Ou une pièce pleine de couleurs
Un épais brouillard. Ou plutôt une intense fumée blanche. C’était joli, pensai-je. Et difficilement descriptible. La fumée s’enroulait sur elle-même et prenait des teintes de blanc différentes, aussi étrange que cela puisse paraître. Du blanc mouton, blanc nuage, blanc lait, blanc porcelaine, blanc neige, blanc coton, blanc papier…
Et puis, dans un déferlement, la fumée devint bleue. Bleu nuit, bleu ciel, bleu mer, bleu océan, bleu d’hiver, bleu schtroumpf, bleu M&Ms, bleu royal, bleu indigo, bleu aigue-marine, bleu pastel, bleu sulfate de cuivre hydraté, bleu saphir.
Et puis violet. Violet prune, violet améthyste, violet violette, violet iris, violet glycine, violet foncé, violet mauve, violet myrtille.
Et puis rouge. Rouge sang, rouge vermillon, rouge coucher de soleil, rouge toréador, rouge fraise, rouge piment, rouge tomate, rouge poivron, rouge garance, rouge lave, rouge magenta.
Et… je toussai et fermai les yeux. La fumée était légèrement agressive à l’encontre de mon corps. Je continuai de tousser, pas un peu, mais du genre qui secoue tout mon corps. En moins de deux secondes, j’étais pliée en deux, les joues baignées de larmes. J’eus du mal à respirer au bout de quelques secondes. Mes poumons me piquaient. J’entendis vaguement une voix crier quelque chose.
Après avoir toussé une trentaine de fois, j’arrivai à reprendre une respiration correcte. J’ouvris lentement mes yeux humides. La pièce était blanche. Et grande. Plus exactement, l’espace dans lequel je me trouvais faisait au bas mot la taille d’un terrain de foot et n’était qu’à moitié fermée, faisant partie d’une pièce beaucoup plus grande. Le centre de la pièce était occupé par une paillasse en L ainsi qu’un chaudron en verre. Un circuit compliqué de récipients en verre, de tubes et de réchauds déversait un liquide lumineux et composé de filaments de toutes les couleurs à l’intérieur du chaudron. Cinq individus, vêtus de grandes blouses blanches et protégés par un masque couvrant l’intégralité de leur visage, tenant à la main divers objets, se trouvaient tout autour.
Le plus grand plaça un couvercle sur le chaudron tandis que l’un d’eux se dirigeait vers le mur ouvert. Il présenta sa main – gantée – devant un petit rond noir que je n’avais pas aperçu au premier abord. Des inscriptions lumineuses s’affichèrent, comme si le carrelage blanc était en réalité un écran. Il tapota quelques instants puis l’écran s’éteignit. J’entendis un léger vrombissement avant qu’une masse d’eau me tombe dessus.
Je me remettais à peine de ma surprise qu’un courant d’air froid parcourut la pièce.
Celui qui était allé vers le mur se dirigea vers moi, enlevant son masque. C’est un homme à la peau d’un noir presque bleutée, au crâne lisse, au nez épaté et aux yeux vert sombre qui se tenait devant moi. Il parla dans plusieurs langues que je ne compris pas avant d’adopter le langage spatial courant.
-Qui êtes-vous ?
-Où suis-je ?
-Dans un endroit où vous n’avez aucune raison d’être. Donc vous allez gentiment répondre à mes questions sans faire d’histoire.
Sa voix était froide et tranchante. Je n’avais pas besoin de faire d’histoire avant de savoir précisément si ceux qui me faisaient face était des amis ou des ennemis.
-Je m’appelle Adélaïsérika, répondis-je. Et voici Edel.
Je fis un geste de la main vers mon compagnon de lumière. Les sourcils de l’homme noir se froncèrent alors qu’il parcourait l’espace de son regard, sans se fixer sur Edel comme il l’avait fait sur moi. D’ailleurs, en y repensant, il n’avait fait que me regarder, sans prêter aucune attention à l’enfant lumineux, comme s’il ne le voyait pas. Alors que je le voyais très bien. Il semblait aussi sceptique que moi.
