moi. Le hangar à deux portes à ses extrémités. Laquelle choisir ?
-Bon, on devrait se séparer en deux groupes, dis-je. Marine et Yashim vous partez vers la gauche, moi et Astrid vers la droite. Chacun tâche de trouver la clef.
-Et si l’un d’entre nous a un problème ? Demande Marine, inquiète.
-S’il n’a vraiment pas d’autre choix, il appelle l’autre groupe à l’aide. Mais si chacun fait attention à sa mission, tout devrait bien se passer.
– »Devrait » encore une fois…
J’ignore la remarque d’Astrid et me dirige vers la porte de droite, l’intéressée sur mes talons. Avec son aide, j’ouvre la porte rongée par l’humidité. Dehors, c’est un paysage dévasté qui nous fait face. Des bâtiments, autrefois des immeubles, ne sont que maintenant que ruines. La végétation a repris ces droits, les mauvaises herbes poussent ça et là. Dans l’air, flotte une odeur nauséabonde. Aucune trace de vie dans les environs. Un souffle de vent chaud fait s’envoler la poussière du sol qui vient se coller à nos vêtements. Astrid tousse. Comment trouver cette clef dans un désastre pareil ?
-C’est comme chercher une aiguille dans une botte de foin, soupire Astrid. Elle peut être n’importe où…
Soudain, une idée me traverse l’esprit.
-Tu sais, je ne pense pas que la difficulté du jeu soit parcourir tout le territoire le nez rivé au sol pour trouver où se cache la clef avant que le temps ne soit écoulé. Ca ne rimerait pas à grand chose et puis le Château aime bien le spectacle… Non, je pense que la clef doit être cachée dans un endroit intelligent, mais difficile d’accès. Un endroit qui nous mettrait à l’épreuve.
-Tu propose quoi ?
-Il faut qu’on essaie de penser comme le Château, pour trouver les endroits où il pourrait avoir caché cette fichue clef.
-Super, j’ai toujours rêvé de me glisser dans la peau d’un psycopathe…
Aussitôt dit, aussitôt fait. Pendant ce qui me semble une éternité, nous parcourons les lieux, imaginant les endroits les plus improbables pour cacher un objet de petite taille et tachant de ne pas imaginer ce qui nous attendrait si nous n’y arrivions pas. Nous découvrons toujours plus de ruines et de poussières mais pas la moindre clef ni même le moindre signe de vie. Je jette régulièrement des regards inquiets à ma montre, surveillant le temps d’une manière presque maladive. Parfois, nous voyons au loin les frêles silhouettes de Marine et Yashim, qui n’ont pas l’air plus avancés que nous.
Astrid soulève une plaque d’égout à moitié rouillée et du faisceau de sa lampe torche, elle éclaire le tunnel qui semble plonger jusqu’à l’infini.
-Tu penses qu’elle pourrait être là dedans ? Me demande t-elle.
-Pourquoi pas… Comme tout est détruit dehors, il n’est pas impossible que nous trouvions plus de choses sous terre.
Astrid se penche au dessus du vide. Elle hésite. Je regarde ma montre. 43.25. Nous n’avons pas un instant à perdre.
-Je passe devant si tu préfères.
Elle hoche la tête, angoissée. Je dois moi même faire un effort pour ne pas m’enfuir sur le champ. Qui sait ce que nous allons trouver dans ces ténêbres ? Astrid me passe sa lampe, que je garde dans une main tandis que je m’assois au bord du trou. Il y a une échelle, heureusement. Mais vu l’état des barreaux, je doute qu’elle dure encore longtemps. Je balance une jambe dans le vide et trouve un endroit où poser mon pied. La jambe tremblante, j’appuie légèrement ; le barreau semble tenir. Je bascule le reste de mon corps dans le conduit, tous mes muscles crispés. J’inspire un grand coup et commence à descendre.
