le petit grand nain as le petit grand nain
Mes yeux étaient encore en train de s’accoutumer à la lumière depuis qu’on m’avait retiré le bandeau qui me recouvrait le visage quelques minutes auparavant, et les larmes inondaient mon regard. C’est pourquoi je devinai plus que je ne vis le sol de la pièce se mettre à tourner et les murs se flouter puis disparaître.
Nous nous effondrâmes sur le sol. Je me relevai et regardai autour de moi : la téléportation avait-elle opéré ?
Oui. Nous étions dans une vaste pièce, mais dont les murs semblaient tapissés de toiles d’araignées et de poussière. De grosses poutres au plafond manquaient, et l’édifice ne devait pas être très solide…
J’eus une pensée pour le petit nain de grand, mon cousin, que nous venions de laisser derrière nous. Je me repassai rapidement tous les évènements précédents dans ma tête, avant d’en tirer une conclusion : l’homme casqué à la voix métallique n°1, ou Guerrier Démolisseur Invincible Robotique (GDIR), m’avait trahi. Il n’y avait aucune autre solution au fait que le Château, ou son propriétaire, ait pu deviner que j’allais me rendre précisément au cachot du Prisonnier, sans avoir à passer devant les nombreux gardiens qui devaient être en faction devant la porte.
Je commençais à vraiment me demander si toutes les personnes que je connaissais étaient des traîtres, quand j’entendis la voix de mon sauveur :
– Et maintenant, que fait-on ?
-Je ne sais pas… je suppose que nous devons avancer jusqu’à trouver une porte, comme souvent… Mais avant, je crois que l’on a beaucoup de choses à se raconter.
Alors Un gars me fit son récit, et je fis mon récit à Un gars. J’appris ainsi plus sur ma famille que tout ce qu’on m’avait raconté jusqu’alors, et je lui appris tout ce que je savais sur les dimensions parallèles et les soldats du Château. Je lui posai quelques questions sur le grand petit nain, que je n’avais moi toujours pas rencontré, et il m’en posa sur le Prisonnier.
Ce fût extrêmement utile : nos deux explorations avaient été remarquablement riches, dangereuses et longues, par conséquent nous avions beaucoup à apprendre l’un de l’autre. Une fois que nous avions tout mis en commun, nous étions tous deux plus au courant des évènements qui avaient pu se passer dans le Château et surtout, nous aurions sans doute pu beaucoup mieux nous en sortir face à tous les dangers que nous avions affrontés : les points faibles que nos ennemis pouvaient avoir n’avaient plus de secrets pour nous. Je savais que le grand petit nain, par exemple, n’avait pas réellement de pouvoirs dévastateurs comme ce pouvait être le cas de certains autres monstres ; mais il avait une exceptionnelle résistance, et était assez intelligent et retors. De même, le démon que j’avais cru avoir tué quelques pièces auparavant était, lui, non seulement très résistant, mais pouvait aussi changer de forme à volonté ; par contre, il était très, très stupide et naïf.
Au bout d’un moment, quand nous n’eûmes plus rien à nous dire, nos pensées se retournèrent vers le petit nain de grand et son sacrifice.
– Je me demande s’il va s’en sortir, dis-je.
– Je l’espère, répondit Un gars. Je l’espère… Il était vraiment exceptionnel.
– Oh, et encore, tu ne l’as pas vu combattre. En combat, c’était un vrai…
– Attends, me coupa soudain Un gars. Tu n’es pas censé te souvenir de ça, tu as perdu la mémoire !
– Mais je… Tu… Tu as raison ! m’écriai-je. J’ai retrouvé la mémoire ! Je me souviens enfin !
C’était sans doute la première bonne nouvelle depuis des heures. Malgré tout, une autre idée me vint :
– Attends deux minutes, lui intimai-je. Je vais tenter quelque chose.
Je tentai de faire le vide dans mon esprit, en chassant toutes les pensées indésirables. Puis, quand je me mis à ne plus penser à rien, je commençai à me répéter, de plus en plus fort, la même phrase :
« Prisonnier, si tu m’entends, j’ai encore une fois besoin de toi. Prisonnier, si tu m’entends, j’ai encore une fois besoin de toi. Prisonnier… »
Soudain, j’ouvris les paupières. Je sentais cette présence dans ma tête qui m’avait déjà sauvé maintes fois, celle du Prisonnier ; et je lui demandai quelque chose.
Rien ne se passa, tout d’abord. Puis je sentis une légère pression sur mon crâne, et je pus voir la pièce où nous étions juste avant. Un gars était là aussi. Il tourna la tête vers moi d’un air interrogateur, mais je lui fis signe de regarder.
Et nous vîmes ce qui était arrivé au petit nain de grand.
« Hé, mais, il n’y a personne ici ! Vous n’avez pas laissé de gardien ? »
« Ben, je croyais que c’était vous qui… »
« Bien sûr que non, c’était vous trois ! On a eu beaucoup de chance qu’il ne s’enfuie pas… Tiens, d’ailleurs, pourquoi ? »
Je vis le petit nain de grand, qui arborait une tête amorphe et inexpressive, comme si on lui avait…
« Ah ! J’y suis. Le Maître a dû lui jeter un sortilège pour qu’il ne puisse pas s’enfuir ! Le Maître est vraiment très intelligent. N’empêche, si quelqu’un était venu le délivrer, on aurait eu l’air bête… »
Je vis le bourreau prendre une hache, sur le mur, et…
La pression sur mon crâne cessa, et nous retournâmes à la réalité. Nous restâmes un instant prostrés, incapables de parler ; puis Un gars se leva et dit :
– Nous devons y aller, la salle risque à tout instant de s’effondrer…
J’acquiesçai. Nous nous levâmes…