Mon interlocuteur se tourna vers ses camarades et dit quelques mots que je ne compris pas, avant de revenir vers moi. L’un des autres scientifiques se dirigea vers l’écran-mur, l’activant en plaçant sa paume au même endroit et commençant à pianoter avec frénésie.
-Comment êtes-vous entrée ?
-Par la porte.
Il leva un sourcil d’incompréhension.
-Quelle porte ?
-Une des portes du Château. Qui s’est ouverte approximativement juste derrière moi. Sans que je sache où elle conduisait.
Son visage était resté figé, semblant attendre quelque chose d’autre. Voyant que je ne dirais rien de plus, il reprit la parole :
-Vous voulez me faire croire qu’une porte s’est soudainement ouverte dans le mur pour une raison inconnue et que vous vous êtes retrouvée ici sans savoir comment ni pourquoi ? savez-vous seulement où vous êtes, mademoiselle ?
Son ton était clairement menaçant. Et pourtant, je ne pus m’empêcher de lui faire remarquer ironiquement :
-Et bien, non. Sinon, je ne vous aurais pas posé la question il y a quelques minutes. Et je me serais vêtue un peu plus dans le style.
Une veine palpita dans son cou alors qu’il pinçait les lèvres. Derrière lui, un de ses assistants,– de ce que j’en avais déduis – qui avait des yeux d’un bleu nuit délavé sourit ouvertement avant de se faire reprendre par un de ses collègues.
-Ne vous moquez pas de moi, mademoiselle. Vous savez ce que je pense ?
-Pas vraiment, mais j’ai comme l’impression que je vais bientôt le savoir.
Le sourire de l’assistant réapparut pendant une fraction de seconde avant que celui-ci ne le maitrise de nouveau.
-Je pense que vous avez trouvé le moyen dans votre laboratoire personnel d’entrer dans ce laboratoire sécurisé pour nous voler nos inventions. Car mademoiselle, vous êtes ici dans le plus grand et le plus moderne laboratoire de M. Castel. Vous êtes jaloux, dans votre laboratoire, de notre réussite, et vous décidez de venir voler ou saccager notre travail, je ne sais pas encore. Vous montez un plan, vous et vos copains, pour vous infiltrer par les conduits d’aération – j’ai toujours dit que les conduits n’étaient pas assez sûrs. Et personne n’arrive à créer une porte n’importe où – dans NOTRE labo. Malheureusement pour vous, vous ne tombez pas dans le bon carré de recherche, mais dans le mien où MOI, je vois clair dans votre jeu. Car je sais toujours tout.
-Ravie de l’apprendre. Et jolie histoire. Mais… malheureusement, vous savez probablement plus raconter des contes aux enfants que toujours tout. Car j’ai juste ouvert une porte se trouvant sous un auditorium et je me suis retrouvée ici. Je ne me suis jamais baladée dans les conduits d’aération. Et si c’était le cas, je n’aurais jamais choisi votre heu… carré de recherche à cause de ce… brouillard. Et je ne bosse pour personne et avec personne, à part Edel…
-Edel, revenons-en ! me coupa-t-il, ne retenant même plus sa colère.
Derrière lui, l’assistant était clairement en train de réprimer un fou rire.
-Personne ne le voit. Ce n’est pas quelqu’un, c’est le nom de notre programme d’infiltration !
-Vraiment, vous croyez à ce que vous racontez ?
-Mademoiselle, considérez-vous en…
A cet instant, l’assistant qui s’affairait sur l’écran poussa un cri et interpella l’homme noir. Celui se retourna brusquement, l’interrogeant vigoureusement. L’autre hocha la tête et lui indiqua l’écran. Le chef me laissa pour le rejoindre à grands pas. Quelques exclamations incompréhensibles plus tard, il se retourna et fit quelques mesures dans l’air pour finir le doigt pointé sur Edel. Il cria quelque chose et l’un des assistants – celui qui avait réprimé celui qui souriait – tendit un flacon à l’individu énervé, qui cria encore quelque chose. Un pulvérisateur ajustable fut rapidement retiré à un autre flacon et visé sur celui que tenait le chef. Qui commença à avancer vers Edel en pulvérisant furieusement tout autour de lui. Quand le jet l’atteignit, Edel recula, comme brulé. Un sourire s’invita sur les lèvres du chef, qui pressa de nouveau le bouton du pulvérisateur. Edel eut une grimace de douleur.