« Ne regarde pas en bas, ne regarde pas en bas, concentre-toi sur ce que tu as à faire… »
Mes mains agrippent les barreaux glacés les uns après les autres. Impossible de savoir quelle distance me sépare du sol. Les seules choses que je voie sont l’entrée du conduit qui se fait de plus en plus petite au fur et à mesure, la silhouette d’Astrid qui se détache du ciel gris et mes mains, éclairées par la lumière faiblarde, qui me retiennent d’une chute possible.
-Jusqu’ici, tout va bien, dis-je à Astrid qui peine à cacher son inquiétude.
Soudain, mon pied droit dérape au moment de se poser sur le barreau suivant. Tout mon poids est désormais sur un seul barreau qui tremble dangereusement et finit par se décrocher du mur.
-AAAAAAAH !
Suspendue dans le vide, seules mes deux mains m’empêchent de tomber. Mais pour combien de temps ? J’essaie de calmer ma respiration pour ensuite mobiliser mes forces afin d’atteindre avec le pied le barreau du dessus ou du dessous. Hélas, l’espace, qui était déjà tout juste pour descendre par l’échelle est maintenant trop grand et rend la tache impossible. Alors que je sens la panique m’envahir, un léger sond me parvient, amplifié par l’écho. Le barreau a atteind le fond du tunnel. Combien de temps s’est écoulé depuis qu’il s’est détaché ? Quelques secondes seulement, tout s’est passé si vite… Je ne dois donc pas être très loin du sol, peut être suffisement près pour pouvoir me laisser tomber. De toute façon, ce n’est pas comme si j’avais le choix, mes bras commencent à faiblir, je ne peux pas rester là éternellement.
Alors, sans trop réfléchir, je ferme les yeux et lache le barreau. Dans ma chute, je les garde résolument fermés. L’air frais me fait l’effet d’une tornade. Lorsque je me dis qu’il serait temps que j’arrive au fond, mes pieds touchent brutalement le sol et je m’effondre.

-Orianne ? Orianne ? Tout va bien ?
La voix d’Astrid me parvient et se répête dans le noir du tunnel. Encore étourdie par le choc, je trouve la force de lui répondre. Puis je me relève, le corps endolori et lui éclaire l’échelle pour qu’elle puisse descendre. Visiblement, évaluer les distances n’est pas mon point fort…
Elle arrive en bas sans trop d’encombres et dans la lumière de la lampe, je distingue sur son visage une expression de soulagement.
-La prochaine fois c’est toi qui ouvre la marche, je bougonne.
Je n’ai toujours pas digéré ma chute.
Côte à côte, nous avançons dans le noir. Nous sommes à présent dans un large tunnel avec à intervalles réguliers sur le mur de droite, des portes en fer, toutes impossible à ouvrir. De temps en temps,un léger bruit d’eau vient rompre le silence. Pas de vie à l’horizon. Je jette un coup d’oeil à ma montre. 36.24. Le temps semble filer à une vitesse folle.
Nous arrivons bientôt à un croisement. Par où aller ? Soudain, des bruits de pas venant de gauche nous tirent de notre réflexion. Le cœur battant à tout rompre, nous nous plaquons contre le mur. Des bribes de conversations nous parviennent…
-J’ai cru entendre quelque chose, pas toi ?
-… … … … j’ai trop peur, je veux rentrer…
-… … … à qui ils ont affaire !
Ils ne sont plus très loin à présent. La main sur le manche de mon couteau, je suis prête à me battre si c’est nécessaire. Les individus arrivent enfin à notre niveau. Ils sont deux. Je ne distingue pas leurs visages. Ils ne semblent pas remarquer notre présence. Après tout, peut être qu’ils vont juste passer leur chemin sans faire d’histoires…Soudain, ils s’arrêtent et regardent autour d’eux. A côté de moi, Astrid se détache du mur et j’approche légèrement.
-T’es folle ou quoi ? Je murmure. Ils vont nous remarquer !
