Nous avançons dans la pénombre. Je ne vois rien aux alentours, la pièce est plongée dans le noir.
-Vous êtes là ? Je demande d’une voix tremblante.
Les voix rassurantes de mes amis me répondent ; je ne suis pas seule. Ils sont avec moi.
-Quelqu’un y voit quelque chose ?
C’est Astrid.
-Attends deux secondes.
Je tâtonne dans le noir à la recherche du briquet dans la poche de ma veste. Lorsque que je le trouve enfin, la légère flamme qui scintille dans l’obscurité me permet de voir le visage de mes compagnons regroupés autour de moi, leurs visages inquiets éclairés par la lumière chaude.
-On fait quoi maintenant ? Demande Yashim.
-Une idée ? Quelqu’un ?
-Chut ! Souffle Astrid. Vous avez entendu ?
Nous nous taisons et retenons notre souffle. Pas un bruit autour de nous.
-Non j’entends r…
-Mais taisez vous à la fin ! S’énerve t-elle.
Cette fois si, je perçois comme une légère vibration dans l’air. Un son presque imperceptible mais il y a bien quelque chose. Ou quelqu’un. Cette pensée ne me rassure guère.
Soudain, un éclair argenté traverse l’obscurité. Puis un deuxième, et puis un troisième. Ils tournoient quelques instants, volent au dessus de nos têtes comme des étoiles filantes.
-Woah… Vous avez vu ? Souffle Marine.
-Bah oui, impossible de le rater, grince Astrid.
Nous sommes maintenant entouré d’une dizaine de ces voiles scintillants qui font leur ballet aérien dans toute la pièce. L’un d’entre eux s’approche à quelques mètres de moi. Il dégage une douce chaleur et je remarque qu’au lieu d’être gris perle, il est en fait composé de milliers de minuscules points multicolores. Parfois, il semble représenter une image ou une silhouette.
J’avance d’un pas et tend la main vers lui. Aussitôt, je suis assaillie d’émotions venant de nulle part et de partout à la fois. La joie, la tristesse, l’amour et la colère se mélangent et se bousculent dans ma tête et il me semble entendre un rire enfantin presque étouffé s’échapper faiblement de cette forme mouvante comme s’il y était resté depuis très longtemps.
La voix de Marine me ramène à la réalité.
-Ce sont… des esprits ? Me demande t-elle
-Non, des souvenirs, je murmure. Prisonniers de cette pièce depuis des années.
J’ignore comment je le sais mais je n’ai aucun doute là dessus.
-Qui a pu les laisser là ?
-Des gens comme nous, je suppose. Je sais pas. Peut être le Château lui même.
-Mais pourquoi ?
-C’est peut être le prix à payer pour sortir…
En tâchant de rester groupés, nous avançons à tâtons dans la pénombre. D’un commun accord, nous avons décidé de suivre les souvenirs qui semblent se diriger tous dans la même direction. Nous arrivons enfin devant une petite table, éclairée d’une lumière bleue. Sur cette table, repose une grande bassine contenant un liquide brillant ainsi qu’un sachet de pastilles rouges.
-A quoi ça rime tout ça ?
Je me penche au dessus de la bassine. Quelques filaments gris flottent à la surface.
Soudain, en quelques secondes, tous les souvenirs qui nous entouraient plongent dans la bassine et disparaissent sans une éclaboussure.
-Aucune idée.
Astrid pioche une pastille rouge au hasard et l’examine attentivement.
-Eh, il y a quelque chose d’écrit dessus ! Memoriae… En latin ça veut dire…
-Souvenir… je complète.
Pas besoin d’en dire plus. Chacun d’entre nous a compris. Nous devons tous les quatre livrer un de nos souvenirs dans cette bassine pour pouvoir sortir de cette pièce. C’est évident. Et les pastilles sont là pour nous aider. Le principe est simple mais je n’ai guère envie de commencer. Et les autres non plus. Tous les regards se tournent automatiquement vers Yashim avec espoir.
-Ça va j’ai compris, bougonne t-il.
Il s’avance, et sans hésiter, avale une pastille rouge. Aussitôt, son regard devient vide et il se raidit. Je le secoue par l’épaule. Il ne bouge pas et demeure impassible. Il ne semble pas nous entendre ni être avec nous.
-Yashim ? Hého, ça va ?
Pas de réponse. Ses pupilles deviennent blanches et un filament de la même couleur s’en échappe, d’une consistance semblable à de la fumée.. Le souvenir flotte un instant sous notre nez puis plonge dans la bassine.