Je m’interposai entre mon camarade de lumière et son tortionnaire. Décidemment, cet homme m’était de plus en plus antipathique.
-Que faites-vous ?
Il tenta de m’écarter d’un revers de la main, brandissant son pulvérisateur devant mon visage.
-Poussez-vous de là.
-Hors de question tant que vous ne m’avez pas dit ce que vous faites.
Il posa son regard d’un air très calme vers moi et dit en détachant les syllabes sur un ton d’évidence :
-Je fais avancer la science, mademoiselle. Maintenant, poussez-vous !
Et il m’écarta violemment en projetant de nouveau son produit sur Edel.
-Mais vous lui faites mal ! arrêtez !
-Ce n’est pas un organisme vivant, il ne peut pas avoir mal. C’est, d’après mes conclusions, un ectoplasme de lumière, une accumulation d’énergie tout à fait extraordinaire, du mouvement libre donné à des protons ! une révolution dans la science !
Il ne m’écoutait pas, comme perdu dans son délire de découverte scientifique. Je me tournai vers les quatre autres scientifiques :
-Vous ne pouvez pas le laissez faire ! dites quelque chose !
L’homme au pulvérisateur éclata de rire avant de dire joyeusement :
-Je suis le seul ici à comprendre le langage spatial. Maintenant, taisez-vous et assistez à cette découverte dont je suis l’investigateur. Vous pourrez dire « j’y étais » quand elle sera devenue célèbre.
L’assistant qui souriait tout à l’heure leva les yeux au ciel et les mains en train de trifouiller l’assemblage sur le bureau. Il me fit un clin d’œil et se replongea dans son travail.
Edel se tordit de nouveau de douleur. Il changea de couleur, les endroits touchés devenant vert pomme. N’y tenant plus, j’attrapais mon cylindre de foudre et, me replaçant devant le scientifique, le lui enfonça dans la poitrine sans le déclencher.
-Arrêtez immédiatement.
Il m’accorda à peine un regard et tenta de me repousser.
-Fulgor ! criai-je alors que son bras m’éloignait de lui.
L’éclair partit, dévié, et le toucha à peine à l’épaule, avant finir sa course dans le mur carrelé. Le chef lâcha son pulvérisateur, se tenant l’épaule. Un cercle marron était visible sous sa main.
Il leva vers moi un regard plein de haine.
-Vous ! vous allez…
Sa phrase fut coupée par un bruit de verrerie suivit d’un sifflement. Nous tournâmes tous les deux la tête vers la paillasse centrale, à présent recouverte d’un épais brouillard blanc. En moins d’une seconde, il nous avait atteints. Avant que je ne tousse, quelqu’un appliqua un masque sur mon visage. Il l’attacha derrière ma tête et au bout d’une ou deux inspirations, l’air devint respirable. J’ouvris les yeux, protégés par le masque. En face de moi, me tenant par le bras, je reconnus l’assistant qui souriait à ses yeux. Il me fit signe de silence et de le suivre.
Il m’entraina vers la paillasse et me passa une blouse blanche, posée là sûrement par l’un des autres assistants. Puis, il me fit sortir de la salle, au travers d’une sorte de champ magnétique. Là, il retira son masque et me fit signe d’en faire autant.
-Est-il là ? murmura-t-il en langage spatial. Votre camarade ?
Je me retournai vivement. Edel ! Heureusement, il flottait juste à côté de ma tête. Je m’en voulus de ne pas avoir pensé à vérifier sa présence en quittant la salle. Il semblait aller plutôt bien, malgré sa peau tacheté de vert.
-Alors ? me pressa-t-il.