Elle ignore ma remarque et s’avance encore un peu plus. Mais qu’est ce qu’il lui prend ?
Soudain, la plus petite silhouette se retourne et son visage, éclairé par la lampe de son compagnon, me paraît familier…
Marine ?

Les deux sœurs se sautent dans les bras. Je ne les aies jamais vues aussi contentes de se voir. Je suis si soulagée que je me mets même à rire. Ça fait du bien. Yashim nous raconte leur expédition, aussi désastreuse que la notre. Ils n’ont rien trouvé et la mort dans l’âme, ils se sont également résignés à explorer les sous sols. Le conduit d’où ils viennent est similaire au nôtre, rien d’intéressant de ce côté là. Nous continuons notre chemin, l’équipe au complet.
« Enfin, presque… » me rappelle ma petite voix.
Il ne nous reste qu’une trentaine de minutes. Ces sous sols sont notre unique chance. Si nous échouons… je préfère ne pas y penser.
Soudain, le couloir, qui était sombre jusqu’à présent, s’éclaire d’une lumière vive. Eblouie, je plisse les yeux et regarde autour de moi, étonnée. Que se passe t-il ?
La voix préenregistrée retenti juste à côté de moi, sans pour autant que je puisse en déterminer la provenance.
« Chers aventuriers, il ne vous reste à présent que 30 minutes. Vous avez vu juste en choisissant les sous sols, je suis fière de vous. Mais ne vous estimez pas trop près du but. Le Château a laissé quelques pièges à votre attention, pour rendre la mission plus amusante. Bonne chance et puissent toutes les portes s’ouvrir sur votre passage. »
Je reste interdite. Qu’est ce qu’elle entend par « pièges » ? Qu’est ce qui nous attend ?
C’est avec comme du plomb dans les jambes que nous reprenons notre route. A tout croisement, je m’attends à trouver les sbires du Château, armés jusqu’aux dents, prêts à nous faire la peau. Mais, rien ne se passe, et le silence demeure inquiétant.
Soudain, un léger bruit se fait entendre. Comme un roulement contre le sol. Marine est la première à l’entendre et elle s’arrête net.
-Qu’est ce que c’est ?
-Aucune idée… On dirait que ça se rapproche…
-Je le sens pas, on ferait mieux d’avancer, dit Astrid.
Pour une fois, personne ne conteste sa décision. Nous hâtons le pas, poursuivis par une chose dont nous ignorons la nature et qui se fait de plus en plus proche. A croire que notre fuite est inutile. Le raclement devient de plus en plus fort, jusqu’à résonner contre les parois du tunnel et me casser les oreilles. Puis, le sol se met à trembler et nous nous mettons à courir. Je cède à la tentation de me retourner et ne peux contenir un cri d’effroi. Derrière nous, une énorme boule hérisée de piques aussi pointues que des couteaux, prenant toute la largeur du tunnel nous fonce droit dessus. L’arrêter semble impossible, aussi, mes jambes, que je ne contrôle plus à présent, courrent à une vitesse presque irréelle. Des pensées se bousculent dans ma tête, s’entrechoquent et se mélangent… Comment allons nous nous en sortir ? Il y a t-il une issue ? Mourrir dans le jeu est t-il aussi douloureux que dans la réalité ? Pourquoi diable ais-je décidé d’explorer ce putain de Château ?
Soudain je remarque un léger renfoncement dans le mur, d’une dizaine de centimètres seulement, où devait se trouver autrefois un meuble ou une porte.
Cette vision met court à mes réflexions. Je n’ai plus qu’une idée en tête, m’y réfugier pour échapper à cette boule destructrice.
J’attrappe Marine par le bras et crie aux autres de me suivre. Mes jambes semblent flotter dans les airs et j’arrive enfin à mon unique échappatoire. Je me plaque contre le mur, presque à m’y enfoncer, et serre fort la main d’Astrid et de Marine. Je ferme les yeux et prie de toutes mes forces pour que ces quelques centimètres suffisent pour nous sauver. Je ne peux contenir un gémissement lorsque l’une des piques en métal de la boule passe un peu trop près de mon ventre, me griffant légèrement la peau. Enfin, le bruit de raclement se fait de plus en plus lointain, la chose s’en va et continue sa route à travers le tunnel.
