Tout au bout du bord de l’extrême, derrière les dernières montagnes du Monde, s’élève le Château des 100 000 pièces Les murailles, et les tours et les étages de ce palais s’élèvent, à ce qu’il vous paraît, bien au-delà des nuages, au-dessus des cimes.
LA PIÈCE EXOTIQUE
LA PIÈCE EXOTIQUE

LA PIÈCE EXOTIQUE

Ce que nous avions pris pour un rideau de pluie était n’était pas seulement fait de pluie. En fait, c’était juste un rideau d’eau. Je la touchais du bout des doigts.
– Ce n’est pas froid, informais-je mes compagnons. C’est même plutôt chaud.
Alors, prenant mon courage à deux mains, je traversai l’eau. Pendant une seconde, son poids s’abattit sur mes épaules, si lourd que je faillis perdre l’équilibre. Mais le spectacle qui m’attendait me le fit immédiatement oublier. Je sortai d’une cascade, et devant moi s’étirait un lac (d’un peu près 3 ou 4 fois la taille de ma piscine) à l’eau si transparente et si fournie en poissons qu’il pouvait bien rivaliser avec ceux des plus belles îles au monde. Juste derrière des arbres immenses se trouvaient quelques goyaves, fruits de la passion et autres, et enfin, quelques nids d’oiseaux que je supposais très colorés.
Un craquement sous mes pieds me rappela que si je n’étais pas encore tombée dans l’eau, c’est qu’un fin palier de roche nous soutenait à une vingtaine de mètres de hauteur du lac. Il provenait du mur de derrière la cascade qui semblait marquer les limites de cet endroit paradisiaque, formant un cercle de pierre, d’un peu près un 1 km de diamètre. En dernier, Yashim venait d’entrer, et je remarquai que le palier commençait à plier sous notre poids.
– Les gens… commençais-je en bredouillant. Je…
– Oui, je sais, c’est magnifique, me coupa Orianne.
– Non… Le…
Je n’eus pas le temps de finir, que nous nous retrouvions en chute libre, accompagnés de nos hurlements.
Le plat qui s’en suivit me fit devenir plus rouge qu’après n’importe lequel des coups de soleil. Vivement, je remontai à la surface avaler enfin une bonne goulée d’air.
– Tout le monde va bien ?
– Oui, mais j’ai mal au dos, geignit Marine, qui venait tout juste de remonter à la surface.
– Idem, compléta Yashim.
Je sentis soudain quelque chose m’attraper par la jambe, et, enfin, Orianne émergea de l’eau. Elle était rouge et semblait quelque peu affolée.
– Ça va ? Finis-je par lui demander.
Elle avala sa salive.
– Oui, oui, j’ai juste eu un petit moment de stress.
Puis, à la nage, évitant les plus gros poissons, nous regagnâmes la rive. La terre était chaude, Et dénuée d’herbe, mais toutefois, quelques mauvaises herbes la parsemaient par-ci par-là. Je me laissai tomber, épuisée. Marine entreprit de s’essorer les cheveux, Yashim son Tee-shirt et Orianne vint s’assoir à coté de moi.
– Tu as de la terre plein les cheveux, me prévient-elle.
– M’en fous.
Elle sourit discrètement et posa son sac à dos, avant d’en sortir un couteau suisse. Je ne l’avais jamais vu auparavant, mais je ne lui fis pas remarquer, et elle commença à couper en morceau les mauvaises herbes. Je fermai les yeux, me concentrant sur le soleil qui tapait sur mon visage.
Yashim, ayant finit d’essorer son vêtement, nous rejoignit.
– Qu’est-ce que tu fais ? demanda-t-il à Orianne.
– Rien. Je m’occupe.
Alors j’eus l’impression que nous formions une équipe soudée. Soudée contre la sournoiserie du Château. De simples questions, banales. De simples réponses, toutes aussi banales. Je venais de me rendre compte de notre complicité.
Une main me prit par l’épaule et me secoua.
– Astrid, tu me refais ma tresse ??
– Oui Mariiine…
Péniblement, je me levai et frottai la terre de mes vêtements. Face à moi, Marine s’était déjà assise en tailleur, prête à se faire coiffer. Ses cheveux noirs étaient tout emmêlés. Je commençais à les tresser, et le geste fit resurgir une avalanche de souvenirs. Juste avant d’aller en cours, pour les fêtes…
La tresse était finie. J’attrapai l’élastique et le nouai.
– Bon. On fait quoi maintenant ?