Quelques instants plus tard, Yashim revient à la réalité mais l’air profondément secoué. Des larmes perlent aux coins de ses yeux et il baisse la tête.
Astrid s’approche, angoissée.
-Que s’est il passé ? Demande t-elle
Yashim répond d’une voix tremblante :
-Je.. j’ai revu le jour où ma grand mère est… partie. On était tous les deux sur la colline devant chez elle, on parlait de fleurs et de la tarte aux pommes qu’elle allait faire dans l’après midi. Et puis soudain, elle a fermé les yeux et s’est arrêtée de parler. Son cœur s’est arrêté. Comme ça, d’un coup. Je n’avais que neuf ans à l’époque et je ne savais pas quoi faire… Si j’avais appelé les secours, peut être que…
-Non, ça n’aurais rien changé Yashim, je t’assure, dit Astrid d’une voix douce. C’était… inévitable.
Le garçon se laisse tomber à terre.
-La scène semblait si réelle… C’était comme si je redevenais un petit garçon le temps de quelques minutes… Et elle, elle était exactement comme le jour où elle est morte… Tout était déconnecté du réel. Je revivais la scène sans savoir que je la revivais ni ce qui allait se passer, c’est ça qui était le plus horrible…
Sa voix se brise. Astrid s’agenouille à côté de lui et lui prend la main. Ils restent silencieux quelques minutes.
Je me place à côté de la bassine. Marine hausse les sourcils avec un air qui signifie « Tu es prête à le faire ? » Je hoche la tête. Oui. De toute façon il le faut.
J’attrape une pastille mais avant de la mettre dans ma bouche, une pensée me traverse l’esprit. Et si je pouvais choisir le souvenir que je livrerai au Château afin de ne pas lui en montrer un trop intime ou qui pourrait mettre en danger ma famille ? Si je focalise mon attention sur un seul précisément, peut être que je ne ferais pas la même erreur que Yashim qui a été totalement prit de court… Mais lequel livrer au Château ? Pas un où l’on verrait ma famille ou ma vie d’avant… Déjà ce serait trop douloureux et ensuite je ne souhaite pas donner d’informations sur ma vie privée au château… Dieu sait ce qu’il en ferait ! Alors lequel ?
« Ton voyage jusqu’au Château » me souffle ma petite voix.
Pourquoi pas ? Sur le coup, il m’avait semblé horrible mais en comparaison avec tout ce que j’ai vécut ici…
Je prend une grande inspiration et avec appréciation, croque dans la pastille. Je me répète mentalement les quelques mots qui m’aideront peut être à revivre ce souvenir puis soudain, le paysage qui m’entoure disparaît, ma vue se floute et je me sens comme chuter dans un trou sans fin.
Je me réveille dans ma chambre, enroulée sous la couette, les volets baissés. J’éteins machinalement mon réveil pour mettre fin à la sonnerie stridente et descends prendre mon petit déjeuné, encore ensommeillée. Une fois mon sac prêt, je prends mon manteau et claque une bise à mes parents en passant la porte d’entrée. J ‘entends à peine leur habituel refrain :
« Passe une bonne journée ma chérie, travaille bien »
Je monte dans le bus et m’assois à ma place habituelle. Je mets mes écouteurs et enfonce ma capuche sur la tête, priant pour ne croiser personne de mon entourage. Car aujourd’hui, je ne descends pas à l’arrêt du lycée. Non, aujourd’hui j’irai tout au bout de la ligne, puis prendrai le train qui m’emmènera jusqu’au port où je monterai dans un bateau pour traverser l’Océan des Tempêtes. Une fois de l’autre côté, j’aviserai. Je serai en Terre Inconnue, où rien n’est semblable à ce que j’ai pu connaître. J’ai lu pleins de livres là-dessus. Je me suis documentée avant de commencer mon voyage vers le Château des Cent Mille Pièces. Tout se passera comme prévu.
« Je maintiens que tu prends quand même beaucoup de risques » me fait remarquer ma petite voix.
