Ou la pièce où ma santé mentale ne s’est pas arrangée, la preuve, j’ai parlé à de la lumière.
Quand je me fus habituée à la lumière, je pus distinguer où j’avais mis les pieds. Heureusement, toujours pas de danger prêt à m’attaquer dès que je franchissais le pas de la porte. Je n’aurais pas cette chance tout au long de mon aventure, malheureusement. Je commençais par vérifier l’état de mon petit bonhomme. Il était remonté au-dessus de ma tête, ce que je pris pour un bon signe, et ses contours étaient nettement plus visibles. Ses cheveux bleus et courts et son vêtement orange ressortaient beaucoup plus que dans la pièce précédente, où les couleurs s’étaient ternis au fur et à mesure de ma marche. Mais il dormait encore.
Ceci étant fait, je détaillais la pièce. Il s’agissait d’une sorte de vaste hall, d’une hauteur de plafond inestimable, plafond qui était en réalité une voute soutenue par d’énormes colonnes de pierre grise. Entre chaque colonne, d’immenses vitraux laissaient pénétrer le soleil. Le sol était carrelé de dalles gigantesques, chacune faisait plus de huit pas de côté. Des statues taillées dans des roches plus claires et serties de pierres précieuses se trouvaient au pied des colonnes.
Elles représentaient des individus au physique étrange. Ils étaient humanoïdes, certes, mais leur visage était pourvu un appendice plutôt long à la place du nez, pas tout à fait comme une trompe, mais pouvant s’en approcher. La représentation de leur chevelure regroupée en une seule masse, comme imprégnée d’un mouvement, laissait penser qu’elle était animée d’une sorte de vie. De plus, en regardant mieux, je constatais que leur tête paraissait énorme par rapport au reste de leur corps, très fin, et que leurs jambes semblaient très longues et très minces aussi. Toutes les statues que je pouvais distinguer étaient imberbes. Et leurs yeux, grands, presque écarquillés, et faits entièrement de joyaux, me mettaient légèrement mal à l’aise.
Presque autant que le silence qui régnait. J’aurais dû être habituée à l’absence de bruit, vu la dernière pièce que j’ai traversée, mais celui-ci était pesant, lourd. Comme si des événements importants s’étaient déroulés dans cette salle.
Est-ce utile de préciser que la porte par laquelle j’étais entrée – et qui, d’ailleurs, s’était ouverte au beau milieu du grand hall – avait disparu ? Il faudrait donc que je rejoigne un mur pour trouver une porte – en tout cas, j’espérais que, logiquement, les portes étaient contre le mur, ce qui n’était pas gagné d’avance – et si possible, que je trouve quelque chose à manger, car je n’avais rien consommé depuis un long moment – si je me souviens bien, mon dernier repas datait d’avant mon entrée dans le Château – et j’avais faim.
Comme l’enfant de lumière dormait encore, je me mis en marche, sans parcourir le hall dans sa longueur mais en me dirigeant vers le mur précédemment situé à ma droite et à ce moment-là, devant moi. Sauf que, dans un grand hall silencieux, le moindre bruit se répercutait et donnait lieu à un écho assez conséquent. Et donc, chacun de mes pas produisait l’équivalent d’une petite avalanche.
Au bout d’un moment, je remarquais que, non seulement j’entendais l’écho de mes pas, mais aussi ceux de d’autres personnes. Je m’arrêtai et scrutai le hall, à la recherche de l’origine de ces échos supplémentaires. Sauf qu’à la limite de mon regard, il n’y avait personne. Et mon petit bonhomme était toujours assoupi. Sur mes gardes, je repris ma progression. Et, de nouveau, différents échos se mêlèrent au mien. Je marchais longtemps, les autres échos de plus en plus présents, sans que personne n’apparaisse dans mon champ de vision. Petit à petit, aux sons des pas, je pus distinguer des sortes de raclements, comme si l’on déplaçait un bloc de pierre contre le carrelage, et des espèces de coups lourds, comme si des objets tombaient. Ce qui faisait un boucan assourdissant.