Avant que j’aie eu le temps de reprendre mon souffle, le mur derrière nous bascule et nous tombons à la renverse. Je me relève dans un nuage de poussière. Je secoue mes vêtements et regarde autour de moi. Nous nous trouvons dans une large pièce mal éclairée. Au dessus de nos têtes, le plafond semble s’étendre à l’infini. A ce qu’il me paraît être à des kilomètres au dessus de nous, j’apperçois une lueur verte, qui brille comme une étoile. La clé ?
Je regarde ma montre. 16.34. Le temps commence sérieusement à nous filer entre les doigts. Désespérée, je suis presque soulagée d’entendre la voix de la maitresse du Jeu.
« Chers aventuriers, vous êtes presque arrivés, je vous félicite. Mais le temps presse, vous devriez vous dépêcher. La clé que vous cherchez se trouve là haut, à exactment 666 mètres de vous. Pour l’atteindre, vous allez devoir utiliser toute votre habileté car la tâche n’est pas aisée. Bonne chance, et hâtez vous… »

Je tourne en rond, parcours la pièce à la recherche d’un je ne sais quoi pouvant nous aider.
« Réfléchis, réfléchis… »
Marine s’est recroquevillée au sol en pleurant doucement. Je n’ai pas le temps de m’en occuper, il faut que je trouve quelque chose, vite.
Astrid a déniché une poulie en fer plantée dans le mur, à une dizaine de mètres de hauteur. C’est déjà un début. Une corde maintenant, une corde, allez… Nous cherchons au milieu du bazar sans nom de la pièce. J’en trouve une un peu usée, au milieu d’un amas de… d’os ? Je préfère ne pas savoir…
Bon. Il faut la lancer à présent, allez…
Après plusieurs essais, je me rends compte du problème… impossible d’atteindre la poulie, du moins de cette manière là. Je suis sur le point d’abandonner lorsque Yashim arrive, tout sourire. Il tient un arc et des flèches dans sa main.
-Regardes ce que j’ai trouvé. Je faisais du tir à l’arc quand j’étais petit, laisses moi faire.
Ni une ni deux, il accroche la corde à la pointe d’une des flèches et vise. Je le sens assez nerveux, ses bras tremblent. Il ne faut pas, quelques centimètres à côté et tout est foutu.
-Prends ton temps, respire.
Je n’ose lui dire qu’il ne reste que dix minutes.
Yashim ferme un œil. La corde se tend. Il ne tire pas. Mais qu’est ce qu’il attend bordel ? Il tend la corde un peu plus. Allez, dépêche toi… Enfin, il lâche. La flèche part, suivie de la corde, passe à travers le haut de la poulie et redescend de l’autre côté.
Il a réussi ! J’ai envie de lui sauter dans les bras. Mais nous n’avons pas le temps pour ça, et puis, j’en connais une à qui ça ne plairait pas trop.
Je convainc Marine, qui est la plus légère, de se faire attacher à la corde.
-Les nœuds vont tenir, ne t’inquiète pas, dis-je sans trop y croire.
Nous nous plaçons de l’autre côté et à l’unisson, nous tirons sur la corde. Une fois, deux fois… ça marche ! Marine se soulève ! La corde me brule les mains mais je continue. A trois, nous arrivons à la faire monter jusqu’à un promontoire.
Mais dès qu’elle pose le pied sur la pierre, toute la pièce se met à trembler. De gros blocs de ciment sortent des murs à divers endroits, disparissent et réapparaissent ailleurs, au rythme de ce qui semble être une symphonie pour piano.
-Mon dieu, qu’est ce que j’ai fais ? Hurle t-elle.