L’idée de ne rien faire m’était devenue si inhabituelle qu’elle m’insupportait. Comme je n’obtenais aucune réponse, j’entrepris de faire un inventaire de mon sac-à-dos.
« Deux gourdes, une vide, une remplie, ma boîte bleue, mon intégrale d’Harry Potter… »
J’hésitais. Et si j’allais y faire un tour ? Non, je ne pouvais pas me permettre de partir aussi longtemps…
« …Une deuxième tenue, un sac plastique, quelques gâteau secs, une lampe de poche et… »
Je tâtais ma ceinture.
« …Mon épée est sur moi. Bien. Tout est là. »
Je me levais.
– Bon. Je vais me baigner.
-J e t’accompagne, répondirent en cœur Orianne et Marine.
L’eau était juste comme il fallait, pas trop chaude, mais on pouvait s’y mettre sans prendre trois heures. Les poissons me fascinaient. Une fois que l’eau m’arrivait jusqu’au cou, je baissai la tête sous l’eau, de façon à mieux les observer. Je nageais un peu, mais à peine avais-je sorti la tête de l’eau que j’en reçu un grand jet.
– Mariine !… hurlais-je, furibonde. Tu m’en as mis plein les yeux !
J’entendis ma sœur pouffer.
– Ouups… Excuse-moi grande sœur chérie…
Je sentais qu’elle voulait s’amuser, et je n’avais pas le cœur à la contrarier.
– Tu l’auras cherché ! VENGEAAANCE !!!!
Je lui mis de l’eau plein la figure. Le rire qu’elle eut alors me mit du baume au cœur. Elle fit une grimace et déclara :
– Tu veux la guerre ? Tu l’auras…
J’eus alors regretté de m’être vengée, mais au bout de longues minutes, nous sortions de l’eau pour nous sécher au soleil.
– Il faudrait trouver la sortie de cet endroit, commença Orianne. Et j’ai comme l’impression que ça ne va pas être simple.
En effet, la forêt était si dense que si la sortie s’y trouvait, ce ne serait pas facile.
La chaleur était insupportable.
Soudain, une lueur provenant d’entre les arbres attira mon attention.
– Ou pas… Je crois que j’ai vu quelque chose…
J’empoignai mon épée, enfilai mes chaussures, et me dirigeai en direction de la lumière.
– Attends-moi ! s’exclama Yashim. Je veux voir ça.
« Non pas lui… me surpris-je à penser. » C’était vrai, ça ! N’étais-pas censé être folle de lui ? Pourtant, maintenant, j’éprouvais même une sorte de rancœur envers lui. D’où venait-elle ?Je n’en savais strictement rien.
– Tu es sûr? lui demandai-je avec une petite moue.
– Oui, affirma-t-il.
Je poussai un léger soupir et commençai mon escapade.
Avec mon épée, je coupais les branches trop grosses ou autres éléments qui freinaient notre marche. La chaleur se faisait de plus en plus insupportable. Je me rendis compte que je suais à grosses gouttes.
– Tu n’as pas l’impression qu’il fait de plus en plus chaud ? m’étonnais-je à Yashim.
– Si. C’était ce que j’étais en train de penser.
Le silence était pesant.
– Où va-t-on exactement? finit par demander Yashim.
– Vers là, répondis-je en brassant l’air un peu vaguement. En fait je ne sais pas trop… J’ai aperçu une lumière, et je pense qu’elle pourrait avoir un lien avec la sortie.
Il fit une moue dubitative. Je m’énervai :
– Si tu t’ennuies déjà, tu n’avais qu’à pas venir, lui rétorquai-je un peu sèchement.
Il s’empourpra jusqu’aux oreilles. Il ouvrit la bouche, paraissant chercher ses mots, puis, se rendant compte qu’il ne les trouvait pas, la referma. Je lui tournai le dos sans lui jeter un regard et continuai.
Les arbres étaient de plus en plus denses. J’essuyais la sueur de mon front.
– Bon, tu m’aides ou tu restes planté là ? apostrophai-je Yashim, qui se traînait de plus en plus.
Je savais que j’étais trop froide avec Yashim. Cependant, comme ce à quoi je songeais tout-à-l’heure, je ne comprenais plus vraiment ce que je ressentais pour lui. Visiblement, il ne m’aimait pas, et je me fatiguais à toujours le dévisager de la même manière. Je crois que je ne voulais plus, pouvais plus, me permettre, dans le cadre du château, des futilités telles que l’amour.