Je fais mine de ne pas l’entendre. Elle est toujours inquiète pour un rien, en plus d’être égocentrique et rabat-joie. Pas étonnant qu’elle ne soit pas enthousiasme à l’idée que je laisse tout derrière moi pour partir à l’aventure. Moi-même ce matin, j’étais à deux doigts d’abandonner mon plan que j’avais préparé depuis si longtemps… C’est toujours douloureux de se séparer de sa famille, surtout quand on ne sait pas pour combien de temps. Surtout quand ils ne savent pas que nous sommes partis. J’essaie de ne pas imaginer leur inquiétude lorsqu’ils rentreront du travail ce soir et verront que leur fille chérie n’est pas là. Je leur aie laissé un mot. Pas sûr qu’ils comprennent mon envie d’aventures, de mystères, de tout sauf d’une vie à 100% banale…
Le bus s’arrête au lycée. Je regarde mes amis descendre, passer devant moi sans me reconnaître avec un petit pincement au cœur. Ils ne remarquent pas encore mon absence. Ils doivent penser que je suis en retard, comme presque tous les matins.
Le bus redémarre et poursuit sa route. Les passagers descendent au fur et à mesure et je finis pas être seule. Le chauffeur me jette quelques regards soupçonneux mais ne me pose aucune question.
Nous arrivons à la gare. Devant le panneau des horaires, j’ai un moment d’hésitation. Mais je finis par monter dans le train. Je regarde le paysage défiler à toute vitesse, les lieux ayant marqué mon enfance disparaître au loin, remplacés par des contrées inconnues. Je ne peux m’empêcher d’avoir des remords. Ma famille… Ils seront si inquiets…
Puis le bateau. Là, je suis vraiment la seule à traverser l’Océan des Tempêtes si bien que le capitaine hésite à partir.
-Le Château des Cent Mille Pièces, hein ? me demande-t-il avant d’embarquer.
Je hoche la tête. La crainte que je lis dans ses yeux manque de me faire renoncer. Mais non ! Pas question de flancher, pas maintenant !
Agrippée à la rambarde, je tourne le dos à la côte qui s’éloigne, de manière à voir en premier L’Ancienne Forêt, le gouffre des Abysses et, qui sait, peut-être le Château.
L’océan des Tempêtes porte bien son nom. Plusieurs fois, une vague gigantesque manque de m’arracher du pont, me mouillant de la tête aux pieds.
Le bateau me dépose sur un vieux ponton délabré, dégoulinante et tremblante de froid, et s’en va aussi vite qu’il est venu, après que le capitaine m’ait souhaité un rapide « Bonne chance ».
« C’est là que les choses se compliquent » observe ma petite voix.
Et pour une fois, je suis d’accord avec elle. Je regarde autour de moi avec appréhension. Des nuages menaçants cachent le soleil de midi et rendent l’atmosphère lourde. Très lourde. Et l’Ancienne Forêt qui se dresse dans la pénombre n’est guère rassurante… Je m’y engage avec prudence, regrettant mon empressement de me trouver là. Mais à ce stade, aucun retour en arrière n’est possible.
La traversée de ce bois semble durer des heures. Chaque recoin de la forêt se ressemble, il m’est impossible de savoir si j’avance dans la bonne direction ou si je tourne en rond. Je commence à désespérer lorsque j’aperçois une lueur qui perce à travers les arbres. Le soleil ! Je suis sortie, enfin !
Je marche d’un pas décidé sur ce nouveau sentier, la chaleur, la bonne odeur imprégnant l’atmosphère et la perspective d’être sortie de cette forêt flippante m’ayant mise de bonne humeur. A vrai dire, je suis si soulagée que j’ai maintenant l’impression qu’il ne peut plus rien m’arriver.
« Grave erreur, me souffle ma petite voix. Souviens-toi de tout ce que tu as lu sur ce joli sentier qui trompe les voyageurs. Ils s’y sentent tellement en sécurité qu’ils en oublient toute prudence, s’écartent du chemin, attirés par le chant de l’Hermine-Escargot, se perdent et sont contraints d’errer jusqu’à la fin des temps, sans avoir eu l’occasion de voir ne serait-ce que l’ombre du Château des Cent Mille Pièce… »
Vous avais-je déjà dit que ma petite voix avait quelques dons pour raconter les histoires ? Elle est très mélodramatique et ne manque jamais une occasion de dramatiser chaque situation…
Mais il faut avouer qu’au bout de trois jours de marche, ce petit sentier perd de son charme. Les Terres Noires n’en finissent pas. Je commence à avoir mal aux pieds et à en avoir marre de dormir à même le sol, réveillée aux aurores à cause du soleil…
« Parce que tu penses que se sera plus confortable au Château ? » ironise ma petite voix.
