Tout au bout du bord de l’extrême, derrière les dernières montagnes du Monde, s’élève le Château des 100 000 pièces Les murailles, et les tours et les étages de ce palais s’élèvent, à ce qu’il vous paraît, bien au-delà des nuages, au-dessus des cimes.
LA PIÈCE DE LA GRANDE SERRE SURMONTÉE D’UN IMMENSE ARBRE HABITÉ PAR UN HIBOU TRES INTELLIGENT
LA PIÈCE DE LA GRANDE SERRE SURMONTÉE D’UN IMMENSE ARBRE HABITÉ PAR UN HIBOU TRES INTELLIGENT

LA PIÈCE DE LA GRANDE SERRE SURMONTÉE D’UN IMMENSE ARBRE HABITÉ PAR UN HIBOU TRES INTELLIGENT

Au dessus de ma tête, une grande serre très lumineuse, et surtout très haute. Devant moi, des multitudes de fleurs dont les couleurs se chevauchent d’une façon incroyablement harmonieuse, et, pour couronner le tout, une odeur très agréable flotte dans l’air. Des rosiers aux lys, des abeilles aux fourmis, nous atterrissons ici dans un petit paradis sur terre. Au dessus de nos têtes, les rayons du soleil sont filtrés par une grande verrière élégante. Seule chose étrange, un arbre immense, d’une trentaine de mètres, qui semble régner sur cet endroit.
-C’est splendide, me souffle Orianne.
-Oui, mais je me demande ce que c’est que cet arbre…
-On s’en fiche ! tranche Marine en se précipitant d’examiner les fleurs.
Yashim, lui, ne dit rien. D’un seul coup, il me parut étrangement nostalgique. Il fixait l’arbre, immobile, les traits crispés.
-Ca va ?je lui demande, inquiète.
-Oui, ça me rappelle juste de vieux souvenirs, ce n’est pas très important.
Puis il se reprend et m’adresse un grand sourire. Il m’attrape par la main et commence une leçon de botanique. Sa voix me berce. Je me sens bien, ici, au milieu de toutes ces fleurs.
-Ici, c’est une Gardinia Tahitenis, de son nom scientifique. Mais elle est plus connue sous son nom de tiare Tahiti. Tu l’as sûrement vue sur plein de dessins, m’informe-t-il.
-C’est drôle, les fleurs viennent de partout ! Et puis je ne savais pas que tu en savais autant sur la flore ! je le taquine.
-Remercie ma grand-mère ! s’exclame-t-il pour toute réponse.
Pendant ce temps, Marine s’amusait à faire une couronne de fleurs à Orianne. Elle avait choisi quelques fleurs sauvages, jaunes, bleues et blanches. Habilement, elle assemblait les fleurs, et ses doigts semblaient voler dans l’espace.
– J’ai bien envie d’aller voir cet arbre de plus près, finis-je par dire en pointant du doigt l’étrange végétal.
-Pourquoi pas, ça nous fera faire un peu de marche…
Cinq minutes de marche plus tard, après s’être arrêtés quelques secondes pour observer des fleurs, nous voilà arrivés devant l’arbre. Sans plus y réfléchir, je m’agrippe à une branche assez basse, et commence à escalader. Yashim est le premier à m’y suivre, suivi d’Orianne, et enfin de Marine, toujours dernière à s’engager dans quelque chose de potentiellement dangereux. Je m’agrippe comme je le peux, cherchant les branches les plus solides. Quelques minutes plus tard, déjà épuisée, je m’arrête pour m’assoir sur une branche épaisse. Je suis déjà à une dizaine de mètres.
-Je crois que j’ai le vertige, bredouille Orianne, pâle comme un linge, assise a côté de moi.
-Il faut que tu tiennes, réponds Marine, haletante.
Puis nous repartons, Orianne les yeux fermés et la mâchoire crispée, à la découverte de notre arbre. Vers une quinzaine de mètres, et à ma grande surprise, ma main glisse sur une surface lisse. Je perds l’équilibre et suis retenue de justesse par Orianne, toujours vigilante.
-T’as glissé ? me demande Marine.
-Oui, sur quelque chose d’étrange… Je remonte voir ce que c’était.
Sitôt dit, sitôt fait, et je découvre avec stupéfaction que j’avais glissé sur une fenêtre. À l’intérieur, j’observe un petit salon cosy, avec deux fauteuils marron et une grande bibliothèque. Mais ce qui m’étonna le plus n’était pas le fait de trouver une maison dans un tronc d’arbre, mais que cette maison était habitée par un hibou ! Car en effet, devant la bibliothèque se trouve un hibou de ma taille, tranquillement en train de lire du Platon.
