La Chatte qui Pêche as Poussière d’Étoile
J’ai déjà vu cette pièce. C’est la première chose qui me vient à l’esprit. Mais oui, cette pénombre, ce feu dans la cheminée, ces canapés dispersés partout… Je me la rappelle bien, c’était la pièce où j’avais connu…
« Ah, enfin, Poussière d’Etoile et Ara! » fit une voix qu’il était impossible de confondre. « Je pensais de ne plus jamais vous revoir. »
Je me tournai vers la cheminée. La bûche conteuse était là, identique à quand je l’avais rencontrée pour la première fois. Une branche dans laquelle avait été taillé un visage aux traits saillants, à la voix chaude et tranquille, qui racontait les histoires des aventuriers et connaissait tout d’eux… Ce fut à ce moment que j’eus un déclic.
« C’est vous qui savez mon nom! Vous me l’avez même dit quand je suis arrivée ici il y a des mois… » Je connais le nom de tous les aventuriers. Autrement, comment ferais-je pour conter leurs aventures?
« En effet. Mais tu n’as pas compris mon allusion. Peut-être n’étais-tu pas encore prête. »
« Oui, ça devait être ça. J’étais encore trop terrorisée par le Château pour penser à quelque chose d’autre. »
« Maintenant, je sens que tu es différente. Tu as aussi élargi ton groupe à ce que je vois. Bienvenue, Om et Esprit…ou devrais-je t’appeler Amélie. »
Mon amie sursauta. C’était impressionnant de voir à quel point la bûche conteuse était informée sur tout et sur tout le monde. Om, toujours en quête de réponses, posa une question à la bûche.
« Puis-je vous demander si vous connaissez la créature qui se fait appeler celui-qui-sait, et qui nous a envoyé ici? »
« Oui, je le connais, bien entendu. C’est avec son aide que je vous ai fait arriver auprès de moi. Nous travaillons dans le même domaine, même si ses méthodes sont…hum…assez différentes des miennes. »
Je souris en repensant à la drôle de silhouette qui s’agitait en psalmodiant dans une langue inconnue.
« Il nous a dit qu’il était le Dominateur de l’Histoire du Château » reprit Om.
« Il a toujours eu un certain goût pour le mélodramatique. En vérité, son pouvoir ne s’étend que sur le passé récent et le présent… Comme le mien. Celui qui est le vrai Dominateur est tellement puissant que je ne peux pas même prononcer son nom. »
Etait-ce mon imagination, ou pendant un bref instant le Château avait tremblé? Quoiqu’il en soit, la bûche continua à parler comme si de rien n’était.
« Mais ne vous inquiétez pas, il est incapable de nuire à qui que ce soit en ce moment. Cela dit, je vous recommande de faire attention à l’avenir. Car celui qui contrôle l’Histoire et le Temps contrôle le Monde et l’Espace. »
Cela me fit penser à une chose.
« Comment c’est possible que cette pièce se trouve ici, alors que quand je l’ai visitée la première fois elle était quelque part dans les souterrains du Château? »
La buche me fit un clin d’œil. « Même si je n’ai pas de jambes, ça ne veut pas dire que je ne peux pas me déplacer… Tout simplement, tu n’es pas dans la pièce où tu m’as rencontrée. Le mobilier est identique, je te l’accorde, mais c’est à la portée de n’importe quel déménageur. »
En effet, maintenant que j’y pensais, cette pièce était plus petite que l’autre et plus carrée. Mais Esprit s’impatientait.
« Trêve de bavardages, est-ce que vous savez le nom de Poussière, ou pas? »
La buche répondit immédiatement. « Oui, bien sûr. Si elle le veut, je suis prête à le lui révéler. C’est une des raisons pour lesquelles je vous ait fait venir ici. »
Mon cœur s’accéléra. « S’il vous plaît, dites-le moi! Je ne peux pas vivre toute ma vie sans savoir comment je m’appelle réellement. »
« Soit. Alors, approche-toi. »
Je m’avançai de quelques pas.