« Astrid, me repris-je. L’amour et l’amitié sont les sentiments qui peuvent à eux seuls vous redonner une lueur d’espoir. Ce sont les sentiments qui font de toi un être humain… Ce sont vos atouts face au château ! »
Un claquement de doigts me ramena à la réalité.
– Et oh ? Astrid, je suis là…
Yashim m’avait enfin rejoint.
– Excuse-moi, fis-je en me radoucissant. J’ai eu un petit moment d’absence. Allons voir ce qu’il y a là-bas, dis-je en pointant du doigt une petite clairière.
Yashim passa devant moi, et pénétra dans la clairière en question.
– Ce n’était pas de la lumière… C’était le reflet du soleil… murmura-t-il.
Au centre de la clairière, posé contre une pierre, un miroir. Dans toute sa splendeur, il se dressait, son encadrement doré luisant au soleil. Je m’avançai vers l’objet, pensant y voir mon reflet. Pendant quelques secondes, je pus m’observer, jusqu’à ce que mon reflet se floute, me laissant observer un tout autre endroit. Intriguée, je tendis ma main vers le miroir. Yashim me la happa au passage.
– Ne le touche pas. Ça doit cacher quelque chose, me dit-il d’un air suspicieux.
– C’est la sortie Yashim ! J’en suis sûre !
– Astrid, soupira-t-il, comment veux-tu qu’on passe au travers d’un miroir ?
Je dégageai vivement ma main de la sienne et l’avançai de nouveau vers le miroir.
– Laisses-moi essayer… S’il te plaît…
Et à la grande surprise de Yashim, au moment où ma main toucha la surface du miroir, elle disparut, avant de réapparaître dans la pièce suivante, de l’autre côté du miroir.
Je lui lançai un regard triomphant.
– Tu vois ?
– Alors on part maintenant ? demanda-t-il d’un air déçu.
– Non ! Déjà il faut prévenir les autre qu’on a trouvé la sortie, et puis, cette pièce n’est pas dérangeante, je suppose qu’on pourrait y rester.
Enfin, pas dérangeante… La température me semblait être en constante hausse.
– Ouais… On retourne avec Marine et Orianne.
Quelques minutes de marche plus tard, ayant cueilli quelques fruits au passage, nous revoilà avec elles.
– On a trouvé la sortie, expliqua immédiatement Yashim. Il faut passer au travers d’une sorte de miroir étrange.
– Un miroir ? s’étonna Marine. Ça me fait penser à Alice …
– Le château doit aimer la littérature, lui dis-je en plaisantant.
Elle rit discrètement avant de déclarer :
– Orianne et moi avons l’impression qu’il fait de plus en plus chaud…
– C’est ce que je me disais aussi… fit Yashim d’un air suspicieux.
– Et c’est ce à quoi je réfléchissais également, continuais-je.
Il nous suffit d’un regard pour comprendre.
– Le château est vraiment machiavélique…cracha Yashim.
– Tu penses qu’il nous donnerait de faux espoirs pour mieux nous faire cuire ?
– Une seconde Marine, ce n’est qu’une supposition, répondit Orianne, toujours prudente. Il faudrait attendre un peu, voir ce qui se passe. Le miroir n’est pas très loin, de toute manière, si ?
– Non, en quelques minutes nous y sommes.
Nous restions quelques secondes debout, dans un silence – pour une raison que j’ignore – quelque peu gêné. Marine finit par se décider à retourner se tremper les pieds dans l’eau.
Elle resta immobile.
– Marine? tout va bien?
– L’eau… L’eau… Elle descend… Elle descend de plus en plus vite…
– Mais qu’est ce que tu racontes ?
Je vins à ses côtés.
– Regarde… Regarde la marque du niveau initial de l’eau…
En effet, l’eau était une vingtaine de centimètre en dessous de son niveau initial..
– Et même… Regarde…
Elle mit son pied dans l’eau. Cinq secondes plus tard, l’eau avait considérablement descendu. Je fis également l’expérience. Plus le temps passait, plus le niveau descendait.
Et plus il faisait chaud.
– Je crois qu’il va falloir y aller…
J’attrapai mon sac au vol et me dirigeai déjà vers le miroir. Sans que je sache pourquoi, une voix me poussait à retourner le plus vite possible au miroir et me soufflait de nous échapper dès que possible.
Je me retournai pour vérifier que tout le monde suivait.
– Yashim…Je crois que je suis perdue, bredouillais-je gênée. Tu te souviens par où il faut passer?
Yashim arriva à mes cotés.
– Eh bien… Je dois t’avouer que je ne sais plus trop… Mais il me semble que c’était à droite.