-Ça va ? Tu as glissé sur quoi ? me demande Orianne.
Lentement, la tête du hibou se tourne à 180° et il me fixe de ses yeux globuleux. Je baisse la tête, mais c’était, trop tard, je sais qu’il m’a vue. Je me recroqueville et me mets à trembler de tous mes membres.
-Astrid ? Ça va ? insiste-t-elle.
Mais je ne l’écoute pas. Au dessus de moi, j’entends la fenêtre s’ouvrir. Je tâte mon pantalon pour dégainer mon épée, mais tremble toujours autant. Je ferme les yeux. Une main m’attrape. Je crie.
-Si je peux me permettre, vous n’avez rien à craindre de moi, jeune fille. Rangez-moi donc cette arme, je vous prie.
J’obéis, comme en transe. En dessous de moi, Yashim, Marine et Orianne restent immobiles devant la tête de hibou qui vient de sortir du tronc. J’ose enfin lever la tête. L’oiseau me fixe, tout sourire, ses lunettes rondes sur le nez (si l’on peut dire qu’il avait un nez).
– Fais-je si peur que ça ? s’interrogea-t-il. Montez vite ! Il est si rare que je voie des gens !
Je montais prudemment et j’enjambe la fenêtre, suivie des autres, pendant que le hibou nous prépare une tasse de thé.
-Asseyez-vous, mettez-vous à l’aise !nous conseille-t-il.
Marine s’exécute immédiatement, mais j’ais beaucoup plus de mal a me détendre, étant donné que nous obéissons aux ordres d’un hibou.
– Auriez-vous perdu votre langue ? Racontez-moi votre histoire, je suis avide de discussion, insiste-t-il.
Silence.
-Enfin… fait-il déçu. Je vais être donc être obligé de désigner quelqu’un. Vous, là-bas, vous m’avez l’air moins tendue, dit-il en désignant Marine. Racontez-moi votre histoire.
L’interpellée avale difficilement sa gorgée de thé puis se lance, sous mes regards d’encouragement. D’abord lentement, elle explique comment elle m’a suivie dans mon aventure au château, comment elle avait rencontré Yashim. Puis, elle y prend goût, et raconte avec plus de cœur et de détails notre histoire a cet… Homme, qui semble fortement intéressé.
– …Et on a quitté le cirque, pour arriver ici, termine-t-elle.
-Quelle histoire passionnante ! Et toi, Orianne, qu’as-tu fait avant de les rencontrer ?
Alors c’est au tour d’Orianne de tout raconter, et pendant toute la soirée, nous bavardons, oubliant même que nous parlons à un oiseau. Ce dernier se révèle très intelligent. Il nous instruit, et nous avons même le droit d’assister à un cours de philo.
-Et comme vous auriez pu le deviner, c’est moi qui ai fait pousser toute ces plantes, nous dit-il en désignant la fenêtre, car je suis passionné de botanique.
-Vous avez vraiment fait un travail extra ! s’exclame Orianne en riant de bon cœur. C’est magnifique !
-Tu ne sais pas a quel point tu me fais plaisir en me disant ça ! Mais ma plus grande fierté est l’arbre dans lequel nous sommes, car c’est moi qui l’ai créé de toute pièce en mélangeant plusieurs espèces.
-C’est pour ça que je ne le reconnaissais pas ! comprends Yashim.
-Tout à fait ! Il marque une pause. Je suis désolé, je me fais vieux, et je suis fatigué. Je vais aller dormir. Il doit me rester un matelas quelque part, je vais vous le prêter.
Quelques secondes plus tard, il revient avec deux matelas gonflables et un lit pliant, plus grand que ces deux derniers.
-Je vous laisse pour vous organiser dans la répartition des matelas ! Sur ce, je vous souhaite une excellente nuit !
Et il nous laisse, tandis qu’il va dans la pièce d’à côté, juste séparée de la cuisine d’un rideau.
-Je propose que Marine dorme avec Astrid, nous lance Orianne.
-Et vous dormez dans les deux matelas ? je demande.
Elle acquiesce.
-Des contestations ? demande Yashim.
-Aucune, je réponds pour tous.
Je m’installe donc avec Marine et m’endors tranquillement.