Quand j’atteignis enfin le mur, je me demandais sérieusement s’il allait me rester une once d’esprit sain de toute folie. Car entendre pendant ce qui devait être des heures un vacarme d’origine inconnue, qui s’amplifiait à chaque pas, en restant concentrée à tout ce qui se passe autour, ce n’est pas très conseillé. Je me laissai glisser contre le mur et attendis que l’écho se taise. J’accueillis le silence, bien que toujours inconfortable, avec plaisir. Le sommeil me gagna à ce moment-là.
Lorsque je me réveillai, la luminosité de la pièce était plus faible. Par réflexe, je jetai un coup d’œil à mon petit bonhomme. Et quelle ne fut pas ma surprise quand je le vis, non pas allongé dans une position fœtale comme précédemment, mais à la verticale à un mètre du sol et les deux yeux grands ouverts. Deux yeux qu’il avait du même bleu que ces cheveux et qui me fixaient, interrogatifs.
-Bonjour toi.
Encore et toujours, l’écho s’empara de ma voix. J’avais prit le soin de murmurer, mais la salle s’emplit tout de même d’un chuchotement incompréhensible. Pourtant, j’avais l’impression de distinguer d’autres paroles se mêler aux miennes.
Mon petit bonhomme pencha la tête et me pointa du doigt.
-Je suis une Ange Lunaire. Je t’ai trouvé dans une pièce, tu es sorti d’une ampoule, j’expliquai.
Il plissa les yeux puis secoua la tête de haut en bas. Puis il désigna l’ensemble de la salle.
– On cherche une porte. Je t’expliquerais plus tard.
Il haussa les épaules puis s’assit en tailleur. Je me levai et reprit ma recherche, mon petit bonhomme voletant autour de moi.
J’avais l’impression qu’au bruit de mes pas s’ajoutaient des sons de bruits de chaises que l’on traine, et même parfois, des bribes de conversations incompréhensibles. Au fur et à mesure de mon avancée, je n’arrivais même plus à différentier ce que j’entendais vraiment et ce que j’inventais.
Y-avait-il vraiment quelqu’un dans la salle qui courrait, une armée qui la traversait ?
Y-avait-il quelqu’un ou étais-je la seule ?
Avais-je imaginé ces mots étouffés ?
Sursautai-je pour rien ?
Où se situait la limite entre réalité, échos et imagination ?
Quand j’atteignis enfin une porte, celle-ci faisait le double de ma taille et la poignée se trouvait bien au dessus de ma tête. Heureusement que j’étais un Ange – et si vous vous demandez pourquoi je n’utilise pas plus souvent mes ailes… c’est une longue histoire et elle n’a pas sa place ici. Mais je n’aime pas trop voler, va-t-on dire – et que je pouvais m’envoler.
Sauf que tout n’aurait pas pu être si simple. A l’instant où je décollais, un vent parcourut la pièce. Il forcit en quelques secondes, hurlant dans la salle. J’atteignis avec difficulté la poignée et m’y agrippait. Mon petit bonhomme se réfugia contre moi. Il dégageait une douce chaleur mais ne semblait pas avoir de consistance définie.
Dans le mugissement de ce qui n’était plus du vent mais une sorte d’ouragan, j’entendis les vitres se briser dans un vacarme épouvantable alors que celles que j’avais dans mon champ de vision étaient toujours intactes. Des cris se mêlèrent à la cacophonie alors que j’essayais de baisser la poignée. Je cru entendre le rugissement d’un Hippocampe Spatial. Celle-ci tourna avec facilité. Tout d’un coup, le silence se fit. Le battant pivota et je me glissais à travers la fente, mes ailes frôlant les panneaux de bois.
Autrice : Ailes d’Anges (Aile 1), sous le pseudo « Ailes d’Anges (Aile 1) »