J’avais froid… si froid… Puis, comme si je traversai une paroi, je repris conscience. La température était moins glaciale. Je n’avais presque aucune sensation, comme anesthésiée. J’ouvris les yeux. Mais mon environnement était tout aussi noir que le rideau de mes paupières. Noir d’encre, noir trottoir, noir cafard. Et cette impression qui me collait à la peau, celle de ne plus exister. Qu’est-ce… qu’est-ce qu’il venait de se passer ? Pourquoi étais-je là ? Je… je ne m’en souvenais plus. Et si j’avais à nouveau perdu tous mes souvenirs ? Non ! Je ne voulais pas ! Un hurlement de rage m’échappa avant de se muer en sanglots.
-Pas la peine de crier, ça va rien changer.
Je me figeai. Il y avait quelqu’un ?
-Qui est là ?
La réponse me surprit :
-Tu m’as entendue ?
-Comment ça ?
-Attends.
Suite à ces mots, j’entendis une sorte de grattement, devant moi, puis une flammèche apparue, à quelques dizaines de mètres devant moi. La lueur se rapprocha, avant de s’éteindre. Un nouveau grattement, une nouvelle flamme. Cette fois, je m’avançai moi aussi vers la lumière. Deux allumettes plus tard, j’étais juste devant la flamme dansante. Mais il n’y avait personne pour tenir le bout de bois. Celui-ci flottait tout seul dans le vide, à hauteur de mon visage.
-Pourquoi je ne te vois pas ?
-Ah… je me disais bien que c’était trop beau. Quelqu’un capable de me voir. Non mais et puis quoi encore ? Déjà, tu m’entends et c’est un miracle.
-Je… je ne comprends pas.
L’allumette s’éteignit.
-Je suis entrée dans le Château, un jour d’hiver, peut-être pour me protéger du froid, peut-être pour changer de vie, peut-être pour devenir quelqu’un… Peu importe. J’ai fait un jour la découverte de la PIÈCE QUI N’EXISTAIT PAS. J’ai réussi à en ressortir. Mais à partir de ce jour-là, je suis devenue invisible. Je n’existe plus. Il n’y avait qu’une seule et unique personne ayant la capacité de me voir, et elle a disparue il y a des mois. Moi-même, je ne peux me voir. Les miroirs ne reflètent que le vide… Parce que je ne suis rien. Et personne ne se rappellera de moi.
Sa tristesse me tomba dessus comme une chape de plomb.
-Et… tu t’appelles comment ? Qui était cette personne qui arrivait à te voir ?
-Je suis Leeko, Craqueuse d’Allumette. Mon amie s’appelait Lilou.lila. Elle était Décrocheuse d’Étoiles. Et toi, qui es-tu, pour m’entendre ?
-Je ne sais pas. Le Château m’a volé toute ma mémoire. Un… ami à moi, rencontré entre ces murs, m’a nommée Analayann. Je suis désolée. Je ne sais pas qui je suis. Je ne sais même pas ce que je suis.
-Oh…
Un craquement. Une nouvelle flammèche projeta des ombres démesurées sur mon visage. En parlant d’ombres…
-Tu lui ressembles un peu. À Lilou.lila.
Sa phrase me sortit de mes pensées. C’était vraiment perturbant de voir ce bout de bois flotter comme ça… Je plissai les yeux. Il m’avait semblé voir… Quelque chose bougea devant moi, du noir en mouvement sur du noir. Imperceptible. Pourtant, un mouvement était bien venu percuter ma rétine. Là, de nouveau. Je distinguais… le contour vague d’un visage. L’ondulation de cheveux. Je me concentrai à m’en donner mal à la tête. Le trait supérieur d’une lèvre. L’arrondi des yeux.
-Je… je te perçois !
-Comment ça ?!
-Je te devine. Là, ce sont tes cheveux.
Je tendis la main, et la referma… sur du vide.
-Je t’ai sentie !
-Pas moi. Mes doigts n’ont rien touché du tout.
-Mais si ! mes cheveux ont bougés. Attrape ma main.
Je vis comme une ombre bouger sur le côté. Je tentai de la saisir, en vain.
-Si si, je te le promets ! Je t’ai sentie traverser ma main. C’est incroyable !
Complètement dingue. Je voyais une femme invisible, elle pouvait me toucher. Du grand n’importe quoi. Je fermai les yeux un instant. Quand je les rouvris, l’allumette s’était éteinte. Leeko en alluma une autre. Je pouvais voir la main tenant le bâtonnet. Je pouvais voir les longs cheveux bruns se balancer doucement sous un vent que je ne sentais pas. Je pouvais voir le visage fin tourné vers moi. Je pouvais voir les grands yeux bleu lagon qui me fixaient intensément.
-Je te vois.
-Merci…
Je vis les larmes noyer ses yeux et couler le long de ses joues. Puis une douleur me transperça. J’ouvris la bouche, à la recherche d’air.
-Qu’est-ce qui t’arrive ?!
Je ne pus répondre. Je me sentais m’effacer. La dernière image que je vis avant de disparaître, c’était cette flamme se reflétant dans ses prunelles.