Arrietty as Arrietty
Je ne peux dire combien de temps j’ai déambulé dans les couloirs du Château. Premier étage, second, troisième et puis j’ai fini par arrêter de compter. Perdue devant cette infinité de choix, émerveillée par tout ces mondes qui s’offrait à moi, tous plus différents et étranges les uns que les autres, je n’ai fait que marcher durant un long moment, passant devant portes, fenêtres et jardins sans jamais m’arrêter. Peu à peu, à mesure que le soleil réchauffait les murs, j’entendais des murmures et des bruits métalliques, des hurlements et des joyeuses cavalcades dans les escaliers de fer, comme autant de promesses d’aventures. Au milieu du léger brouhaha qui baignait les couloirs, une petite mélodie me fit dresser l’oreille. Le son clair d’une trompette et le lourd battement de cœur d’un tambour marquait un rythme qui se répercutait dans tout l’étage et que, curieuse, je suivait pas après pas, jusqu’à arriver à une large porte, fermée par un lourd rideau de velours rouge. Absorbée par la musique, je traversais d’un pas le tissu, me retrouvant au milieu d’une petite scène tapissée de copeaux de bois, entourée de gradin, où, assis sur un tabouret, un clown se lamentait.
Habillé d’un pantalon et d’une veste aux douces couleurs pastels assortis avec un chapeau haut-de-forme à carreaux, des courts cheveux bouclés d’un brun clair lui entourant la tête et des grandes chaussures vertes lui assurant les plus longs pieds jamais vus, le clown soupirait, la tête entre les mains. A côté, de lui, un tourne-disque faisait s’envoler les notes de trompette et de tambour qui m’avait attiré. Étalés sur le sol poussiéreux, des cerceaux, des fleurs fatiguées et des paillettes.
Tout à coup, comme dans un sursaut, le clown se redressa et, dans une sorte de danse saccadée, il se planta devant moi et se mit à me regarder, ses yeux gris et fatigués plantés dans le fond des miens. Perdue dans la couleur de ses pupilles, j’avais l’impression de me noyer dans un océan de pluie.
Le clown soupira et, d’un mouvement de marionnette se rassit sur son tabouret coloré avant de marmonner un : « Gloom. »
Interloquée, je répétais : « Gloom ? »
– C’est mon nom. Gloom. James Gloom. Mais appelle-moi juste par mon nom. Il me va mieux.
– Moi c’est Elheïln.
– C’est un prénom ça ?
– Il me semble que non. Mais c’est celui que je me suis choisi il y a bien longtemps.
– Et quelqu’un, un jour, a réussit à le prononcer ?
– Je crois bien que ce n’est jamais arrivé. A part moi bien sur. Tout le monde m’appelait par mon nom de famille.
– Qui est ?…
– Taïr. Elheïln Taïr.
– Mouais.
– Comment ça « Mouais » ?
– Ce n’est pas excellent comme nom. C’est compliqué à prononcer aussi.
– Oui, mais c’est le mien. Et je l’aime bien.
– Est-ce que je peux t’appeler Slo ?
– Slo ? Pourquoi donc ?
– Parce que ça te va bien.
– Ah. Alors d’accord.
Pendant notre échange, je m’étais assise sur le sol de copeaux, le dos contre le tabouret de Gloom et j’écoutais sa voix, comme une goutte d’eau qui coule, lente, belle, sombre, et qui sait qu’elle va tomber un jour sur le sol.
– Pourquoi est-ce que tu es là, Gloom ?
– Parce que c’est un cirque. Et que je suis un clown.
– Tu n’a pas l’air très heureux pour un clown.
– Regarde autour de toi. Est-ce que tu trouves qu’il a des raisons de se réjouir ?
– Et bien pars alors. Il n’y a personne. Fais ce que tu veux. Tu as vu dehors, Gloom ? C’est immense. Sors d’ici.
– Je ne peux pas.
– Et pourquoi ?
– Parce que je suis un clown. Et que ma place est dans un cirque.
– Le monde est un cirque, Gloom.
– Je ne sais pas. Je n’ai jamais vu le monde.
– Justement. C’est un scène. Immense. Où l’on t’observe. Et où tu as la possibilité de faire tout les tours que tu connais. D’apprendre ceux que tu ne connais pas. D’inventer ceux qui sont en toi. D’écrire ton spectacle et de le laisser n’en faire qu’à sa tête. De rencontrer d’autres artistes.
– Je ne sais pas.
– Alors apprends.
– Mouais.
– Non, pas « Mouais. » D’accord.
– Tu es étrange Elheïln Taïr.
– Je croyais qu’il était trop compliqué, mon nom, pour qu’on le retienne ?
– Oui, exactement. Mais il te va bien.
– Merci. Est-ce que ça veut dire que tu vas quitter cette scène ?
– Tu es étrange, vraiment, comme fille.
– Tant mieux. Mais pourquoi ?
– Cela fait cinq minutes que je te connais. Et tu as déjà décidé que je devais quitter tout ça, cette scène, ce monde-là.
– Il n’y a pas besoin d’attendre plus longtemps pour savoir que tu n’étais pas heureux. Et puis, je n’ai pas l’impression que nous nous connaissons depuis si peu de temps. Il me semble que cela fait des lunes que nous parlons.
– Oui. Mais c’est bizarre quand même.
– La vie est bizarre, James Gloom. C’est pour ça qu’elle si belle.
– C’est drôle. Quand tu es rentrée ici tu avais l’air aussi triste que des nuages gris.
– …dit un clown qui ne rit plus. Je ne suis pas triste. Je suis morte. C’est légèrement différent tout de même.
Il y eu une minute où seul résonna le bruit doux du piano qui s’échappait du gramophone. Dans une trille joyeuse il virevolta autour de nous, avant d’être rattrapé par le son clair d’une trompette. Puis Gloom reprit :
– A ton avis, Slo, de quoi est-ce qu’on a besoin pour vaincre le monde ?
– Parce que tu veux te battre ?
– Je veux savoir ce qu’il faut avoir pour faire une belle représentation.
– Alors de toi. Juste de toi. Et de bonnes chaussures.
– Je crois que je t’aime bien, Taïr. Mais je n’ai pas d’autre paire.
Et lorsque nous avons laissé le rideau rouge derrière nous, les pieds nus de Gloom tapant contre la pierre froide du sol, son sac contre son épaule, contenant juste un disque noir pour gramophone intitulé « Sans doute du Jazz », une fleur bleue crachant de l’eau par les pétales, une montre à gousset aux aiguilles avançant bien trop vite et un ou deux copeaux de bois clairs, il n’y eu presque aucun bruit. Seul le lapin blanc que le magicien avait laissé derrière lui dansa, la piste enfin à lui.