-Oui, c’est bon. Mais…
-Attends qu’on soit en mouvement, pour ne pas paraître suspects, chuchota-t-il en m’empoignant par le coude.
Je pris alors le temps de regarder autour de moi. On était dans une sorte de hall circulaire, carrelé de blanc, autour duquel s’alignaient une multitude d’espace semi-ouverts comme celui qu’on venait de quitter. Des dizaines d’hommes et de femmes en blouse blanche circulaient d’un pas pressé, sans vraiment regarder autour d’eux. Nous nous engageâmes dans le flot. J’attendis quelques secondes avant de chuchoter à l’assistant :
-Merci.
Il me jeta un regard en coin avant de murmurer comme embarrassé :
-De rien. je ne pouvais pas laisser Frekadel faire du mal à quelqu’un.
-Frekadel ?
-Mon chef de laboratoire. Celui avec qui vous avez parlé. Un grand génie un peu trop prétentieux, qui se croit supérieur aux autres.
-Un personnage pas très sympathique, j’approuvai.
-Un type complètement imbuvable, oui !
Je repassais ma conversation avec lui, ayant à l’esprit que quelque chose clochait. Au bout de quelques secondes, je me rappelai :
-Mais, vous parlez le langage spatial ! votre chef, là, Frekadel, a dit qu’il était…
-… le seul à le parler, oui, me coupa l’assistant, amer. Une preuve qu’il n’a même pas prit le temps de lire mon CV. Quand je vous disais qu’il se plaçait au-dessus de tout le monde : il ne lui viendrait même pas à l’esprit qu’un simple assistant de laboratoire parle une langue aussi compliquée. Surtout le petit dernier de l’équipe qui n’est bon qu’à ouvrir trois robinets et à porter les flacons.
-Pourquoi ne changez-vous pas d’équipe de travail, s’il est autant insupportable ?
-C’est un géni, me répondit-il d’un ton désabusé. Totalement tyrannique dans ses relations mais effroyablement bon dans le domaine scientifique. Pas tellement le choix non plus.
Ses épaules étaient tombées. Je m’aperçus que je ne connaissais même pas son nom :
-Comment vous appelez-vous ?
-Lïos.
J’allais répondre quand il reprit rapidement, d’une façon presque hachée, comme si ses dernières confessions le rattrapaient :
-Il faut que vous sortiez rapidement d’ici. Il ne faut qu’il me retrouve avec vous. comment pouvez-vous vous en allez ?
-Par une porte.
Il s’arrêta brusquement et se retourna vers moi :
-Sérieusement ?
-Oui. … vous ne me croyez pas ?
-C’est difficile à croire. Personne n’entre ni ne sort jamais d’ici, à part M. Castel. Mais vous, vous êtes entrée. Alors, il doit bien y avoir un truc, admit-il en reprenant sa marche.
Je le rattrapai. Il regardait nerveusement autour de lui. Je repris la parole :
-Vous savez où il y a une porte ?
-Je suppose. Mais dépêchez-vous, s’il-vous-plait !
Il accéléra le pas. Deux secondes plus tard, des sirènes se mirent à sonner et une voix s’écria dans des haut-parleurs :
-Un intrus, un intrus dans le complexe ! Veuillez rejoindre immédiatement vos laboratoires respectifs. Ceci est un ordre ! un intrus est dans le complexe ! veuillez…
Tout autour de nous, les gens se mirent à courir. Lïos m’attrapa la main et se jeta dans le flot. Les gens nous bousculaient, mais sa poigne était ferme sur mon poignet. Au bout d’une dizaine de secondes, on arriva devant un mur. On le longea sur quelques mètres pour arriver dans une porte bleue, surmontée d’un signal de sécurité.
-C’est la seule porte que je connaisse. Bon voyage, Adélaïsérika.
Puis il abaissa la poignée et la porte s’ouvrit. Il me poussa à l’intérieur avant de murmurer :
-J’espère que votre compagnon est avec vous.
Et il ferma la porte.
Autrice : Ailes d’Anges (Aile 1), sous le pseudo « Ailes d’Anges (Aile 1) »