la p’tite moustache as la p’tite moustache
Épuisée, je me laisse tomber à terre. J’ai juste le temps de voir Garette passer en coup de vent et de se jeter dans les bras du Père Noël. Elle l’aimait bien finalement. Quand à moi, je reste assise et lui adresse un bref signe de tête. Bien que nous ayons combattu ensemble et que l’on se soit dirigé vers la même pièce, nous n’avions pas eu le temps de se parler.
Le combat a été dur et quelque chose me dit qu’il n’est pas encore fini. Une image plutôt. Après avoir donné le bestiaire à Emerence, les autres ont pris la parole. Puis au milieu de la conférence, Elle est arrivée. La Créature. Terrifiante. Colossale. Et terriblement difficile à combattre. J’ai laissé cette tâche à d’autres et me suis attaquée à quelques soldats, pleine d’un courage que je ne connaissait pas. Puis le Château est arrivé. Mon sang s’est glacé dans mes veines et j’ai baissé les yeux pour ne pas revoir celui qui m’avait fait si peur dans la pièce horloge. Mon courage est retombé d’un coup pour ne plus jamais revenir et un cri s’est étranglé dans ma gorge. Je me suis cachée, j’ai fui telle une lâche, si lâche qu’elle n’avait pas osé franchir la porte qui leur était réservée devant tous les autres. J’ai fermé les yeux. J’ai pleuré, je crois. Je ne me souviens plus très bien. Tout ce qui s’est passé durant le combat n’est que fouillis, aucun de mes souvenirs ne m’apparaît distinctement. Sauf un. Une image que je ne peux pas oublier et qui semble s’être imprimée dans mon cerveau : celle de la Créature montée au trône du Château…
– Orianne ? Tu ne dis plus bonjour ?
La voix chaleureuse du Père Noël me tire de ma rêverie. Il ignore mon visage fermé et m’adresse un sourire rayonnant. Celui que je lui rend n’en est qu’une pâle copie. Il me serre dans ses bras et je lui rend son étreinte sans grande conviction. Je me sens vide. Lavée. Et pourtant tant de questions se bousculent encore dans ma tête et j’ai l’impression que la manière dont je vais y répondre va importer sur mon avenir, aussi restreint soit-il.
Il attend ma réponse. Que dois-je lui dire ? Que je suis contente de le revoir sain et sauf ? Oui, cela lui ferait sûrement plaisir mais je n’y arrive pas. Les mots ne parviennent pas à sortir de ma bouche. Au bout d’un moment, j’arrive à articuler :
– Vous… vous avez vu ? La… la Cr… la Créat…
Son sourire disparaît et il me regarde d’un air sévère. Puis, entreprend de me raconter ce qui s’est passé.
– L’armée du Château est arrivée en même temps que nous. Nous avons été pris au dépourvut car nous nous attendions à arriver avant le combat et la Créature était déjà là. Ensuite, une terrible bataille à quatre armées s’est déroulée, deux étant alliées dans leur lutte quant aux deux autres… Impossible pour moi de savoir qui était contre qui. La Créature et le Château devaient être alliés pour nous repousser mais se sont ensuite fait face pour savoir qui aurait le pouvoir. Et elle a gagné. Reste à savoir comment les choses vont se dérouler avec elle, ce qui va changer pour nous et pour combien de temps…
Je reste sans voix. Le Père Noël vient de confirmer toutes mes craintes en cinq minutes. La joie qui avait envahit mes compagnons au moment des retrouvailles vient de retomber d’un coup. A qui la faute ? Garette a les yeux remplis de larmes et Hernest cache mal son émotion. Je baisse les yeux. L’heure est grave et désormais, une seule question m’importe :
Pourquoi suis-je venue ici ?
« Tu voulais quitter ta vie monotone pour une autre bien plus rebondissante, répond ma petite voix qui s’était éclipsée une fois de plus durant le combat, ce qui est une décision assez stupide que prennent en général des adolescentes blasées rêvant d’une vie parfaite et dont tout le monde voudrait. »
Hum. Disons plutôt que je n’ai pas réfléchit aux conséquences de mes actes et n’ai agit qu’en pensant à l’instant présent. Oh comme je regrette maintenant ! Je voudrais retrouver ma maison, ma mère, mon père et même cet abrutit de voisin avec sa grosse moustache… Je voudrais retrouver ma vie d’avant, celle où j’étais une fille normale qui n’avait pas à devoir écouter les conseils stupides de sa petite voix pour survivre… Sans que je m’en rende compte, les larmes me viennent et commencent à couler sur mes joues, froides, salées et amères. Des larmes de tristesse mais aussi de honte car je n’ai pensé qu’à moi. Lorsque je suis partie de chez moi cette nuit là, je n’ai pas pensé à ce que pourraient ressentir mes parents le lendemain en voyant que leur fille a disparut. Je me suis juste dit : « Je vais enfin vivre une vie intéressante loin de cette bande de nuls. ». Comme j’aimerai revenir en arrière et tout changer !