****

C’est l’odeur du pain grillé et de la confiture qui me réveille. Pour une fois j’étais la première. Je sors du lit en essayant de ne réveiller personne, pour rejoindre le hibou, déjà attablé.
-As-tu bien dormi, mademoiselle?
-Oui, parfaitement bien, mais je viens de me rendre compte que nous ne connaissons pas votre prénom.
-Au château, tout le monde me nomme l’Oiseau, me réponds-t-il avec un sourire mystérieux. Mon véritablement nom ne te servirait à rien.
Je n’insiste pas plus. Yashim ne tarde pas à se réveiller, lui aussi, ainsi que Orianne et Marine. Quand nous avons enfin tous fini de manger, nous rangeons nos affaires et descendons par un escalier caché dans le tronc. L’oiseau nous explique, que, comme une bonne partie des habitants du château, il ne peut pas sortir de la pièce qu’on lui a attribué. Après de longes embrassades, je finis à contre cœur par attraper mon sac et me diriger vers la sortie. Mais un cri retentit. Je me retourne et vois l’oiseau attaché par les ailes par les mêmes guerriers masqués que dans une pièce précédente, mais accompagnés cette fois ci de tigres. Mais de tigres parlants, biens plus grands que la moyenne, et je ne tarde pas à comprendre qu’ils sont de la même « race » que l’oiseau. Je dégaine mon épée, Orianne sa dague, Marine son arc et Yashim un grand sabre.
-Est-ce votre ami ? demande un des hommes masqués en secouant brutalement l’oiseau.
-Nous ne le connaissons pas, je réponds, pensant protéger l’oiseau.
-Puisque vous vous décidez à nous mentir, sa mort ne sera que plus douloureuse, assène-t-il.
Une bouffée de terreur m’envahit. Que pouvons-nous faire contre autant de combattants aguerris ? Il y en avait une vingtaine !
-Si nous répondons a vos questions, promettez-vous de l’épargner ? demande Yashim, plus prudent.
Le hibou réagit en se tortillant, mais bâillonné, ne peut rien dire. De toute manière, il n’avait pas besoins de parler, rien qu’à ses yeux, il nous suppliait de ne pas céder à ce chantage. Cependant, nous l’ignorons.
-Je promets, et je n’ai qu’une parole, répond celui qui semble être le chef de la bande.
-Dans ce cas nous vous sommes ouverts, je capitule, nerveuse.
– Nous n’irons pas par quatre chemins. Où est Romain ?
Ils en veulent donc à Romain.
-Nous ne savons pas et le cherchons, répondit Orianne, ce qui n’était que pure vérité.
-Vous mentez ! rugit un des tigres en secouant brutalement son prisonnier.
-Nous disons la vérité et vous nous avez promis de ne pas le tuer ! s’affole Marine, jetant des coups d’œil à l’oiseau, et tendant encore plus la corde de son arc.
Ils marquent une pause avant de demander :
-L’oiseau vous a-t-il aidé ?
-Oui, j’avoue, ne souhaitant pas mentir.
-Alors il ne nous a pas obéi, conclut-il en enfonçant son épée dans le ventre de notre ami.
L’oiseau tombe à terre en gémissant, accompagné du hurlement de fureur de Marine.
-Vous nous aviez promis, salaud!!
Tout en disant ces mots, des grosses larmes roulant sur ses joues, elle relâche la corde de son arc et sa flèche va directement se planter dans le cœur de celui que je nommerais maintenant l’assassin. Il nous sourit étrangement et s’écroule à son tour, tandis que moi, je reste là, plantée debout à observer cette scène macabre.
-Chez nous, les promesses n’existent pas… nous souffle-t-il.
Marine a réarmé son arc,l’ignorant, et pendant plusieurs minutes, nous restons à nous toiser du regard. Nous, brandissant nos armes, les tigres grondant comme des chiens énervés, les masqués pointant leurs épées. Pendants quelques instants, seul le silence se fit entendre. Puis c’est l’attaque.