Malgré la distance qui nous sépare, je remarque son visage terrorisé. Elle s’aggripe au mur pour ne pas lacher prise.
Astrid se tourne vers moi.
-Orianne, regarde, les blocs vont jusqu’en haut. Ca fait comme un gigantesque escalier.
Elle a raison. La voilà la solution !
-Marine ? Tu nous entends ? Il faut que tu sautes sur les blocs lorsqu’ils sont devant toi. Ils vont te permettre de monter jusqu’en haut et de récupérer la clé, tu comprends ?
-Je… je peux pas, j’ai trop peur, dit elle la voix tremblante.
-Marine, il faut que tu le fasse, c’est notre seule chance de sortir…
-Tu vas y arriver, ne t’inquiète pas !
-Allez Marine !
Face à tous ces encouragements, la jeune fille reprend courage. Elle s’avance jusqu’au bord du promontoire. Le bloc suivant est pour l’instant trop éloigné d’elle. Lorsqu’il n’est plus qu’à un mètre, je la vois souffler un grand coup, puis elle bondit. Ses pieds se détachent du sol, elle semble flotter un instant en l’air puis atteint le second bloc au moment où celui où elle se trouvait précédement disparaît.
-C’est bien Marine, continue comme ça !
Pendant que mes compagnons continuent de l’encourager, je regarde à nouveau ma montre. Plus que cinq minutes… Marine semble prendre conscience de l’urgence et saute de blocs en blocs à une vitesse impressionnante. Elle monte de plus en plus vite, comme si des ailes avaient poussé dans son dos. Mais plus d’une fois, j’ai retenu mes cris la voyant sur le point de basculer en arrière, imaginant la chute mortelle qui en résulterait.
4.17
Il ne lui reste qu’une centaine de mètres avant d’atteindre la lumière verte.
3.02
Plus qu’une cinquantaine… Dépêche toi, Marine, je t’en supplie…
1.00
Elle y est presque. Plus que deux blocs.
Marine saute, je la vois tendre les bras pour amortir son atterrissage. Mais au moment où son pied touche le rebord, elle glisse et tombe en arrière…
-NON !
J’ai alors l’impresion d’assister à la scène de l’extérieur. Marine, suspendue à un bras, essayant tant bien que mal de remonter sur le bloc, ses forces qui diminuent, le cri de désespoir d’Astrid, les conseils inutiles de Yashim…
Plus que trente secondes… Vingts… Quinze…
Lorsque enfin tout semble perdu, Marine, animé d’une rage et d’une force insoupçonnées, ramène son deuxième bras et se hisse avec un gémissement de douleur sur le bloc de pierre. Elle se remet debout et sans réfléchir, saute sur le promontoire suivant. Elle disparaît un instant de mon champ de vision puis réapparait, brandissant un petit objet translucide, entouré d’un halo vert. La clé !
Le soulagement est si grand que j’éclate de rire, bientôt imitée par mes amis. Notre rire, décalé par rapport à l’univers de destruction qui nous entoure, résonne dans l’air comme une musique de victoire.

Je me réveille dans le fauteuil de la salle circulaire, le sourire encore sur les lèvres. J’arrache les électrodes de mon crâne, j’aide Yashim, dont les blessures ont réapparu, à faire de même et nous nous regardons soulagés d’être sortis indemnes d’une nouvelle aventure.
Une porte s’ouvre sur l’obscurité dans le fond de la pièce.
La voix de la Maitresse du Jeu retenti pour la dernière fois, nous félicitant avec un ton amer. Mais je ne l’écoute pas. Personne ne l’écoute. Notre troupe, certes fragile et d’apparence pitoyable, a une fois de plus triomphé du Château. Entourée de mes amis, je passe la porte, adressant avec joie un doigt d’honneur à l’intention du Château qui, je suis sure, le verra.

Autrice : la p’tite moustache, sous le pseudo « la p’tite moustache »

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