Je le suivais, confiante. Quels idiots avons nous fait ! Tout ce chemin sans même prendre le temps de regarder par où passer ! Yashim s’arrêta net.
– Non… Ce n’est pas ici… Réessayons de l’autre côté…
Nous rebroussions chemin.
– Non… Ce n’est pas là non plus… marmonna Yashim. Astrid tu te souviens vraiment plus ?
– Désolée…
De plus la température augmentait toujours.
– Astrid, je me sens pas très bien, fit Marine en me tirant la manche.
– Ce n’est rien… Prends un peu d’eau…
Cependant j’avais vu le regard inquiet d’Orianne. Cette histoire ne me plaisait pas.
– Vraiment, je ne sais plus… intervint une nouvelle fois Yashim.
– Vous n’avez pas dû bien voir, retournons à droite, suggéra Orianne.
A droite, rien de plus que la première fois, jusqu’à ce que nous nous heurtâmes à la paroi de pierre.
– On ne pourrait pas l’escalader, à tout hasard ?
– Non. C’est bien trop lisse.
– Si, fit Marine d’une toute petite voix. Là, il y a une petite imperfection. Peut-être que je pourrais l’atteindre si quelqu’un me fait la courte échelle, pour voir la vallée de plus haut.
Sitôt dit, sitôt fait, et Marine se retrouvait perchée sur les épaules de Yashim, à tendre les bras vers la roche.
– Je l’ai ! s’exclama-t-elle, toujours de sa voix fatiguée. Il me reste plus qu’à me hisser…
Tendant sur ses bras frêles, elle réussit à monter.
– Alors ? Tu vois quelque chose ?
– En tout cas, il n’y a rien pour monter plus haut. Quand à la vallée… sa voix dérailla.
– Ça va Marine ?
– Oui, oui, c’est rien. J’ai juste la gorge un peu sèche. Quand à la vallée.. continua-t-elle en scrutant le paysage, les main en visière au dessus de son front. Là ! Là je vois quelque chose ! Comme un reflet !
Comme à cause de l’émotion, elle fut prise d’une violente quinte de toux, et se plia en deux, toujours plus blême.
– Marine!
Yashim se précipita pour la récupérer et la posa délicatement sur le sol, à l’ombre. Je lui tendis la gourde d’eau et lui en aspergeais le visage.
– Ne gaspille pas l’eau !s’étouffa Yashim.
– Je ne la gaspille pas ! Elle en a besoin !
– Tu peux te lever ? demanda Orianne .
– Ca devrait aller, répondit-elle d’une voix tremblotante de fatigue.
Elle s’appuya sur mon épaule pour se lever, ses jambes jouant des castagnettes.
– C’est par là… finit-elle par dire en pointant son doigt vers la gauche.
La chaleur étant toujours plus insupportable, si bien que nous progressions à une vitesse relativement lente, dans la direction que nous indiquait Marine, celle-ci progressant en se tenant à mon épaule.
Doucement mais sûrement, nous finîmes par arriver au miroir tant attendu. Son cadre me paraissait encore plus doré que dans mes souvenirs.
– C’est là…souflais-je. On va pouvoir partir d’ici…
Nous avançâmes dans la clairière, jusqu’à ce que ma main touche la surface du miroir. Comme la dernière fois, elle s’enfonça sous la surface du miroir.
– Je passe en premier, avertit Yashim en enfonçant son bras dans le miroir.
Il passa son bras jusqu’à l’épaule, puis il y mit sa jambe.
– J’ai l’impression de plus avoir de bras… Ni de jambe… murmura-t-il. C’est normal, Astrid ?
– Je pense…
Mais à peine avais-je fini ma phrase que Yashim se faisait aspirer par le miroir.
Je déglutis difficilement.
– A qui le tour?
– On peut y aller ensemble? me demanda Marine, toujours blême. Je ne suis pas rassurée…
– Ok. Orianne, ça ne te gêne pas de passer en dernière ?
– Non, ne t’inquiète pas.
J’acquiesçai avant de commencer à m’engouffrer dans le miroir en tenant la main de Marine. En effet, en mettant mon bras dans le miroir, je compris ce que disais Yashim. Mon bras me parut glacé, avant qu’il ne me paraisse inexistant.
Un frisson me parcourut l’échine.
– Prête? demandais-je à Marine.
– Prête.
Et nous partîmes pour de bon.

Autrice : Cléclé, sous le pseudo « Cléclé dite la pianiste un peu folle »

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