Mais enfin, les Milles Collines sont derrière moi. Je me trouve devant la Cascade Géante et savoure quelques instants un repos bien mérité avant de m’attaquer à la partie la plus périlleuse de mon périple : la montée jusqu’au sommet de la Montagne Unique, jusqu’au Deuxième Plus Haut Point Du Monde. Rien qu’à cette pensée, je me sens découragée. C’est presque impossible ! Cela va me prendre des mois, peut-être même plus ! A cette pensée, les larmes me viennent. Des larmes de rage et de désespoir. Je suis épuisée, j’ai marché plusieurs jours, je suis affamée, je me trouve devant un obstacle infranchissable et je ne peux pas retourner en arrière… Je regrette déjà d’être partie et j’en aie honte. Je suis incapable de faire les choses par moi-même, d’aller jusqu’au bout de mes projets. Je ne suis qu’une gamine avec des rêves débiles et qui veut rentrer chez elle.
Mais ce n’est pas comme si j’avais le choix. Alors, prenant mon mal en patience, je commence à gravir péniblement la pente, ne me concentrant uniquement sur le fait de mettre un pied devant l’autre et oubliant ce sommet inaccessible. La nuit commence à tomber. J’aurais dû prévoir des vêtements plus chauds ainsi qu’une plus grande quantité de provisions. Je ne serais pas si mal en point. Je m’endors comme une masse, me réfugiant dans les rêves pour échapper à la réalité.
A mon réveil, je ne peux contenir ma surprise en voyant un aigle immense posé à quelques mètres de moi, me regardant avec sévérité. Je suis encore plus stupéfaite lorsqu’il prend la parole :
-Tu es courageuse de t’aventurer seule dans cette montagne, me dit-il d’une voix douce. Mais tu es épuisée. Tu ne tiendras pas encore longtemps à ce rythme. C’est pourquoi je te propose un marché. Promets-moi qu’une fois devant la porte du Château, tu ne renonceras pas à entrer et je t’y conduirai.
Avais-je une autre issue ? Malheureusement, non. Alors j’ai accepté, scellant à ce moment précis mon destin. Je monte sur son dos et m’accroche à ses plumes, redoutant ce qui allait arriver. Lorsqu’il s’envole d’un battement d’ailes, je ne peux m’empêcher de pousser un cri. Je me trouve bientôt à une dizaine de mètres du sol, puis une à vingtaine, puis une à cinquantaine…
Le vent me cingle le visage tellement l’aigle vole vite. A cette hauteur, la vue est incroyable. La Montagne Unique parait soudain bien petite et les nuages au Deuxième Plus Haut Point Du Monde bien bas. Nous survolons une vaste étendue de ruines et le Château apparaît enfin.
« Magnifique » est le seul mot pouvant le décrire. Ses hautes tours sombres semblent presque toucher le ciel, sa façade est illuminée par Mille flambeaux décorant le mur… Je suis devant le Château des Cent Mille Pièces dans toute sa splendeur.
L’aigle me dépose devant la porte, sur le pont levis. Le Château projette sur moi son ombre imposante et je le trouve soudain moins chaleureux. Mais l’oiseau est resté derrière moi, veillant à ce que j’accomplisse ma promesse. Son bec tranchant et ses griffes énormes m’ôtent l’envie de désobéir. Une expression carnassière semble traverser un instant son visage et je sens que ses yeux perçants ne me lâchent pas. Je suis piégée.
Alors, ne voulant pas mourir déchiquetée, j’ai fait la chose la plus stupide de toute ma vie. J’ai poussé la porte et ait pénétré dans le Château.
Au moment où je franchis le seuil, les mots de ma mère lorsque je l’avais interrogée sur le Château me reviennent en mémoire. « Le Château des Cent Mille Pièces ? Certains disent que c’est une légende… Toujours est-il que ceux qui ont été assez stupides pour y aller ne sont jamais revenus. Alors je ne sais pas ce qu’il y a là-bas mais ça ne me dit rien de bon… »
La porte se referme derrière moi avec violence mais j’ai le temps d’entendre un rire froid résonner avant d’être plongée dans le noir. Un rire à vous pétrifier de peur.
J’étais prise de panique. Je voulais revenir en arrière. Mais c’était trop tard. J’étais entre les griffes du Château.
Soudain, la luminosité se fait telle que je suis obligée de fermer les yeux. Comme attirée par un aimant, je suis plaquée contre le sol et lorsque j’ouvre les yeux, je suis allongée sur le carrelage froid, le cœur battant la chamade. Notre situation, le Château, la pièce aux souvenirs… Tout me revient en mémoire en quelques secondes… Livide, je me redresse avec difficulté, tremblant de tous mes membres. Je dégage les cheveux qui me tombaient sur le visage et m’appuie contre la table, le souffle saccadé.