Frappant au hasard dans la mêlée, les hommes sont faciles à vaincre, mais les tigres sont beaucoup plus coriaces. Je me retrouve en duel face a un des ces colosses. Plus gros que les autres, son poil magnifique se reflétant à la lumière du soleil, il se dresse sur ses pattes arrière. Il devait faire 50 cm de plus que moi. Je sens mes jambes se dérober sous moi, mais malgré tout, je reste debout, chancelante. J’arrive à contrer son premier coup et prends de l’assurance, mais pas pour longtemps car son deuxième coup me laisse une grosse entaille dans le bras, et je tombe par terre. Mon épée m’échappe des mains. Le tigre me fixe, comme pour me laisser le temps de me rendre compte que je vais mourir, que je n’ai plus aucune chance. Il appuie ses grosses pattes sur mon ventre pour m’immobiliser. Mon épée est trop loin, je ne peux plus l’attraper.
-C’est comme ça que tu veux mourir ? En tremblant comme une mauviette ?
Il appuya encore plus sur mon ventre et me fait gémir.
-C’est une vilaine blessure que tu as au bras… me crache-t-il. Je me félicite de te l’avoir infligée…
Je ne l’écoute pas. Je cherche du regard quelqu’un qui pourrait m’aider mais tous sont aux prises du combat. Je vois mon bras saigner, et une flaque de sang écarlate se forme. Réunissant tout mon courage, je lui lance :
-Vous n’êtes qu’un lâche ! Qu’est ce que le château a pu vous offrir pour que vous acceptiez de travailler pour lui ? Hein ? Qu’est ce qu’il t’a offert ?
J’ai touché le point sensible. Pendant une seconde, il relâche son appui, mais une seconde de trop, car j’ai tout juste le temps de rouler sur le côté. J’écrase un bon nombre de tulipes au passage et dois m’être enfoncé quelques épines dans le bras, mais je m’en fiche. Je ne sens même plus la douleur tantôt cuisante de mon bras. Au prix d’un immense effort, je me relève et lui enfonce mon épée dans la jambe. Il s’affale par terre. J’espère qu’il n’est pas mort. Il avait beau vouloir me tuer, moins il y aura de morts, plus je serais heureuse. Un nouveau soldat fonce sur moi. Je l’évite et tente le mieux possible de rejoindre les autres ; j’avais bien failli y passer tout à l’heure et préfère rester près d’eux. J’arrive bientôt au niveau de ma sœur. Elle se débrouille très bien mais Yashim la protège tout de même pour les combats rapprochés, tandis qu’Orianne, avec son poignard, est redoutable.
Après de longues minutes, le dernier tigre tombe. Nos ennemis sont tous hors de combat.

****

Nous constatons les dégâts. Nous sommes tous blessés, mais rien de bien grave. Ma blessure est moins importante que ce que je craignais. Quant à l’oiseau, nous ne pouvons plus rien pour lui. Nous l’enterrons au pied de son arbre dont il était si fier. Avec les fleurs qui ont survécu au massacre, je lui prépare un bouquet que je dépose sur sa tombe. Puis je fonds en larmes, jusqu’à ne plus pouvoir pleurer. Il ne méritait pas ça. En plus, c’était de ma faute. Si je n’avais pas dit la vérité, si nous avions menti jusqu’au bout, peut-être les choses se seraient-elles passées différemment ?…
Après avoir dit adieu à l’oiseau, nous nous dirigeons vers la porte. Lentement, j’abaisse la poignée de bois.

Autrice : Cléclé, sous le pseudo « Cléclé dite la pianiste un peu folle »

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