un gars… as un gars…
Carnet de .
Pièce n°42.
Je jetai un coup d’œil derrière moi alors que je passai la porte et mon regard s’arrêta sur le Hobgobelin. Un je-ne-sais-quoi me disait qu’il était étrange. Mais celui-ci, comme s’il avait entendu mes pensées, se volatilisa une fois que l’on referma la porte derrière nous, en secouant négativement la tête. J’accordai peu d’attention aux multiples horloges autour de nous (me rappelant joyeusement (hum hum) que le temps nous était compté), et déposai précautionneusement mon ami contre le mur.
J’examinai rapidement le petit grand nain, mais je n’étais sûr de rien en l’observant. Personnellement, on ne m’avait pas tiré dessus, j’étais juste écorché au bras droit à cause d’une balle perdue qui m’avait juste effleuré. Mais le petit grand nain… De multiples petits trous avaient perforés son armure, et plusieurs laissaient s’échapper un flot de sang, mais le pire était la balle qui s’était logée en plein milieu de son front. Un des elfes qui étaient restés me poussa légèrement, puis s’accroupit à ses pieds. Usant de je ne sais quel pouvoir qu’il devait posséder, il passa sa main dotée d’une lueur bleutée au dessus du corps du petit grand nain tandis que je me mordais les ongles, anxieux. Puis, avec une voix vide de sentiments, l’elfe m’annonça :
« Il devrait être mort. »
Ben voyons. Je le regardai sans comprendre, et il continua :
« Un grand choc lui a complètement broyé la colonne vertébrale, asséna-t-il toujours sans sentiments dans la voix. Il a perdu beaucoup de son sang, il a une double fracture au bras droit, et son cerveau est endommagé. »
Je me demandais si il fallait le croire. Une personne normalement constituée (même petite) devrait effectivement être un tout petit peu morte dans le cas présent… Mais pas le petit grand nain. Et je ne comprenais pas pourquoi.
Je me rapprochai les larmes aux yeux de mon ami, et m’accroupis si rapidement qu’un objet circulaire sortit de ma poche. La pièce d’or. Celle qui l’avait déjà guéri.
Je la saisissais puis poussai à mon tour l’elfe qui s’étala par terre sans comprendre. Comme la pièce n’alla pas d’elle-même sur le petit grand nain comme l’autre fois dans la pièce-manège, je la lui plaquai sur le front en espérant un résultat. Mais il ne se passa pas ce que j’attendais. Un faisceau de lumière d’abord jaune, puis orangé, s’échappa de la pièce et fonça sur moi. Sans que je puisse réagir, le faisceau rentra en moi par le visage, et je m’évanouis, en même temps que le soleil s’évanouit derrière les collines.
« J’étais dans la même pièce, mais je sentais quelque chose de plus. Ma main était bloquée avec la pièce sur le front du petit grand nain. Et je percevais un murmure. Sa voix. Je percevais la voix de mon ami. Je discernais du doute, de l’incompréhension, une déroute totale. Et je compris que c’était à cause de moi, et de mes stupides révélations sur ma personne. Soudain, j’entendis distinctement une autre voix. Le squelette.
« C’est l’heure. L’heure du choix de la prophétie. Prépare-toi, mais rappelle-toi que le plus grand choc n’est pas celui du combat, c’est celui de l’amitié »
Je ne pus essayer de comprendre car une autre voix se laissa entendre. L’elfe du Temps, cette fois.
« Une prophétie se réalise toujours, mais elle ne prévient pas en arrivant. Le Temps est quelque chose d’étrange. Mais trop accessible. »
La pièce me brûla la main, et la chaleur remonta jusqu’à la marque sur mon bras droit. Je hurlai, tout en voyant le soleil se lever, puis commencer à se recoucher. Et je revins à la réalité.
Je fus éjecté en arrière et ma tête percuta une pendule, raccordée avec toutes les autres par son tic-tac monotone. Je la regardai rapidement. 21H47, disait-elle. Je me tournais vers les elfes et demandai :
« Combien de temps suis-je resté avec ma main collée à la pièce ?
– Plus d’un jour entier, et nous ne pouvions pas… »
Je n’entendis pas la fin, peu m’importait, à part le fait que la prochaine lune allait bientôt être à découvert. Et que le petit grand nain allait mourir.
Je devais faire un choix, ou du moins il devait y en avoir un, qui sauverait le petit grand nain de la mort. Mais je ne savais pas du tout ce qu’il fallait décider. J’étais comme… perdu. Je me sentais mort. C’est alors que le petit grand nain souleva un peu la tête.
Je courus vers lui. Il me regarda, et sembla sourire.
« J’avais mal compris, dit-il dans un soupir.
– Hein, mal compris quoi ?
– La… Prophétie. Toi aussi, tu… Tu as mal compris. »
Je le regardai hébété. À moi de ne pas comprendre ce qu’il disait. Il continua plus bas :
« Le… Le choix… Ce n’est pas toi…
– Qui ?, criais-je presque. Qui doit le faire ? Qui doit te sauver la vie ?
– Je… C’est… Moi. Moi… Et moi seul. »
Puis il ferma lentement les yeux. C’était lui. Et là je me suis révolté. Et si… Et si il ne revenait pas après tout ? C’est seulement en disant ça que je pris conscience qu’il était mort. Je me mis à pleurer, et les elfes derrières se turent. Bêtement, me disant qu’il pouvait peut-être entendre, je murmurai à son oreille :
« Devhinn. Je m’appelais Devhinn. Dans la première langue des elfes, cela voulait dire « Immortel ». Comme quoi le destin… »
Les elfes acquiescèrent derrière moi. Je soulevais le petit grand nain, et l’emmenai dans la prochaine pièce, espérant tout de même que la fin de l’histoire n’était pas trop proche. En sortant, j’entendis les centaines de coucous donner la nouvelle heure. Et dehors, j’imaginais la pleine lune brillant au dessus des collines.
Tout cela est triste, me diriez-vous, mais pour ne pas être triste, il faudrait ne pas avoir d’amis.