Je sens une main réconfortante se poser sur mon épaule : Marine.
-Ça va ? Me demande t-elle. Qu’est ce que tu as vu ?
Encore sous le choc de ce qui vient de se passer, je met un certain temps à répondre. Lorsque je lui dis brièvement ce que j’ai vu, elle hoche la tête :
-C’est sûr, ça ne devait pas être très joyeux à revivre… Un peu d’eau ?
Elle me tend une bouteille. Je bois à grandes gorgées et retrouve peu à peu mes forces.
-Merci.
La jeune fille se tourne alors vers la table en soupirant.
-Bon, je suppose que c’est à moi d’y aller. Astrid en a encore pour longtemps avec Yashim…
Je jette un coup d’œil de leur côté. Côte à côte, ils semblent en grande conversation. Je reste à part pour ne pas les déranger, sinon je suis prête à parier qu’Astrid m’en voudrait pour le restant de ses jours…
Marine avale une pastille et le processus que j’ai pu observer chez Yashim se répète à l’identique. Le regard vide, les yeux qui deviennent blancs, le filament argenté, le court moment d’absence.
A ma grande surprise, lorsque Marine revient parmi nous, elle semble presque plus joyeuse qu’avant.
-J’ai revu la fête d’anniversaire de mes onze ans, m’annonce t-elle les yeux brillants. C’est fou ! C’était si réel, je ne me rendais pas compte de ce qui se passait ! Vraiment incroyable.
Enfin, tout le monde se tourne vers Astrid. Il ne manque plus qu’elle. Sans un mot, elle se lève et se dirige vers la table. Elle attrape une pastille et s’apprête à la manger mais je la retient par le bras.
-Attends… Tu peux choisir le souvenir que tu veux revivre, tu sais ? Tu dois juste y penser très fort.
Elle acquiesce et sans un regard, avale la dragée.
J’ai l’impression que son moment d’absence dure plus longtemps que celui de chacun d’entre nous.
Lorsque elle revient, elle nous lance sans plus d’explications :
-Quand nous avons sauté pour sortir de la pièce aux proportions inversées, Romain se trouvait entre moi et Orianne. Dans le tunnel, nous nous sommes tous lâchés mais Romain a été attiré vers le haut. Une autre ouverture s’est formée spécialement pour lui et s’est refermée après son passage. J’y ait fait attention en revivant la scène.
Elle frappe la table du pied.
-J’ai essayé de l’empêcher de partir, mais on ne peut pas changer ce qui s’est déjà passé ! On nous a tendu un piège, Romain a été aspiré dans ce trou et je n’ai rien pu faire !
Je réfléchis quelques instants.
-Tu disais que l’on nous avait tendu un piège… Mais si celui qui a fait ça avait en fait de bonnes intentions ? Il savait peut être que nous allions tomber sur les soldats qui recherchaient Romain dans la pièce précédente…
-Mais qui a bien pu faire une chose pareille ?
Astrid répond sans hésiter :
-La magicienne. Je suis prête à parier que c’est elle. Elle avait l’air d’en savoir long sur Romain quand elle m’a révélé qu’il était le fils du Château. Je suis sûre qu’elle s’est longtemps occupée de lui sans qu’il le sache et qu’elle cherche encore à le protéger.
-Mais pourquoi ?
-Je ne sais pas… Peut être qu’il lui a été confié.
Nous nous taisons un instant.
-Quoiqu’il en soit, dis-je, il faut que tu trouves un moyen de la contacter à nouveau. Je pense qu’elle peut nous être utile.
-Facile à dire, bougonne Astrid.
-Dites, est ce que vous pouvez arrêter de discuter deux secondes et prêter attention à ce qui se passe ? lance Yashim.
Nous nous tournons vers ce qu’il désigne du doigt. Devant nous, est apparut un immense rideau de pluie, qui traverse toute la salle. Les gouttes d’eau tombent sans un bruit, éclatantes de pureté. Une chose est sûre : ce rideau n’était pas là avant.
-Vous pensez qu’il s’agit de la sortie ? Demande Marine d’une petite voix.
Personnellement je ne vois pas ce que ça pourrait être d’autre. Nous réunissons nos affaires, fermant nos sacs pour éviter de les mouiller et traversons le rideau de pluie, nos quatre souvenirs ayant rejoint les autres dans leur bal silencieux.
Autrice : la p’tite moustache, sous le pseudo « la p’tite moustache »