Garette vient s’asseoir à côté de moi et me prend dans ses bras. Je pose ma tête contre son épaule et laisse couler mes larmes. Désemparée, elle cherche vainement à me réconforter :
– Allons… Ce n’est pas si grave. Tout peut encore changer tu sais. (oh que j’aimerais bien!) Maintenant, qu’on est tous réunis on peut s’en sortir, tu verras ! Tiens, tu sais ce qu’on va faire ? Tous les quatre, nous chercherons la Créature et la forcerons à nous faire sortir d’ici. Si elle refuse, c’est au Château lui-même que l’on s’en prendra ! On peut y arriver, je te le promets.
Sortir d’ici ! Ces trois mots suffisent à me remettre d’aplomb. J’essuie mes larmes d’un revers de la main. Mais… Quoi ? Non ! Retrouver la Créature et le Château ? Hors de question.
– Je ne veux pas.
De la surprise s’affiche sur le visage de Garette. Je me déteste, j’ai envie de me donner des baffes pour ce que je viens de dire. Et pourtant, rien n’est plus vrai. Je ne veux pas avoir à combattre encore une fois. Je ne peux pas. Je n’ai pas la volonté de fer de mon amie, ni son courage. Je ne suis qu’une grosse trouillarde qui préfère rester là à se morfondre sur ce qu’elle aurait du faire au lieu d’agir. Je suis méprisable.
– Qu’est ce que tu veux alors ? Demande Garette d’une toute petite voix.
Les mots sortent de ma bouche, froids et cruels avant que j’ai pu l’en empêcher.
– Ce que je veux ? Aucune idée. Par contre je sais ce que je ne veux pas. Je ne veux pas croiser à nouveau le chemin de la Créature ou du Château. Je ne veux pas venir avec vous car je n’en suis pas capable. Je veux revoir ma famille, c’est la seule chose qui m’a poussé à participer à cette bataille. Et on a échoué. Alors… Ce Château a bien une sortie, forcément. Il faut que je la trouve, même si cela doit prendre des années. Je préfère ça qu’avoir à risquer ma vie une seconde fois. Désolé.
Impossible. Ce n’est pas moi qui ai prononcé ces mots. Je ne me reconnais pas. Et pourtant, rien ne me semble si vrai, si réel.
Ils se sont tous tus et me regardent en silence, une expression peinée figée sur le visage. Je me tourne pour dissimuler ma gène. Garette s’approche timidement de moi.
– Tu es sure que c’est ce que tu veux ? La voie que tu choisies peut être très longue tu sais. Et tu seras loin de nous.
– Je sais mais…
– Et qui sait ? Tu croisera sûrement d’autres dangers… ajoute Hernest.
– Oui mais je préfère…
– Tu préfère fuir et te cacher plutôt que venir avec nous couper le mal à la racine ? S’énerve Garette. Toi qui nous as poussée à faire ce combat ?
– Je ne savais pas ce que je faisais, j’étais prête à tout pour revoir ma famille…
– Et alors ? C’est exactement ce qu’on te propose ! Mais toi, tu… tu préfère faire bande à part, nous abandonner après tout ce que l’on a traversé ensembles !
– Je veux juste ne plus avoir à prendre de risques voilà tout ! C’est trop pour moi, je ne suis pas comme vous ! Je m’en suis rendu compte lors de la bataille : je ne suis pas faite pour ça. Alors oui, je croiserai sûrement d’autres dangers mais au moins je n’aurai pas l’impression de me jeter dans la gueule du loup !
Garette baisse les yeux, à court d’arguments. Elle a sans doute compris que ma détermination n’avait pas de limites. Le Père Noël a l’air triste et Hernest furieux. Je n’aime pas les décevoir, je me déteste pour ce que je viens de dire et ce que je vais faire et je déteste le fait qu’ils vont rester ensemble et que moi, la lâche, je pars me terrer dans un coin du Château, par peur. Je suis minable.
Sans un mot, mon amie entreprend de répartir nos provisions communes. Je la regarde sans rien faire. Enfin, elle me tend mon sac en silence, le regard vide. Je sais ce qu’elle veut me faire comprendre. Elle ne me parle pas pour ne pas rendre les adieux encore plus difficiles mais le message est clair : Elle m’en veux. Peut être même qu’elle me hait. Je n’en sais rien. Le langage des signes n’a pas ce genre de nuances. Je les serre dans mes bras, tous sans exception. Puis me dirige sombrement vers une porte tandis qu’eux trois se dirigent vers une autre. Et ce fut tout. Pas de sanglots déchirés, pas d’étreintes interminables, rien. Juste ce silence pesant et moi qui tourne les talons.
« Tu es méprisable » lâche ma petite voix avec dégoût. Une larme coule sur ma joue.
Je franchis la porte.