« Dans ta langue, on t’appelait jadis Caliorynthe. De Calior, étoile filante, et le suffixe ynthe, qui signifie « ce qu’on laisse derrière soi ». Tu es donc la trainée de l’étoile filante, le signe lumineux qu’elle laisse et qui reste dans le ciel un bref instant avant de disparaître. »
Oui, c’était lui, c’était mon nom, ni beau ni mauvais, mais indéfiniment mien.
« Après tout, avec Poussière d’Etoile, tu n’étais pas si loin de la vérité » me souffla Esprit en souriant.
C’était vrai. Désormais, je serais Caliorynthe, mais je n’oublierai pas Poussière d’Etoile.
« Je propose de t’appeler Cali, dit Om. Caliorynthe, c’est un peu long! »
J’acquiesçai. Cali, ça m’allait.
« Merci, dis-je à la bûche. Je vous suis redevable. »
« Non. L’identité est un droit de tous. Mais je dois te dire que ce n’est pas l’unique raison pour laquelle vous êtes ici. Je vous expliquerai, dès que vous aurez reçu la vision… Dans exactement trois secondes. Trois, deux, un… »
Et je ne suis plus Caliorynthe, ni Poussière, je suis une voix qui en écoute une autre, qui vibre avec elle, qui entend chaque mot se sculpter dans son âme.
« Aventuriers, aventurières. Je suis de ces magiciennes qui connaissent le monde des rêves. Je suis de ces femmes qui combattent. Je suis comme vous. On dit souvent qu’il faut être solidaire, et je viens pour cela. Je suis Emerence, ex-dame du Château. Oui, du Château. Si vous étiez vivants, vous me foudroyez sur place. Mais vous êtes dans le monde des rêves, et c’est moi qui vous ai amenée ici. Vous êtes des aventuriers aguerris, combattants, sans faiblesses, vous combattez tout les jours notre monstre commun. Le Château. Oui, je dis le notre, car je suis avec vous. Le Château n’est pas qu’un ennemi. C’est la personne qui m’a pris mes fils, qui m’a fais mourir le cœur. Le Château est pour moi que haine, une haine brûlante. Si je le pouvais, je l’entrainerais avec moi dans ma mort, j’irai le combattre seule. Mais je ne peux. Je sais que parmi vous se cachent des magiciens, maitre d’armes, de magie noire, d’animaux fantastiques. Je suis coincée dans cette tourelle au 83 ème étage, la porte auburn, tout au nord. Vous entendrez sans doute mes cris. Pourquoi vous appelle-je ? Parce que je veux combattre notre terreur, cette suprématie, ce monstre, cet homme redoutable, qui n’a causé que tort. J’ai besoin de vous, de votre cœur, de vos vies, de votre passion, de votre combat. Alors, venez, pour la pièce 1000, me rejoindre, je vous en supplie. Et que les lâches, s’ils ne viennent pas, regretteront amèrement leurs refus… »
La voix s’arrête, je suis de nouveau moi. Om et Esprit me regardent, confus. Je sais qu’eux aussi ont entendu la voix, et que, comme moi, ils ne veulent plus que rejoindre la tourelle et combattre le Château, ce monstre infâme. C’est comme si toute la haine que j’éprouvais pour lui a ressurgi tout d’un coup, décuplée. La bûche nous fixe gravement.
« C’est de cela que je veux vous parler. Je sais qu’à présent, vous voulez rejoindre Emérence et combattre le Château. Mais il faut que je vous avertisse, et que je vous explique le chemin pour… »
Je ne saurais jamais la fin de cette phrase. Une main arrive dans mon champ de vision, une main humaine qui saisit la bûche et la jette dans le feu. Sans un bruit. Un temps de réaction, je hurle, je veux la sortir des flammes, mais je me sens tirée vers l’arrière. C’est Om. Il me dit quelque chose, je ne l’entends pas, il me tire vers une porte. L’humain est devant le feu, regarde la bûche brûler, impassible. Esprit et Om me font passer la porte, la referment rapidement. Tout s’est passé trop vite. Le silence s’installe. Et moi, je l’ai vu, j’ai reconnu cet humain…